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Justinien, et les mariages des clercs, à partir des sous-diacres, furent déclarés nuls. Quant aux grades inférieurs, ils ne tombèrent pas aussi absolument sous l'empire des lois anciennes, et à leur égard on se régla plutôt sur l'usage de chaque Église. C'est pourquoi il y eut longtemps encore en Occident des clercs mariés de cette dernière classe qui remplissaient des fonctions ecclésiastiques. Mais dès le douzième siècle la sévérité imprimée aux lois du célibat, s'étendit aux clercs inférieurs en ce sens que leur mariage, tout en demeurant valable, dut entrainer immédiatement et ipso facto la perte de l'office et des priviléges de l'état ecclésiastique. Plus tard cependant cette rigueur fut atténuée sous certaines conditions, et il fut permis de conférer, en cas de besoin, les fonctions des ordres mineurs à des hommes mariés.» (Walter, Manuel du Droit ecclésiastique trad. par M. de Roquemont, p. 277 et suiv.)

NOTE C.

DU PRETENDU QUIETISME DE BOSSUET.

Je m'empresse de dire que personne n'a jamais imputé à Bossuet les doctrines spéculatives du quiétisme. L'énormité serait trop forte et rendrait toute réfutation inutile. Tout le monde sait que Bossuet a composé plusieurs de ses plus beaux ouvrages contre le quiétisme, qu'il n'a pas plus épargné madame Guyon et son illustre défenseur qu'il ne faisait Claude et Jurieu; si ardent, si résolu, si inflexible dans cette longue lutte qu'il a paru porter quelquefois le zèle jusqu'à la passion et la sévérité jusqu'à l'injustice. C'était le génie le plus naturellement éloigné des molles douceurs de la mys ́ticité, le plus ennemi des raffinements de l'amour pur, sobre, sensé, pratique, ami de l'œuvre, profondément versé dans la connaissance du cœur humain, pénétré de la nécessité de donner une règle à tous les penchants, à tous les sen

timents de notre nature, aux plus sublimes comme aux plus grossiers.

Transformer un tel homme en quiétiste est une idée qui n'est encore venue à personne; mais on affirme avec insistance que ce même Bossuet, si solide, si profond, si sensé quand il combat le quiétisme dans l'ordre spéculatif, le professe ou du moins l'encourage dans la pratique.

Voilà une étrange contradiction, bien surprenante à coup sur dans l'homme du monde qui a le moins séparé la pratique de la théorie, dans ce Bossuet dont l'esprit et le caractère étaient si bien faits l'un pour l'autre, et qui savait si merveilleusement assujettir toutes les parties de sa riche et forte nature à cette discipline exacte, à cette inflexible règle qu'il recommandait sans cesse aux autres. Quelque singulière toutefois que cette contradiction puisse paraître, il faut examiner si Bossuet y est tombé en effet.

On a cité des lettres, recueilli les déclarations de la sœur Cornuau, commenté les aveux d'une autre pénitente de l'illustre évêque, madame d'Albert, rapproché des phrases d'un caractère assez extraordinaire. Que résulte-t-il de tout cela? Selon nous, tout cet échafaudage croule devant une distinction très-simple qui se présentera le plus naturellement du monde à tout esprit un peu versé dans les matières de spiritualité.

Cette distinction est celle du faux et du vrai mysticisme, de ce mysticisme excessif, périlleux, déréglé, que, sous divers noms et à diverses époques, l'Église a toujours condamné, et de cet autre mysticisme pur et tempéré qu'elle souffre et même qu'elle protége. D'un côté, le mysticisme de Molinos et de madame Guyon, de l'autre, celui de saint Bonaventure, de Gerson et de sainte Thérèse. Bossuet, interprète toujours fidèle de l'esprit de l'Église, comprend, accepte, encourage le mysticisme réglé; il ne poursuit, il ne défend que le mysticisme corrompu, le quiétisme. Voilà une distinction assurément bien simple. Qu'on examine, à sa lu

mière, tous les passages incriminés de quiétisme, et l'on verra s'évanouir jusqu'au plus faible soupçon. Oui, Bossuet, dans ses lettres de piété et de direction, est plus d'une fois mystique; et non-seulement on peut en convenir sans dommage pour sa gloire; mais il en faut faire honneur à l'étendue et à l'élévation de son génie; il est mystique comme saint Bernard, mystique comme l'Église; mais quiétiste, mais partisan des voies passives, mais ennemi de l'action et du libre arbitre, jamais!

