Page images
PDF
EPUB

secret et profond pour toute âme tendre éprise du sentiment de l'idéal, présente à l'esprit humain un complément inestimable de vérités surnaturelles, voilà des prétentions que nous concevons à merveille; voilà un terrain de discussion pacifique sur lequel on ne demande qu'à vous suivre; mais tout débat sérieux et tout commerce loyal et sincère ne sont possibles qu'à une condition, c'est que l'indépendance absolue de la philosophie, sa compétence en matière de vérités morales et religieuses, et le caractère éminemment bienfaisant de son action soient hautement reconnus.

Hors de là, il est impossible à la religion de se maintenir elle-même, et en s'efforçant de discréditer la philosophie, de troubler et de décourager la raison, source première de toute foi, elle périt dans le naufrage universel de nos certitudes et de nos croyances.

Je me tourne maintenant vers ces esprits généreux et passionnés qui se laissant emporter aux entraînements de la lutte, ou séduire au vague espoir d'une religion nouvelle, croient servir la cause de la philosophie et celle du genre humain, en provoquant avec

ardeur la dissolution du catholicisme, et je leur dis :

Vous êtes des amis ardents, dévoués, enthousiastes de la civilisation et de ses progrès; vous êtes animés du plus noble zèle pour les intérêts spirituels de l'humanité, et vous voulez détruire la religion! Je sais que vous protestez contre l'imputation d'un tel dessein, que vous vous présentez comme des hommes essentiellement religieux, que vous distinguez le catholicisme du christianisme, n'ayant pour celui-ci que des témoignages d'admiration et de sympathie, et réservant pour le catholicisme vos attaques et vos colères. A vous entendre, la religion catholique n'est qu'un christianisme corrompu et abâtardi qu'il faut détruire au plus vite en lui opposant le véritable esprit de l'Évangile, esprit de transformation incessante, de rajeunissement et de progrès.

A Dieu ne plaise que je doute un instant de la sincérité de vos intentions et de la générosité de vos sentiments; mais quittons un instant les généralités, examinons la réalité des faits, transportons-nous au sein de la société, interrogeons ses besoins, et cherchons les moyens pratiques de les satisfaire.

Avez-vous des desseins et quels sont-ils? Détruire le catholicisme en France, sans toucher au christianisme. Voilà, si je ne me trompe, le fond de votre pensée. Mais quoi de plus hasardeux et de plus mal déterminé qu'une telle entreprise? Quel est ce christianisme dont vous vous faites les apôtres ? Si je ne me trompe, ce n'est pas plus le christianisme de Luther ou de Calvin que celui du concile de Trente; c'est un christianisme qui n'est ni la religion catholique, ni la religion protestante, mais je ne sais quelle religion supérieure, tellement sublime que vous paraissez craindre de la profaner en la définissant. Or, je le demande, est-ce là autre chose qu'une brillante chimère? Et comment un esprit un peu positif qui songe à pourvoir au besoin religieux de plusieurs millions de ses semblables pourrait-il prendre au sérieux un christianisme sans symbole précis et sans culte régulier, un christianisme réduit à quelques vagues idées de fraternité et de liberté, un christianisme commun à saint Augustin et à Pélage, à Calvin et à Rousseau, à Fénelon et à Voltaire, commun au concile de Nicée et à l'Assemblée constituante, et qui fait des montagnards de la Convention nationale les héritiers légitimes des Athanase,

des saint Thomas et des Bossuet? Est-ce là un christianisme digne du nom de religion, un christianisme qui puisse suffire aux besoins profonds et variés des âmes, les instruire de leurs devoirs et de leurs espérances, en un mot exercer sur toutes les classes de la société une influence efficace et régulière? Il est trop manifeste, et sans doute les plus clairvoyants d'entre vous ne l'ignorent pas, que détruire les institutions catholiques pour n'en laisser subsister que ce christianisme de fantaisie, bon tout au plus à satisfaire quelques mélancoliques et quelques rêveurs, c'est travailler en effet à la ruine de toute religion positive.

Plus d'un esprit sincère vous attribue, je le sais, la pensée de substituer à cette forme du christianisme qui domine en France, celle qui prévaut en Allemagne, au catholicisme le pro

testantisme. Ce serait là du moins un dessein sérieux et précis. Est-ce le vôtre? je ne le crois pas.

En tout cas, vous viendriez trop tard Vous proposeriez à la France d'entreprendre aujourd'hui ce qu'elle a pu et ce qu'elle n'a pas voulu faire au xvr" siècle. Croyezvous qu'elle ait si mal agi et s'aperçoit-on

que, pour avoir conservé l'unité catholique, elle ait failli à ses destinées ? Sans rompre cette unité, qu'elle a jugée légitime et salutaire, n'a-t-elle pas su, elle aussi, accomplir sa réformation? Quel a été le grand objet et le grand résultat de la révolution opérée par Luther? elle a fait deux choses: premièrement, elle a mis un terme à l'excessive autorité du saint-siége; en second lieu, et c'est là son côté le plus profond, elle a introduit l'esprit d'examen au sein de la religion elle-même. Mais quoi? la France n'a-telle pas réglé de tout temps avec sagesse et avec vigueur ses rapports avec Rome et imposé à l'autorité papale de justes limites? n'a-t-elle pas donné libre et ample carrière à l'esprit d'examen? n'a-t-elle pas tiré de son sein un fruit plus précieux encore et plus beau que le protestantisme, je veux dire la philosophie moderne? n'a-telle pas porté tout ensemble Descartes et Bossuet? Bossuet, qui relâche d'une main ferme et prudente les nœuds qui rattachent la religion à son centre, mais sans les briser; Descartes qui délivre la raison du joug de l'autorité, mais sans la mettre en guerre avec la foi? La France de Louis XIV n'a-t-elle pas eu de la sorte dans le gallicanisme de 1682 sa réforme reli

« PreviousContinue »