Page images
PDF
EPUB

L'alloient quelquefois testonnant,
C'est-à-dire ajustant sa tête.

La vieille, à tout moment, de sa part emportoit
Un peu
du poil noir qui restoit,
Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageoit les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille graces,
les Belles,
Qui m'avez si bien tondu :

J'ai plus gagné que perdu;
Car d'hymen point de nouvelles.

Celle que je prendrois voudroit qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.

Il n'est tête chauve qui tienne :
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.

XVIII. Le Renard et la Cicogne.

COMPERE le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commere la cicogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galant, pour toute besogne,

Avoit un brouet clair; il vivoit chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cicogne an long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cicogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis
De la cicogue son hôtesse;
Loua très fort sa politesse;

Trouva le dîner cuit à point:

Bon appétit sur-tout; renards n'en manquent point. Il se réjouissoit à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyoit friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cicogne y pouvoit bien

passer;

Mais le museau du sire étoit d'autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule auroit pris, Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

XIX. L'Enfant et le Maître d'école.
DANs ce récit je prétends faire voir

D'un certain sot la remontrance vaine.

Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.
Le ciel permit qu'un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d'école;
L'enfant lui crie: Au secours ! je péris!
Le magister, se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contre-temps s'avise
De le tancer: Ah! le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!
Et puis, prenez de tels frippons le soin!
Que les parents sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!

Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort! Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connoître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand:
Le créateur en a béni l'engeance.

En toute affaire ils ne font que songer
Au moyen d'exercer leur langue.
Hé, mon ami! tire-moi de danger;
Tu feras, après, ta harangue.

[blocks in formation]

XXI. Les Frélons et les Mouches à miel.

• A L'OEUVRE on connoît l'artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouverent: Des frêlons les réclamerent;

Des abeilles s'opposant,

Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il étoit mal-aisé de décider la chose:

Les témoins déposoient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avoient long-temps paru. Mais quoi! dans les frèlons
Ces enseignes étoient pareilles.

La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumiere,
Entendit nne fourmiliere.

Le point n'en put être éclairci.
De grace, à quoi bon tout ceci?
Dit une abeille fort prudente.
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hate:
N'a-t-il point assez léché l'ours?

Sans tant de contredits, et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frêlons et nous :

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules-si bien bâties.

Le refus des frêlons fit voir

Que cet art passoit leur savoir;

Et la guêpe adjugea ie miel à leurs parties

Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès !
Que des Turcs en cela l'on suivit la méthode!
Le simple sens commun nous tiendroit lieu de code:
Il ne faudroit point tant de frais.

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge;
On nous mine par des longueurs :

On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.

XXII. Le Chéne et le Roseau.

Le chêne un jour dit an roseau :

E

Vous avez bien sujet d'accuser la nature;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête`;
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrais de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, Ini répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel : mais quittez ce souci;
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables:
Je plie, et ue romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos :

4

4

« PreviousContinue »