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abstraite, trop spéculative, trop éloignée du peuple. Ils veulent une religion.

Mais, au nom du ciel, que peut être au XIXe siècle une religion nouvelle, hors du christianisme et de la philosophie? Nous avouons ne pas le comprendre. Cette religion aura-t-elle des prophètes, des miracles, un messie? Un messie au XIXe siècle est un charlatan ou un fou. Parle-t-on d'une religion prêchée au nom de la raison? Je demande qui en donnera le symbole. Est-ce par hasard l'État? Nous voilà revenus à Hobbes. Seront-ce les philosophes? Qu'on veuille bien en trouver deux qui soient absolument d'accord sur un symbole à la fois complet et précis. S'agit-il seulement de donner à la philosophie une influence générale, de procurer la diffusion universelle des lumières et de répandre partout l'esprit de tolérance et de liberté ? C'est à merveille sans doute; mais on ne satisfait pas, on ne console pas le peuple avec des idées générales. Courbé sur la terre, tout entier aux besoins de chaque jour, il faut qu'on lui apporte tout préparé le pain spirituel, la nourriture de l'âme. Veut-on que le peuple fasse des cours de métaphysique? Ou bien, en reviendronsnous au Catéchisme de Volney? Le peuple aimera toujours mieux l'Évangile.

Tout cela est déraisonnable, contraire à la nature des choses et aux enseignements de l'histoire. Aucune fusion, aucun mariage n'est possible entre le chistianisme et la philosophie. Le christianisme y

perdrait sa règle, la philosophie sa liberté. Que l'État concilie les enseignements de la religion et ceux de la philosophie dans ses écoles, il le doit, il le peut; car, grâce à Dieu, le but moral de la philosophie et celui de la religion sont les mêmes, et, dans certaines limites, l'accord est parfait. Mais vouloir mettre en harmonie, soit par un mélange impraticable, soit par une séparation factice, deux puissances contraires, c'est aller contre la force des choses, c'est fermer les yeux volontairement sur ce qui s'est passé dans le monde depuis trois siècles 1.

La philosophie et la religion chrétienne doivent donc se développer au XIXe siècle avec une entière indépendance, et conquérir les âmes, chacune avec les moyens qui lui sont propres, sous la protection commune de l'État. Ceux qui prédisent la chute prochaine du christianisme connaissent bien mal cette grande religion, et plus mal encore le cœur humain et l'état moral de l'Europe. Le christianisme a rendu au genre humain d'inappréciables services; il est loin d'être au terme de cette sublime mission; comment aurait-il épuisé sa carrière, puisqu'il n'a pas encore épuisé ses bienfaits? Pour nous, philosophes, gardons fermement le caractère qui nous convient : défendons notre indépendance absolue avec une inébranlable énergie; mais ne nous travestissons pas en inspirés et en prophètes. Que les leçons de

Ces idées ont été reprises avec plus d'étendue dans le morceau qui suit Renaissance du Voltairianisme, § 3.

l'histoire ne soient pas perdues pour nous; n'oublions pas que l'école d'Alexandrie, dont une plume éloquente vient de nous retracer dignement la grandeur, en voulant être une église, perdit sa liberté qui faisait sa force, et pour s'être cachée derrière les symboles du paganisme, perdit tout ensemble sa franchise et sa dignité.

RENAISSANCE

DU

VOLTAIRIANISME.

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