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gistrature parlementaire célèbre par sa science et ses vertus. Le commerce, l'industrie, l'administration financière enrichissaient la bourgeoisie. Les habitudes commerciales lui donnaient un génie pra— tique, dont la netteté et le caractère positif la rendaient éminemment propre au gouvernement. Le clergé inférieur sortait aussi de ses rangs. Peu à peu le tiers état s'éleva au rang de ses aînés par les lumières, les richesses et les dignités administratives. Il aspira alors à l'égalité politique et la conquit en 1789 '.

Ainsi, le clergé par sa science et son influence morale, la noblesse par sa valeur et son patriotisme, le tiers état par son industrie, son habileté pratique et son ardeur de progrès, concoururent à la grandeur de la France, jusqu'au jour où une seule et puissante nation sortit de ces divers éléments. En résumé, la France s'est élevée progressivement d'une inégalité odieuse, créée par la conquête, à l'égalité raisonnable, celle qui garantit à tous les citoyens les mêmes droits en leur imposant les mêmes devoirs.

II.

ÉTAT DES TERRES.

Etat des terres sous la domination barbare. — L'état des terres est toujours corrélatif à l'état des personnes. La conquête du va siècle avait créé en Gaule une distinction profonde entre les terres allodiales et les bénéfices. Je ne parle pas des terres tributaires, pour lesquelles les colons payaient le cens. Elles ne constituaient pas une véritable propriété. Le nom d'alleu (all-od, toute propriété, terre possédée en toute propriété) désignait les terres qui, aussitôt après la conquête, avaient été tirées au sort et partagées entre les vainqueurs. De là leur venait encore le nom de sortes barbarica. On les

1. Voy., dans ce Dictionnaire, les articles ASSEMBLÉES POLITIQUES, COMMUNES, ÉTAT tiers), ÉTATS GÉNÉRAUX, MUNICIPALITÉ. -Les ouvrages de M. Aug. Thierry, principalement ses Lettres sur l'histoire de France, l'Introduction aux récits des temps mérovingiens et son Histoire du tiers état, sont les ouvrages les plus utiles à consulter pour l'histoire des communes et du tiers état en France. Les deux premiers volumes des Documents relatifs à l'histoire du tiers état, ont paru dans la collection des Documents inédits, publiés sous les auspices du ministère de l'instruction publique ; ils comprennent les documents relatifs à la commune d'Amiens.

appelait aussi terres saliques, du mot sala (maison). L'ahriman campait dans son alleu entouré de ses compagnons d'armes et y était presque souverain. L'alleu était donc, dans le principe, la terre par excellence; il ne payait pas les taxes ordinaires, n'imposait que l'obligation de prendre les armes en cas de guerre générale ou landwehr, et donnait à chaque grand propriétaire une autorité presque absolue dans ses domaines. Mais les avantages mêmes des alleux causèrent leur ruine; les propriétaires de ces terres restèrent isolés, et, dans un temps de confusion et de violence, où la loi était sans force pour garantir la propriété, cet isolement les exposa à des attaques. La plupart furent obligés de se mettre sous la protection d'un seigneur plus puissant; on appela cet usage mainbour, mundeburge ou recommandation. Peu à peu les alleux disparurent, et, dans la suite, on regarda comme une anomalie l'existence d'une de ces terres dont le propriétaire était presque souverain; on les appela royaumes. Telle est l'origine de la tradition sur le royaume d'Yvetot'.

