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loignent de plus en plus l'une de l'autre, jusqu'au moment qui doit les séparer à jamais. C'est ainsi que saint Augustin nous montre admirablement les deux Cités que le genre humain doit former à la fin des temps, prenant naissance dès le commencement des temps: la Cité du monde et la Cité de Dieu

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Dieu et la Vérité sont une même chose; d'où il faut conclure que toute vérité que l'intelligence humaine est capable de recevoir lui vient de Dieu; que sans lui elle ne connaitrait aucune vérité, et qu'il a accordé aux hommes, suivant les temps et les circonstances, toutes les vérités qui leur étaient nécessaires. De cette impuissance de l'homme et de cette bonté de Dieu découle encore la nécessité d'une tradition universelle dont on retrouve en effet les vestiges plus ou moins effacés chez tous les peuples du monde, selon que l'orgueil de leur esprit et la corruption de leur cœur les ont plus ou moins écartés de la source de toute lumière: car l'erreur vient de l'homme comme la vérité vient de Dieu; et s'il ne crie vers Dieu, l'homme demeure à jamais assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort (1).."

L'erreur a mille formes et deux principaux caractères la superstition et l'incrédulité. Ou l'homme

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altère en lui l'image de Dieu pour l'accommoder à ses passions, ou, par une passion plus détestable encore, il pousse la fureur jusqu'à l'en effacer entièrement. Le premier de ces deux crimes fut, dans les anciens temps, celui de tous les peuples du monde, un seul excepté; ils eurent toujours pour le second une invincible horreur, et les malheureux qui s'en rendaient coupables furent longtemps eux-mêmes une exception au milieu de toutes les sociétés. C'est que cette dernière impiété attaquait à la fois Dieu et l'existence mème des sociétés ; le bon sens des peuples l'avait pressenti: et, en effet, lorsque la secte infâme d'Epicure eut étendu ses ravages au milieu de l'empire romain, on put croire un moment que tout allait rentrer dans le chaos. Tout était perdu sans doute, si la Vérité elle-même n'eût choisi ce moment pour descendre sur la terre et pour y converser avec les hommes (1). Les anciennes traditions se ranimèrent aussitôt, purifiées et sanctifiées par des vérités nouvelles; la société, qui déjà n'était plus qu'un cadavre prêt à se dissoudre, reprit le mouvement et la vie, et ce principe de vie, que lui avaient rendu les traditions religieuses, ne put être éteint ni par les révolutions des empires, ní par une longue suite de ces siècles illettrés qu'il est convenu d'appeler barbares. Les symptômes de mort ne reparurent qu'au quinzième siècle, qui est appelé le siècle de la renaissance : c'est alors que la

(1) Et cum hominibus conversatus est. (Baruch, III, 38.)

α.

raison humaine, reprenant son antique orgueil qu'on avait cru pour jamais terrassé par la foi, osa de nouveau scruter et attaquer les traditions. Les superstitions du Paganisme n'étant plus possibles, ce fut l'incrédulité seule qui tenta ce funeste combat : elle démolit peu à peu l'antique et merveilleux édifice élevé par la Vérité même, et ne cessant de nier, les unes après les autres, toutes les croyances religieuses, c'est-à-dire tous les rapports de l'homme avec Dieu, elle continua de marcher ainsi, au milieu d'une corrup tion toujours croissante de la société, jusqu'à la révolution française, où Dieu lui-même fut nié par la société, ce qui ne s'était jamais vu; où le monde a éprouvé des maux plus grands, a été menacé d'une catastrophe plus terrible même que dans les derniers temps de l'empire romain, parce que la Vérité éternelle, ayant opéré pour lui le dernier miracle de la grâce, ne lui doit plus maintenant que la justice, et ne reparaîtra plus au milieu des hommes que pour le jugement.

Et véritablement c'en était fait du monde si, selon la promesse, cette grâce qui éclaire et vivifien'eût trouvé un refuge dans un petit nombre de cœurs humbles, fidèles et généreux. Ils combattirent donc pour la vérité; ils furent ses martyrs; ils sont encore ses apôtres. Autour de la lumière qui leur a été donné d'en haut, ils ont su réunir, ils rassemblent encore tous les jours, ceux qui savent ouvrir les yeux pour voir, les oreilles

pour entendre. L'erreur étant arrivée à son dernier excès et s'étant montrée dans sa dernière expression, la vérité a fait entendre par leur bouche ses arrêts les plus formidables, a dévoilé à la fois tous ses principes à jamais immuables et leurs conséquences non moins absolues toutes les nuances ont disparu, tous les ménagements de timidité ou de prudence ont cessé; d'une main ferme, ces courageux athlètes ont tracé la digue de séparation; et, ce qui est encore nouveau sous le soleil, les deux Cités, celle du monde et celle de Dieu, se sont séparées pour n'être plus désormais confondues jusqu'à la fin; et, dès cette vie, elles sont devenues manifestes à tous les yeux.

Parmi ces interprètes de la vérité, si visiblement. choisis et appelés par elle pour rétablir son empire et relever ses autels, nul n'a paru avec plus d'éclat que M. le comte de Maistre dès les commencements de la grande époque où nous avons le malheur de vivre, il fit entendre sa voix, et ses premières paroles, qui retentirent dans l'Europe entière (1), laissèrent un souvenir que trente années d'événements inouïs ne purent

(1) Dans l'ouvrage fameux intitulé : Considerations sur la France, publié en 1796. Quoique rigoureusement défendu par le méprisable pouvoir qui tyrannisait alors la France, il eût, dans la même année trois éditions, et une quatrième l'année suivante. Dès 1793, époque de sa retraite en Piémont, M. de Maistre avait fait paraître deux Lettres d'un Royaliste savoisien à ses compatriotes; et en 1795, il avait publié un autre écrit, sous le titre de Jean Claude Tétu, maire de Montagnole; brochure, dit-on, aussi piquante qu'ingénieuse sur les

effacer. De même que celles des prophètes, ses paroles devoilaient l'avenir, en même temps qu'elles indiquaient aux hommes les moyens de les rendre meilleurs. Ce qu'il a prédit est arrivé; puisse-t-il être un jour suivi dans ce qu'il a conseillé!

Il fallut se taire lorsque la terre entière se taisait devant un seul homme : ce fut dans le silence et dans l'exil que M. de Maistre prépara et acheva en partie les travaux qui devaient compléter cette espèce de mission qu'il avait reçue d'éclairer et de reprendre son siècle, de tous les siècles sans doute le plus aveugle et le plus criminel. Toutefois, dès 1810, il publia à Pétersbourg l'ouvrage intitulé: Essai sur le principe générateur des constitutions politiques. Dans ce livre court, mais tout substantiel, l'auteur, remontant à la puissance divine comme à la source unique de toute autorité sur la terre, semble s'arrêter avec une sorte de complaisance sur cette grande idée qui féconde tout en effet dans le monde des intelligences, et de laquelle allaient bientôt émaner toutes ses autres productions. Dans un sujet qui était purement métaphysique, on lui reprocha d'avoir été trop métaphysicien :

opinions du moment. Enfin en 1796, ses Considerations sur la France furent précédées d'un écrit intitulé: Adresse de quelques parents des militaires savoisiens à la nation française, dans lequel il combattait avec beaucoup d'énergie l'application des lois françaises sur l'émigration aux sujets du roi de Sardaigne. Mallet du Pan fut l'éditeur de ce dernier ouvrage.

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