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lébré à son tour les chastes amours de l'Époux et de l'Épouse, de l'Église et de Jésus-Christ. Nul doute que ces interprétations n'aient leur danger; mais qui a mieux tracé la limite que Bossuet, quand il dit à la sœur Cornuau :

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L'Époux et l'Épouse me ravissent; c'est une matière sur laquelle on ne tarirait jamais, mais qui n'est pas propre à tout le monde. » (P. 441.)

On retrouvera ce caractère de haute mesure, dans toutes les lettres que nous allons citer. L'écrivain prévenu qui les accuse de quiétisme n'en a cité que des phrases détachées, par une réserve plus habile peut-être que sincère; nous n'hésitons pas, quant à nous, à mettre sous les yeux du lecteur dans toute leur étendue les passages les plus vivement incriminés; nous défions qu'on y trouve une phrase qui excède les limites d'un mysticisme pur et réglé.

« Le plus difficile à résoudre sur votre conduite serait de savoir si vous devez vous abandonner à ces transports ardents de l'amour divin, à cause de la crainte que vous avez qu'ils pourraient être quelquefois accompagnés de quelque mauvais effet; mais comme je ne crois pas qu'il soit en votre pouvoir de les arrêter, Dieu mème a décidé le cas, par la force du mouvement qu'il vous inspire. C'est d'ailleurs une maxime certaine dans la piété, que lorsque le tentateur mêle son ouvrage à celui de Dieu, et même que Dieu lui permet d'augmenter la tentation à mesure que Dieu agit de son côté, il n'en faut pas pour cela donner un cours moins libre à l'amour de Dieu; mais se souvenir de ce qui fut dit à saint Paul Ma grâce te suffit; car la force prend sa perfection dans l'infirmité (II, Cor. xII, 2). Méditez bien ce passage, et ne laissez point gêner votre cœur par toutes ces anxiétés ; mais dans la sainte liberté des enfants de Dieu, et d'une épouse que son amour enhardit, livrez-vous aux opérations du Verbe, qui veut laisser couler sa vertu en vous.

<< Tenez pour certain, quoi qu'on vous dise, que les mystiques se trompent ou ne s'entendent pas eux-mêmes, quand

ils croient que les saintes délectations que Dieu répand dans les âmes sont un état de faiblesse, ou qu'il leur faut préférer les privations, ou enfin que ces délectations empêchent ou diminuent le mérite. La source du mérite, c'est la charité, c'est l'amour; et d'imaginer un amour qui ne porte point de délectation, c'est imaginer un amour sans amour, et une union avec Dieu sans goûter en lui le souverain bien, qui fait le fond de son être et de sa substance. Il est vrai qu'il ne faut pas s'arrêter aux vertus et aux dons de Dieu; et saint Augustin a dit que c'est de Dieu qu'il faut jouir; mais enfin, il ajoute aussi que c'est par ses dons qu'on l'aime, qu'on s'y unit, qu'on jouit de lui. Et s'imaginer des états où l'on jouisse de Dieu, par autre chose que par un don spécial de Dieu, c'est se repaître l'esprit de chimères et d'illusions.... On peut souhaiter l'attrait, comme on peut souhaiter l'amour où il porte; on peut souhaiter la délectation, comme une suite et comme un motif de l'amour, et un moyen de l'exercer avec plus de persévérance. Quand Dieu retire ce qu'il y a de sensible dans les délectations, il ne fait que les enfoncer plus avant, et il ne laisse non plus les âmes saintes sans cet attrait, que sans amour. Quand la douce plaie de l'amour commence une fois à se faire sentir à un cœur, il se retourne sans cesse, et comme naturellement, du côté d'où lui vient le coup, et à son tour il veut blesser l'époux, qui dans le saint cantique dit: Vous avez blessé mon cœur, ma sœur, mon épouse; encore un coup, vous avez blessé mon cœur par un seul cheveu qui flotte sur votre cou (Cant. IV, 9). Il ne faut rien pour blesser l'époux; il ne faut que laisser aller au doux vent de son inspiration le moindre cheveu, le moindre de ses désirs: car tout est dans le moindre et dans le seul tout se réduit à la dernière simplicité.

<< Soyez donc simple et sans retour, ma fille, et allez toujours en avant vers le chaste époux suivez-le, soit qu'il vienne, soit qu'il fuie; car il ne fuit que pour être suivi.» (Lettres de piété et de direction, tome XI, livre xxxII, pag. 326, 327.)

En supposant que les pages qu'on vient de lire pussent exciter quelque surprise dans les esprits peu familiarisés avec le langage de la spiritualité, voici une lettre analogue qui fera tomber tous les scrupules par l'accord merveilleux qui s'y rencontre de la mysticité la plus tendre avec la plus chaste pureté :

« Le fond des dispositions que vous m'exposez, ma fille, dans votre lettre, est très-bon. L'épouse disait : Aussitôt que mon époux a fait entendre sa voix, je suis tombée en défaillance. L'original porte: Mon âme s'en est allée; elle s'est échappée (Cant. v, 2, 6). Dieu vous fait sentir quelque chose de cette disposition. L'épouse s'échappait encore à peu près de cette manière, lorsqu'elle disait: Soutenez-moi par des fleurs et par des essences de fruits confortatifs, parce que je languis d'amour (Cant. 11, 5). L'âme défaillante demande un soutien ; mais elle en reçoit un bien plus grand que celui qu'elle demande; car l'époux approche lui-même au verset suivant, et la soutenant et l'embrassant en même temps, et par là lui faisant sentir toute la douceur et la force de la grâce.

