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SCENE V.

L'INFANTE feule.

JUfte ciel, d'où j'attends mon reméde,

Mets enfin quelque borne au mal qui me poffède, Affure mon repos, affure mon honneur,

Dans le bonheur d'autrui je cherche mon bonheur, Çet hymenée à trois également importe;

Rends fon effet plus prompt, ou mon ame plus

forte:

D'un lien conjugal joindre ces deux amans,

C'est briser tous mes fers, & finir mes tourmens. Mais je tarde un peu trop, allons trouver Chimene, Et par fon entretien foulager notre peine.

SCENE VI.

LE COMTE, D. DIEGUE.

LE COMTE.

Nfin vous l'emportez, & la faveur du Roi

E vous élève en un rang qui n'étoit dûà qu'à moi; Il vous fait gouverneur du prince de Caftille.

D. DIEGU E.

Cette marque d'honneur qu'il met dans ma famille Montre à tous qu'il eft jufte, & fait connoître affez Qu'il fait récompenfer les fervices paffés.

LE COMTE.

Pour grands que foient les Rois, ils font ce que nous fommes,

Ils peuvent fe tromper comme les autres hommes ;

A S

Et ce choix fert de preuve à tous les courtisans,
Qu'ils fçavent mal payer les fervices préfens.
D. DIEGU E.

Ne parlons plus d'un choix dont votre efprit s'irrite,

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La faveur l'a pu faire autant que le mérite;
Mais on doit ce refpect au pouvoir abfolu,
De n'examiner rien, quand un Roi l'a voulu.
A l'honneur qu'il m'a fait, ajoutez-en un autre
Joignons d'un facré nœud ma maison à la vôtre;
Vous n'avez qu'une fille, & moi je n'ai qu'un fils
Leur hymen nous peut rendre à jamais plus qu'a-
mis,

Faites-nous cette grace, & l'acceptez pour gendre.
LE COMTE.

A des partis plus hauts ce beau fils doit prétendre ;
Et le nouvel éclat de votre dignité

Lui doit enfler le cœur d'une autre vanité.
Exercez-la, Monfieur, & gouvernez le prince;
Montrez-lui comme il faut régir une province,
Faire trembler par-tout les peuples fous fa loi,
Remplir les bons d'amour, & les méchans d'effroi.
Joignez à ces vertus celles d'un capitaine;
Montrez-lui comme il faut s'endurcir à la peine,
Dans le métier de Mars fe rendre fans égal,
Paffer les jours entiers & les nuits à cheval,
Reposer tout armé, forcer une muraille,
Et ne devoir qu'à foi le gain d'une bataille.
Inftruifez-le d'exemple, & rendez-le parfait,
Expliquant à fes yeux vos leçons par l'effet.
D. DIEGU E.

Pour s'inftruire d'exemple, en dépit de l'envie,
Il lira feulement l'histoire de ma vie.
Là, dans un long tiffu de belles actions,
Il verra comme il faut dompter les nations,
Attaquer une place, ordonner une armée,
Et fur de grands exploits bâtir fa renommée.

I

LE COMTE.

Les exemples vivans font d'un autre pouvoir,
Un prince dans un livre apprend mal fon devoir.
Et qu'a fait après tout ce grand nombre d'années,
Que ne puiffe égaler une de mes journées ?
Si vous fûtes vaillant, je le fuis aujourd'hui,
Et ce bras du royaume eft le plus ferme appui.
Grenade, & l'Arragon tremblent quand ce fer
brille,

Mon nom fert de rempart à toute la Castille;
Sans moi vous pafferiez bientôt sous d'autres loix,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois.
Chaque jour, chaque inftant, pour rehausser ma
gloire,

Met lauriers fur lauriers, victoire fur victoire.
Le Prince à mes côtés feroit dans les combats
L'effai de fon courage à l'ombre de mon bras,
Il apprendroit à vaincre en me regardant faire ;
Et pour repondre en hate à fon grand caractére,
Il verroit....

D. DIEGU E.

Je le fçai, vous fervez bien le Roi,
Je vous ai vu combattre, & commander fous moi.
Quand l'âge dans mes nerfs a fait couler fa glace,
Votre rare valeur a bien rempli ma place;
Enfin, pour épargner des difcours fuperflus,
Vous êtes aujourd'hui ce qu'autrefois je fus.
Vous voyez toutefois qu'en cette concurrence
Un Monarque entre nous met quelque différence.
LE COMTE.

Ce que je méritois vous l'avez emporté.
D. DIEGU E.

Qui l'a gagné fur vous l'avoit mieux mérité.
LE COMTE.

Qui peut mieux l'exercer en eft bien le plus digne.
D. DIEGU E.

En être refufé n'en eft pas un bon figne.

LE COMTE.

Vous l'avez eu par brigue étant vieux courtisan

D. DIEGU E.

L'éclat de mes hauts faits fut mon feul partisan.
LE COMTE.

Parlons-en mieux, le Roi fait honneur à votre âgei
D. DIEGU E.

Le Roi, quand il en fait, le mesure au courage.
LE COMT E.

Et par-là cet honneur n'étoit dû qu'à mon bras.
D. DIEGU E.

Qui n'a pu l'obtenir ne le méritoit pas

LE COMTE.

Ne le méritoit pas ! Moi?

D. DIEGU E.

Vous.

LE COMTE.

Ton impudence;

Téméraire vieillard, aura fa récompenfe.

(Il lui donne un foufflet.)

D. DIEGUE mettant l'épée à la main. Acheve, & prens ma vie après un tel affront, Le premier dont ma race ait vu rougir son front. LE COMTE.

Et que penfes-tu faire avec tant de foiblesse ?

D. DIEGUE après que fon épée est tombée.
O Dieu! Ma force usée en ce befoin me laiffe!
LE COMTE.

Ton épée eft à moi, mais tu ferois trop vain,
Si ce honteux trophée avoit chargé ma main.
Adieu. Fais lire au Prince, en dépit de l'envie,
Pour fon inftruction l'hiftoire de ta vie ;
D'un infolent difcours ce jufte châtiment
Ne lui fervira pas d'un petit ornement.

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D. DIE GUE feul.

Rage! O défefpoir! O vieilleffe ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie?
Et ne fuis-je blanchi dans les travaux guerriers,
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers?
Mon bras qu'avec refpect toute l'Espagne admire,
Mon bras qui tant de fois a fauvé cet empire,
Tant de fois affermi le trône de fon Roi,

Trahit donc ma querelle, & ne fait rien pour moi ?
O cruel fouvenir de ma gloire paffée !
Euvre de tant de jours en un jour effacée!
Nouvelle dignité fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d'où tombe mon honneur!
Faut-il de votre éclat voir triompher le Comte,
Et mourir fans vengeance, ou vivre dans la honte?
Comte, fois de mon prince à préfent gouverneur,
Ce haut rang n'admet point un homme fans hon-

neur;

Et ton jaloux orgueil par cet affront infigne,
Malgré le choix du Roi, m'en a fçu rendre indigne.
Et toi, de mes exploits glorieux inftrument,
Mais d'un corps tout de glace inutile ornement,
Fer, jadis tant à craindre, & qui dans cette offenfe
M'as fervi de parade, & non pas de défense,
Va, quitte déformais le dernier des humains,
Paffe pour me venger en de meilleures mains.

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