Les bénéfices, au contraire, gagnèrent autant que perdirent les alleux. Le bénéfice ou terre accordée en récompense d'un service rendu dans la guerre n'avait été d'abord concédé que temporairement. Le leude, qui le recevait, était tenu au service militaire, en cas de fehde ou guerre privée, aussi bien qu'en cas de landwher ou guerre générale. Il avait à payer certaines redevances pour sa terre, et, à des époques déterminées, il devait comparaître à la cour du chef de guerre ou kœnig, et lui rendre, en qualité de ministerialis, certains offices presque serviles. Le leude qui manquait à ces obligations pouvait être privé de son bénéfice; mais peu à peu l'aristocratie des leudes conquit l'indépendance. Dès 560, Clotaire Ir reconnut, par la loi désignée sous le nom de prescription trentenaire, que l'occupation d'un bénéfice pendant trente ans en conférait la propriété. Peu de temps après le traité d'Andelot (587), et surtout le champ de mars de Paris (615), assurèrent aux leudes l'inamovibilité et l'hérédité des bénéfices. Dès lors, les leudes for

1. Voy., dans ce Dictionnaire, les articles AHRIMAN, ALLEUX, BÉNÉFICES, FÉODA LITE, LEUDES, MAINBOUR, PROPRIÉTÉ, YVETOT (royaume d'). Outre les ouvrages cités plus haut, p. iv, note, on peut consulter l'Histoire du droit de propriété fon cière en Occident, par M. Ed. Laboulaye (Paris, 1839, in-8).

mèrent une aristocrație territoriale si puissante, que les propriétaires d'alleux aspirèrent à y entrer, et, pour y parvenir, changèrent par la recommandation la nature de leurs terres. Ce fut en vain que Charlemagne lutta contre cette tendance et revendiqua les droits des anciens propriétaires. Après sa mort, l'aristocratie profitant de la faiblesse des rois, usurpa tous les droits de souveraineté, couvrit la France de forteresses, et attacha le pouvoir à la possession du sol. Ainsi naquit la véritable féodalité.

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Importance de la terre dans le régime féodal. Le système féodal consiste surtout, comme l'a très-bien remarqué M. Guizot, dans la confusion de la propriété et de la souveraineté. De là l'importance attachée à la terre féodale qu fief. Les garanties les plus minutieuses en assurent l'intégrité. Elle est inaliénable et indivisible; l'aîné seul en hérite et la transmet de mâle en mâle. De là le droit d'aînesse; l'exclusion des filles du droit de succession; de là ces coutumes qui, comme le retrait lignager, réservaient le droit du seigneur sur la terre. La plupart des droits ou devoirs féodaux hommage, relief, mainmorte, aubaine, épave, bris, étaient une conséquence de la possession du sol et avaient pour but de la constater et de la garantir. Les croisades portèrent une première atteinte à cette propriété exclusive de la terre par les familles nobles. Les seigneurs, partant pour des contrées lointaines, furent obligés d'aliéner une partie de leurs domaines; ils les vendirent souvent à des vilains qui, à force d'économie et de travail, avaient amassé quelque argent. La richesse mobilière, créée par l'industrie, commença ainsi à compter à côté de la richesse immobilière créée par la conquête.

Etat des terres depuis le XIIIe siècle. - Pendant la période monarchique, du XIIe au XVIIIe siècle, les vilains purent acheter des terres nobles et des francs-fiefs, en payant à la couronne une redevance qu'elle avait soin de stipuler, et qui faisait partie de ses domaines. Malgré les immunités dont continuèrent de jouir les terres nobles et les biens de mainmorte, il y eut possibilité pour tous les citoyens d'arriver à la propriété. Enfin la révolution de 1789, en imposant les mêmes charges à toutes les propriétés, a donné une nouvelle consécration au principe d'égalité. En même temps la vente des biens nationaux et l'abolition des prérogatives féodales contribuèrent encore à la division de la propriété. Les majorats et le droit d'aînesse, qui maintenaient la grande propriété, disparurent. Ainsi,

la France a passé de la propriété conquise par l'épée à la propriété conquise par le travail. A quelques milliers de Francs maîtres du sol et le faisant exploiter par leurs serfs, ont succédé des millions de propriétaires qui fécondent la terre par leur travail '.

Pour faire respecter la propriété et garantir l'état des personnes, il faut une force publique organisée; c'est le gouvernement. Il se divise en pouvoir central et en pouvoir local.

