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ferme. Ce que Wren a dit de la parole orale me semble encore bien plus vrai de cette parole bien autrement pénétrante qui retentit dans les livres. Toujours celle des français est entendue de plus loin: car le style est un accent. Puisse cette force mystérieuse, mal expliquée jusqu'ici, et non moins puissante pour le bien que pour le mal, devenir bientôt l'organe d'un prosélytisme salutaire, capable de consoler l'humanité de tous les maux que vous lui avez faits!

En attendant, monsieur le chevalier, tant que votre inconcevable nation demeurera engouée de Locke, je n'ai pour le voir enfin mis à sa place d'espoir que dans l'Angleterre. Ses rivaux étant les distributeurs de la renommée en Europe, l'anglomanie qui les a travaillés et ensuite perdus dans le siècle dernier, était extrêmement utile et honorable aux Anglais qui surent en profiter habilement. Nombre d'auteurs de cette nation, tels que Young, Richardson, etc., n'ont été connus et goûtés en Europe que par les traductions et les recommandations françaises. On lit dans les mémoires de Gibbon une lettre où il disait, en parlant du roman de Clarisse : C'est bien mauvais. Horace Walpole, depuis

comte d'Oxford, n'en pensait guère plus avantageusement, comme je crois l'avoir lu quelque part dans ses œuvres (1). Mais l'énergumène Diderot, prodiguant en France à ce même Richardson des éloges qu'il n'eût pas accordés peut-être à Fénélon, les Anglais laissaient dire, et ils avaient raison. L'engouement des Français sur certains points dont les Anglais eux-mêmes, quoique partie intéressée, jugeaient très-différemment, sera remarqué un jour. Cependant, comme dans l'étude de la philosophie, le mépris de Locke est le commencement de la sagesse, les Anglais se conduiraient d'une manière digne d'eux, et rendraient un véritable service au monde, s'ils avaient la sagesse de briser eux-mêmes une réputation dont ils n'ont nul besoin. Un cèdre du Liban ne s'appauvrit point, il s'embellit en secouant une feuille morte.

Que s'ils entreprennent de défendre cette réputation artificielle comme ils défendraient Gibraltar, ma foi! je me retire. Il faudrait être un peu plus fort que je ne le suis pour faire la guerre à la Grande-Bretagne, ayant

(1) Je ne suis pas à même de feuilleter ses œuvres; mais les lettres de madame Du Deffant peuvent y suppléer jusqu'à certain point. (In-8°, tom. II, lettre cxxxie, 20 mars 1772.)

déjà la France sur les bras. Plutôt que d'être mené en triomphe, convenons, s'il le faut, que le piédestal de Locke est inébranlable....

E PUR SI MUOVE.

Mais je ne sais pourquoi, monsieur le chevalier, c'est toujours moi que vous entreprenez, ni pourquoi je me laisse toujours entraîner où vous voulez. Vous m'avez essoufflé au pied de la lettre avec votre malheureux Locke. Pourquoi ne promenez-vous pas de

même notre ami le sénateur ?

LE CHEVALIER.

Laissez, laissez-moi faire; son tour viendra. Il est plus tranquille d'ailleurs, plus flegmatique que vous. Il a besoin de plus de temps pour respirer librement; et sa raison, sans que je sache bien pourquoi, m'en impose plus que la vôtre. S'il me prend donc fantaisie de fatiguer l'un ou l'autre, je me détermine plus volontiers en votre faveur. Je crois aussi que vous devez cette distinction flatteuse à la communauté de langage. Vingt fois par jour j'imagine que vous êtes Français.

LE SÉNATEUR.

Comment donc, mon cher chevalier,

croyez-vous que tout Français ait le droit d'en fatiguer un autre ?

LE CHEVALIER.

Ni plus ni moins qu'un Russe a droit d'en fatiguer un autre. Mais sauvons-nous vite, je vous en prie; car je vois, en jetant les yeux sur la pendule, que dans un instant il sera demain,

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NOTES DU SIXIÈME ENTRETIEN.

No I.

(Page 346. La même proposition se lit dans les maximes des Saints de Fénélon.)

y

Elle est en effet mot pour mot. On ne prie, dit-il, qu'autant qu'on désire, et l'on ne désire qu'autant qu'on aime, au moins d'un amour intéressé. (Max. des Saints. Bruxelles, 1698, in-12, art. xix, pag. 128.) Ailleurs il a dit: Prier, c'est désirer.... Celui qui ne desire pas fait une prière trompeuse. Quand il passerait des journées entières à réciter des prières, ou à s'exciter à des sentiments pieux, il ne prie point véritablement, s'il ne désire pas ce qu'il demande. ( OEuvres spirit., tom. III, in-12, n°111, pag. 48.)

On lit dans les discours chrétiens et spirituels de madame Guyon le passage suivant : La prière n'est autre chose que l'amour de Dieu.... Le cœur ne demande que par ses désirs: prier est donc désirer. Celui qui ne désire pas du fond de son cœur fait une prière trompeuse. Quand il passerait des journées entières à réciter des prières, ou à méditer, ou à s'exciter à des sentiments pieux, il ne prie point véritablement, s'il ne desire pas ce qu'il demande. ( Tom. II, in-8°, disc. vii.)

On voit ici comment les portefeuilles s'étaient mêlés en s'approchant.

II.

(Page 348. Ayez pitié de moi malgré moi-même. ),.

<< Mais que direz-vous dans la sécheresse, dans le dégoût, dans le refroidissement? Vous lui direz toujours ce que vous avez dans le

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