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Du ciel, quand il le faut, la justice suprême
Sufpend l'ordre éternel, établi par lui-même ;
Il permet à la mort d'interrompre fes lois,
Pour l'effroi de la terre, & l'exemple des rois.

Voilà ce que dit à Sémiramis le Pontife de Babylone, & ce que le fucceffeur de Samuel aurait pu dire à Saul, quand l'ombre de Samuel vint lui annoncer fa condamnation.

Je vais plus avant, & j'ofe affirmer que lorsqu'un tel prodige eft annoncé dans le commencement d'une tragédie, quand il eft préparé, quand on eft parvenu enfin jusqu'au point de le rendre néceffaire, de le faire défirer même par les fpectateurs, il fe place alors au rang des chofes naturelles.

On fait bien que ces grands artifices ne doivent pas être prodigués.

Nec Deus interfit, nifi dignus vindici modus.

Je ne voudrais pas affurément, à l'imitation d'Euripide, faire defcendre Diane à la fin de la tragédie de Phèdre, ni Minerve dans l'Iphigénie en Tauride. Je ne voudrais pas, comme Shakespeare, faire apparaître à Brutus fon mauvais génie. Je voudrais que de telles hardieffes ne fuffent employées que quand elles fervent à la fois à mettre dans la pièce de l'intrigue & de la terreur & je voudrais, furtout, que l'intervention de ces êtres furnaturels ne parût pas abfolument néceffaire. Je m'explique: fi le noeud d'un poëme tragique eft tellement embrouillé, qu'on ne puiffe fe tirer d'embarras que par le fecours d'un prodige, lę

fpectateur fent la gêne où l'auteur s'eft mis, & la faibleffe de la reffource. Il ne voit qu'un écrivain qui fe tire mal-adroitement d'un mauvais pas. Plus d'illufion, plus d'intérêt.

Quodcumque oflendis mihi, fic incredulus odi.

Mais je fuppofe que l'auteur d'une tragédie fe fût propofé pour but d'avertir les hommes que DIEU punit quelquefois des grands crimes par des voies extraordinaires; je fuppofe que fa pièce fût conduite avec un tel art, que le fpectateur attendît à tout moment l'ombre d'un prince affaffiné, qui demande vengeance, fans que cette apparition fût une reffource abfolument néceffaire à une intrigue embarraffée: je dis qu'alors ce prodige, bien ménagé, ferait un très-grand effet en toute langue, en tout temps & en tout pays.

Tel eft, à peu près, l'artifice de la tragédie de Sémiramis, (aux beautés près, dont je n'ai pu l'orner.) On voit dès la première fcène que tout doit se faire par le ministère célefte; tout roule d'acte en acte fur cette idée. C'eft un dieu vengeur, qui infpire à Sémiramis des remords qu'elle n'eût point eus dans fes profpérités, fi les cris de Ninus même ne fuffent venus l'épouvanter au milieu de fa gloire. C'eft ce dieu qui fe fert de ces remords mêmes qu'il lui donne, pour préparer fon châtiment ; & c'eft de-là même que réfulte l'inftruction qu'on peut tirer de la pièce. Les anciens avaient fouvent dans leurs ouvrages le but d'établir quelque grande maxime; ainfi Sophocle finit fon Oedipe en difant qu'il ne faut jamais

appeler un homme heureux avant fa mort: ici toute la morale de la pièce eft renfermée dans ces

vers:

Il eft donc des forfaits

Que le courroux des dieux ne pardonne jamais. maxime bien autrement importante que celle de Sophocle. Mais quelle inftruction, dira - t - on, le commun des hommes peut-il tirer d'un crime fi rare, & d'une punition plus rare encore? J'avoue que la catastrophe de Sémiramis n'arrivera pas fouvent; mais ce qui arrive tous les jours fe trouve dans les derniers vers de la pièce :

Apprenez tous du moins
Que les crimes fecrets ont les dieux pour témoins.

Il y a peu de familles fur la terre où l'on ne puiffe quelquefois s'appliquer ces vers; c'est par-là que les fujets tragiques, le plus au - deffus des fortunes communes, ont les rapports les plus vrais avec les mœurs de tous les hommes.

Je pourrais, furtout, appliquer à la tragédie de Sémiramis la morale par laquelle Euripide finit fon Alcefte, pièce dans laquelle le merveilleux règne bien davantage : Que les dieux emploient des moyens étonnans pour exécuter leurs éternels decrets! Que les grands événemens qu'ils ménagent furpaffent les idées des mortels!

Enfin, Monfeigneur, c'eft uniquement parce que cet ouvrage refpire la morale la plus pure, & même la plus févère, que je le préfente à votre Eminence. La véritable tragédie eft l'école de la vertu ; & la feule

différence qui foit entre le théâtre épuré & les livres de morale, c'eft que l'inftruction se trouve dans la tragédie toute en action, c'est qu'elle y eft intéreffante, & qu'elle fe montre relevée des charmes d'un art qui ne fut inventé autrefois que pour inftruire la terre, & pour bénir le ciel, & qui, par cette raifon, fut appelé le langage des dieux. Vous qui joignez ce grand art à tant d'autres, vous me pardonnez, fans doute, le long détail où je fuis entré fur des chofes qui n'avaient pas peut-être été encore tout-à-fait éclaircies, & qui le feraient, fi votre Eminence daignait me communiquer fes lumières fur l'antiquité, dont elle a une fi profonde connaissance.

AVERTISSEMENT.

GETTE

ETTE tragédie d'une espèce particulière, & qui demande un appareil peu commun fur le théâtre de Paris, avait été demandée par l'Infante d'Espagne, Dauphine de France, qui, remplie de la lecture des anciens, aimait les ouvrages de ce caractère. Si elle eût vécu, elle eût protégé les arts, & donné au théâtre plus de pompe & de dignité.

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