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Le pouvoir central comprend le souverain, ses ministres, les conseils qui les éclairent, et les assemblées nationales, qui, dans les gouvernements constitutionnels, sont chargées de représenter les intérêts du peuple, et de balancer l'autorité du pouvoir exécutif.

Du pouvoir central sous la domination romaine et barbare. L'empire romain avait réuni tout le pouvoir politique entre les mains de l'empereur et de ses ministres. Le préfet du prétoire des Gaules, ses vicaires et les gouverneurs de provinces exerçaient l'autorité souveraine sous la direction de l'empereur, sans aucun contrôle de la nation. Leur unique but était de puiser dans les provinces toutes les ressources en hommes et en argent, et de les faire passer entre les mains du pouvoir central. Instruments de l'empereur, ils pouvaient être brisés par son caprice. L'invasion des barbares qui, depuis 406 jusqu'à la fin du ve siècle, ne cessèrent de ravager la Gaule, détruisit cette tyrannie savamment combinée, et y substitua un gouvernement grossier où le chef de guerre commandait par la force. Les voies romaines disparurent; le vaste réseau de fonctionnaires qui couvrait la Gaule fut rompu, et chaque guerrier franc campé dans ses domaines avec ses hommes d'armes se considéra presque comme un souverain indépendant.

Cependant le souvenir de cette majestueuse unité romaine qui

1. Voy. les articles AUBAIN, FÉODALITÉ, HOMMAGE, MAINMORTABLES, NOUVEAUX ACQUÊTS, PROPRiété, Relief, RETRAIT. et les ouvrages cités plus haut, p. v, note.

étendait son autorité du centre aux extrémités de l'empire, et portait partout ses ordres et ses légions, survécut à l'empire romain. Il grandit même à mesure qu'on s'éloigna de l'époque où dominaient les Césars, semblable aux ruines qui apparaissent plus imposantes dans le lointain. On ne voyait plus la tyrannie des agents du fisc, la misère des curiales et la révolte naissant de l'oppression. Les rois barbares et leurs conseillers gallo-romains ou ecclésiastiques étaient surtout frappés de la puissante unité de l'empire romain et du mécanisme savant de son administration. Ils s'efforcèrent de le reproduire; mais leur gouvernement n'en fut qu'une grossière imitation : le kœnig ou roi barbare se para de titres romains, prit le diadème, s'entoura de référendaires, de chambellans et de ministeriales.

Ce fut surtout à l'époque de Charlemagne que la cour impériale présenta l'étrange alliance du cérémonial byzantin et des mœurs de la Germanie. Mais la confusion des pouvoirs militaire, judiciaire et administratif, la prépondérance des grands propriétaires souverains dans leurs domaines, tout attestait l'impuissance des efforts tentés pour faire revivre la centralisation romaine. La féodalité, qui est le dernier terme de l'affaiblissement de l'autorité centrale, finit par annuler la puissance monarchique. La souveraineté confondue avec la propriété se mesura à l'étendue des terres, et les derniers carlovingiens réduits à la ville de Laon furent condamnés à l'impuissance 1. Royauté capétienne. Les premiers capétiens n'étaient guère plus redoutables. L'alliance de Louis VI avec les communes commença à relever le pouvoir central. La royauté capétienne se rattachait à l'Église par le sacre, à la féodalité par l'autorité du suzerain sur le vassal, au peuple par son influence tutélaire; elle ne tarda pas à invoquer le principe romain qui la représentait comme la personnification de l'État, comme la loi vivante. Le duché de France soumis à l'autorité royale, la féodalité vaincue dans les châteaux du Puiset, de Montlhéry, de la Roche-Guyon; le sentiment national s'éveillant à l'approche d'une invasion germanique (1125), l'union étroite de la royauté et du peuple, un mariage enfin qui donnait le duché d'Aquitaine à l'héritier présomptif de la couronne, telles furent les premières causes de la renaissance du pouvoir central en

1. Voy. les articles CAPITULAIRES, FEODALITÉ, MEROVINGIENS, ROI, § 1, ROMAINS, et Fouvrages cités plus haut, p. v, note.

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