<< Les caresses intérieures que l'âme fait alors à l'époux céleste lui sont d'autant plus agréables, qu'elles sont plus libres et plus pleines de confiance; mais il faut s'en tenir là; et l'épanchement où l'on se sent porté envers les personnes qu'on sait ou qu'on croit lui être unies, a quelque chose de délicat et même de dangereux1. Ne voyez-vous pas que la chaste et fidèle épouse, en rencontrant ses compagnes et celles qui sont disposées à chercher l'époux avec elle, sans leur faire aucune caresse, leur donne seulement la commission d'annoncer à son bien-aimé ses transports et l'excès de son amour? (Cant. v, 8, 9, 17.) Cela veut dire qu'on peut quelquefois épancher son cœur, en confessant combien on est prise et éprise du céleste époux; mais il ne faut pas aller plus loin. Et quand

'Bossuet écrivait à une autre religieuse : « Je n'aime point non plus ces témoignages si sensibles d'affection. La sainteté de la vocation chrétienne et religieuse ne souffre point ces tendresses toujours trop humaines » (p. 480).

l'époux sollicite sa fidèle épouse à chanter pour ses amis, elle lui dit Fuyez, mon bien-aimé (Cant. VIII, 43, 14); ce n'est point à vos amis que je veux plaire; je ne me soucie pas même de les voir et de leur parler; fuyez, fuyez en un lieu où je sois seule avec vous. On doit être dans d'extrêmes réserves avec tout autre qu'avec l'époux, et c'est avec lui seul qu'il est permis de s'abandonner à ses désirs; car il est le seul dont les baisers, les embrassements et les caresses sont chastes et inspirent la chasteté » (lettre xxxvi, p. 328, 329).

Cette lettre met à découvert l'esprit qui anima Bossuet dans la conduite des âmes. Au lieu d'étouffer en elles le mysticisme, ce qui eût été à la fois imprudent, inutile et contraire à l'esprit de son ministère, il se monte lui-même au ton de la spiritualité, et tout en développant le sentiment mystique, il le règle et le purifie. J'en trouverais au besoin la preuve dans cette même lettre 242 dont on s'est vainement fait une arme contre le mysticisme de Bossuet. Je ne cite que les passages les plus saillants :

« Je ne m'étonne pas, si en recevant dans l'Eucharistie, par la sainte chair de Jésus, et par son humanité unie au Verbe, cette divine vertu, on fond en larmes. Cette vertu émeut, attendrit, amollit le cœur qu'elle touche et en fait couler comme le sang par les yeux. Ne vous arrêtez point à ceux qui accusent ces larmes de faiblesses; il y a des larmes semblables à celles d'un David, à celles d'un Paul, à celles de Jésus-Christ même; et s'opposer au cours de telles larmes, c'est s'opposer à la doctrine de tous les saints. C'est bien fait alors, avec l'épouse sacrée, de tirer l'époux dans le désert, dans la maison de notre mère, dans le secret des instructions de l'Église et de ses pasteurs, et de boire en sûreté sous leur conduite ces enivrantes douceurs....

<< Ne vous étonnez pas quand vous trouverez en Vousmêmes des penchants contraires à la vertu, et ne concluez pas de là que vous deviez vous retirer de la communion, dont vous pourriez abuser. Gardez-vous bien de céder à

cette prière, car c'est donner à la tentation ce qu'elle demande. Cherchez votre force dans l'Eucharistie, qui seule vous peut assujettir à la divine vertu qui sort de Jésus pour imprimer en vous sa ressemblance. Laissez-vous heureusement enivrer du désir de cette union avec le plus beau et en même temps le plus pur des enfants des hommes » (p. 513).

On s'est servi aussi contre Bossuet de cette phrase: « C'est dans la sainte Eucharistie qu'on jouit virginalement du corps de l'époux et qu'il s'approprie le nôtre. »

Il y a ici une étrange méprise; cette phrase, d'ailleurs innocente en elle-même, est tirée d'une lettre dirigée contre les faux mystiques; je citerai le passage entier d'où la phrase a été extraite, et qui lui rendra son vrai caractère :

« Je suis assuré que vous ne donnez aucune exclusion à Jésus-Christ homme dans la contemplation. Cette correspondance particulière avec la seconde personne la suppose incarnée et proche de vous. Vos retraites dans l'octave du saint sacrement sont de même esprit. Qui aime Jésus-Christ dans l'Eucharistie reconnaît son corps comme le moyen pour parvenir à son esprit. C'est dans la sainte Eucharistie qu'on jouit virginalement du corps de l'époux et qu'il s'approprie le notre » (p. 363).

Il est inutile de pousser plus loin ces citations. Quiconque lira ces lettres de Bossuet sans prévention et sans passion, n'y trouvera que des sujets d'admirer et de vénérer cette noble nature, la plus accomplie peut-être qui fût jamais. Nous nous bornerons en terminant à réduire à leur juste valeur les insinuations qu'on s'est permises sur les relations de Bossuet avec une noble religieuse de la maison de Jouarre, madame d'Albert de Luynes.

Il suffit de jeter un coup d'œil sur les lettres de cette personne pour reconnaître en elle une âme chagrine, maladive, assiégée de regrets et de scrupules. Parmi ces scrupules, il en est un plus remarquable que les autres, mais à coup sûr très-innocent. Madame d'Albert se défiait de l'affection que

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