Un des traits les plus beaux de l'Église chrétienne, aux jours de sa force et de sa grandeur, c'était de ne rien exclure de tout ce qui peut être réglé, c'était d'embrasser dans son vaste sein tous les développements si riches, si variés de la nature humaine. Or, le mysticisme n'a de périlleux et de mauvais que ses excès; le principe en est excellent. Que dis-je? le fond du mysticisme, c'est le sentiment religieux lui-même, c'est le besoin ardent d'élever à Dieu son esprit et son cœur, d'entretenir avec lui je ne sais quel merveilleux commerce où les sens et le corps n'ont plus de part, de rapporter à l'Être des êtres tout ce que nous sommes, à sa lumière éternelle les faibles rayons qui éclairent notre intelligence, à ce foyer inépuisable d'amour, à cet objet aimable et désirable par excellence toutes nos affections, tous nos désirs, toutes nos espérances; c'est, en un mot, le désir de quitter la terre pour le ciel, le réel pour l'idéal, le temps pour l'éternité, de nous quitter nous-mêmes, pour ainsi dire, ou du moins tout ce qui en nous tient de la terre, pour aller à Dieu, pour vivre et habiter en lui. Si tel est le principe du mysticisme, demander à une religion de le proscrire, c'est lui demander de se détruire elle-même. La seule chose qu'elle ait à faire, c'est de le tempérer. Il ne faudrait point, en effet, que le mysticisme, en nous élevant de la terre au ciel, nous fit oublier que Dieu nous a mis dans ce monde pour y accomplir une destinée, pour y remplir des devoirs, pour y laisser des œuvres de justice et de charité.

Il ne faudrait pas surtout qu'en donnant à l'ardeur contemplative de l'âme une exaltation démesurée, le mysticisme établit dans les divers éléments de la nature humaine une sorte de séparation toujours périlleuse, et, laissant toute la partie active et sensible de notre être sans objet et sans discipline, préparât des désordres et des excès dont on n'a vu que trop de tristes exemples, et aboutît, par le goût exagéré d'une perfection ici-bas impossible, aux déréglements les plus bizarres ou les plus coupables de l'imagination et des sens. Ce sont là les deux écueils du mysticisme: par la substitution graduelle de la contemplation à l'action, il affaiblit, il énerve, il anéantit la personnalité humaine; de là, le déréglement de l'imagination et des sens, et par une conséquence inévitable, le désordre des mœurs. Quand le mysticisme aboutit à ces deux extrémités, il change pour ainsi dire et d'essence et de nom; il s'appelle le quiétisme.

C'est l'honneur de l'Église et de Bossuet d'absoudre, d'embrasser, de cultiver même le vrai mysticisme en le séparant de tout excès, en le purifiant par la discipline et la règle. Rien n'est plus grand et plus touchant à mes yeux que de voir Bossuet, ce sobre et pratique génie, si exercé et si propre aux affaires, si occupé de controverse, de gouvernement, retrouver dans le recueillement de son âme une source admirable de tendre et vive mysticité, un élan religieux d'une pureté et d'une énergie merveilleuse1; et ce qui rend ce spectacle plus touchant encore, c'est que ces trésors de mystique tendresse sont mis au service d'une pauvre religieuse, et destinés, non à faire briller aux yeux du monde l'ima

"

'Entre mille admirables traits de mystique éloquence que sème Bossuet avec la négligence du génie, je citerai ces paroles qu'il adresse à la sœur Cornuau: «< Aimez-le, ma fille, ce bien unique et souverain; brûlez sans cesse pour lui d'un éternel et insatiable amour; mais ce n'est pas assez de brûler, il faut se laisser consumer par les flammes de l'amour divin, comme une torche qui se consume elle-même tout entière aux yeux de Dieu : il en saura bien retirer à lui la pure flamme, quand elle sembiera s'éteindre et pousser les derniers élans. (Tome XI, p. 302.)

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gination de l'écrivain, mais à consoler dans l'ombre une humble femme, à lui rendre la vie du cloître plus douce et plus supportable, en nourrissant en elle l'espérance d'un autre séjour. C'est à ce point de vue, si je ne me trompe, qu'il faut lire et admirer ces lettres mystiques de Bossuet qu'une critique indiscrète vient de livrer au scandale des interprétations grossières, profanant ainsi, dans l'intérêt d'une passion bien mal inspirée, un des côtés les plus purs d'un noble génie.

« Je n'écris rien qui veuille être secret, disait Bossuet luimême, comme s'il eût prévu la profanation dont il devait ètre l'objet; il faut seulement prendre garde de ne pas divulguer de tels écrits aux gens profanes et mondains qui prennent le mystère de la piété et de la communication avec Dieu pour un galimatias spirituel.» (Bossuet, t. XI, p. 328.)

On s'est scandalisé de ce que Bossuet conseille à des religieuses la lecture du Cantique des Cantiques et leur en développe lui-même avec complaisance le sens profond et mystérieux. Mais, en vérité, où le mysticisme sera-t-il de mise, si ce n'est pas dans les âmes spécialement vouées à Dieu ? Voudrait-on que Bossuet se fùt efforcé de l'arracher du cœur sincère et pur qui s'ouvrait à lui? Que serait-il donc resté à cette épouse de Jésus-Christ qui avait quitté les biens et les affections de la terre, si on lui eût interdit la jouissance des biens spirituels?

Je demande maintenant, le mysticisme chrétien une fois admis, avec les limites convenables, de quel droit on lui retrancherait l'un de ses monuments les plus respectés? Ne sait-on pas que l'interprétation du Cantique des Cantiques au sens spirituel est conforme à la tradition universelle de l'Église, depuis Origène jusqu'à saint Bernard, et depuis saint Bernard jusqu'à Bossuet? Ne sait-on pas que saint Thomas lui-même, le disciple assidu d'Aristote, l'exact théologien de l'école, ce subtil et sévère génie, que la logique semble parfois avoir desséché, saint Thomas a commenté le saint cantique dans le sens de la plus pure et la plus tendre spiritualité, et a cé

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