IV. Les deux Taureaux et la Grenouille.
EUX taureaux combattoient à qui possédervit Une génisse avec l'empire.
Une grenouille en soupiroit. Qu'avez-vous ? se mit à lui dire Quelqu'un du peuple coassant. Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle, Que la fin de cette querelle
Sera l'exil de l'un; que l'autre le chassant Le fera renoncer aux campagnes fleuries ? Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies, Viendra dans nos marais régner sur les roseaux ; Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux, Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse Du combat qu'a causé madame la génisse. Cette crainte étoit de bon sens.
L'un des taureaux en leur demeure S'alla cacher, à leurs dépens: Il en écrasoit vingt par heure.
Hélas! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands.
V. La Chauve-souris et les deux Belettes.
UK chauve-souris donna tête baissée
Dans un nid de belette: et, sitôt qu'elle y fut, L'autre, envers les souris de long-temps courroucée, Pour la dévorer accourut.
Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire ! N'êtes-vous pas souris ? Parlez sans fiction. Oui, vous l'êtes; ou bien je ne suis pas belette. Pardonnez-moi, dit la pauvrette,
Ce n'est pas ma profession.
Moi, souris ! des méchants vous ont dit ces nouvelles.- Grace à l'auteur de l'univers,
Je suis ciseau; voyez mes ailes : Vive la gent qui fend les airs! Sa raison plut, et sembla bonne. Elle fait si bien, qu'on lui dcnne Liberté de se retirer.
Deux jours après, notre étourdie Aveuglément se va fourrer
Chez une autre belette aux oiseaux ennemie. La voilà derechef en danger de sa vie. La dame du logis avec son long museau S'en alloit la croquer en qualité d'oiseau ; Quand elle protesta qu'on lui faisoit outrage : Moi, i, pour telle passer! Vous n'y regardez pas. Qui fait l'oiseau ? c'est le plumage.
Je suis souris; vivent les rats! Jupiter confonde les chats!
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.
Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants, Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue. Le sage dit, selon les gens,
Vive le roi! Vive la ligue!
VI. L'Oiseau blessé d'une fleche.
MORTELLEMENT atteint d'une fleche empennée,
Un oiseau déploroit sa triste destinée,
Et disoit, en souffrant un surcroît de douleur: Faut-il contribuer à son propre malheur ! Cruels humains! vous tirez de nos ailes De quoi faire voler ces machines mortelles ! `Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié : Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre. Des enfants de Japet toujours une moitié Fournira des armes à l'autre.
VII. La Lice et sa Compagne.
NE lice étant sur son terme, Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant, Fait si bien qu'à la fin sa compagne consent De lui prêter sa hutte, où la lice s'enferme. Au bout de quelque temps sa compagne revient. La lice lui demande encore une quinzaine ; Ses petits ne marchoient, disoit-elle, qu'à peine. Pour faire court, elle l'obtient.
Ce second terme échu, l'autre lui redemande Sa maison, sa chambre, son lit.
La lice cette fois montre les dents, et dit : Je suis prête à sortir avec toute ma bande, Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfants étoient déja forts.
Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette:
Pour tirer d'eux ce qu'on leur préte Il faut que l'on en vienne aux coups; Il faut plaider; il faut combattre. Laissez-leur prendre un pied chez vous, Ils en auront bientôt pris quatre.
VIII. L'Aigle et l'Escarbot.
L'AIGLE donnoit la chasse à maître Jean lapin, Qui droit à son terrier s'enfuyoit au plus vite. Le trou de l'escarbot se rencontre en chemin : Je laisse à penser si ce gîte
Etoit sûr; mais où mieux? Jean lapin s'y blottit. L'aigle fondant sur lui nonobstant cet asyle, L'escarbot intercede, et dit :
Princesse des oiseaux, il vous est fort facile D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux : Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie ; Et puisque Jean lapin vous demande la vie, Donnez-la-lui, de grace, ou l'ôtez à tous deux : C'est mon voisin, c'est mon compere. L'oiseau de Jupiter, sans répondre an seul mot, Choque de l'aile l'escarbot,
L'étourdit, l'oblige à se taire,
Enleve Jean lapin. L'escarbot indigné
Vole au nid de l'oiseau, fracasse en son absence Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance : Pas un seul ne fut épargné.
L'aigle étant de retour, et voyant ce ménage, Remplit le ciel de cris; et, pour comble de rage, Ne sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert. Elle gémit en vain; sa plainte au vent se perd Il fallut pour cet an vivre en mere affligée. L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L'escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut : La mort de Jean lapin derechef est vengée. Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces buis N'en dormit de plus de six mois. L'oiseau qui porte Ganymede
Du monarque des dieux enfin implore l'aide, Dépose en son giron ses œufs; et croit qu'en paix Ils seront dans ce lieu; que pour ses intérêts Jupiter se verra contraint de les défendre: Hardi qui les iroit là prendre. Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,
Sur la robe du dieu fit tomber une croite: Le dieu la secouant jeta les œufs à bas. Quand l'aigle sut l'inadvertence, Elle menaça Jupiter
D'abandonner sa cour, d'aller vivre au désert, De quitter toute dépendance;
Avec mainte autre extravagance. Le pauvre Jupiter se tut
Devant son tribunal l'escarbot comparut, Fit sa plainte, et conta l'affaire.
On fit entendre à l'aigle, enfin, qu'elle avoit tort. Mais les deux ennemis ne voulant point d'accord, Le monarque des dieux s'avisa, pour bien faire, De transporter le temps où l'aigle fait l'amour, En une autre saison, quand la race escarbote Est en quartier d'hiver, et, comme la mar:notte, Se cache et ne voit point le jour.
IX. Le Lion et le Moucheron.
VA-T'EN, chétif insecte, excrément de la terre !
C'est en ces mots que le lion
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