Page images
PDF
EPUB

lieu les prosateurs et, conformément aux indications de l'histoire, nous en finirons avec les survivants du xvre siècle avant d'aborder les initiateurs du xvII.

3o Revue des Prosateurs. La faiblesse de la prose dans cette période tient à la qualité et non à la quantité. Car ses représentants sont nombreux et de toute provenance. Ecclésiastiques, magistrats, grands seigneurs, hommes d'État, le roi lui-même, écrivent par goût, autant que par occasion et par besoin, et font concurrence aux auteurs de profession. Nous procéderons à une rapide énumération de ces prosateurs en les rattachant soit à la classe sociale dont ils font partie, soit au genre où ils se sont exercés. Mais nous mettrons à part, en vue d'un examen moins sommaire et nous garderons pour la fin quatre de ces œuvres en prose qui doivent une importance plus grande à la fidélité avec laquelle s'y reflètent les tendances communes ou les divergences du temps.

[ocr errors]

Œuvres de Henri IV (1553-1610). A tout seigneur, tout honneur. C'est par le roi que nous commençons. On a de lui, sans parler de quelques chansons plus ou moins authentiques, une douzaine de harangues politiques et militaires et une volumineuse correspondance, où ses plaisirs, ses amours, ses vues et ses préoccupations de chef d'État ont leur place. L'homme s'y montre à côté du prince et se rend sympathique par ses défauts séduisants autant que par ses qualités. C'est même le côté humain et personnel qui constitue l'intérêt vrai de cette collection épistolaire. Les grandes lettres d'affaires n'y sont guère abordables et ne comptent que comme documents. La réflexion n'est pas le fort de Henri IV: quand sa pensée s'arrête longtemps sur un objet sérieux, elle s'alourdit, s'épaissit, s'allonge en phrases hérissées de relatifs et de conjonctions, d'où on a grand peine à la dégager. Mais ses billets rapides, visiblement improvisés, ont une vraie valeur littéraire. Son esprit n'est jamais plus à l'aise que lorsqu'il se voit mesurer le temps et l'espace. En dix lignes, il dit tout ce qu'il a à dire, de la façon la plus piquante et la plus aimable.

La même verve primesautière, la même gaillardise, le même bonheur de saillies éclatent dans les quelques harangues que nous avons de lui. C'est court sans rien de sec, familier sans

bassesse, plaisant sans malignité. L'autorité du roi s'y fait sentir, mais tempérée par la bienveillance de l'homme, indulgent et par nature et par expérience et par politique.

On pourrait faire en dix pages un charmant petit recueil des dits et écrits du Béarnais. Le malheur est qu'il faudrait en retrancher la lettre connue sur Plutarque. C'en serait le joyau, si elle était authentique ; mais elle n'est, paraît-il, qu'un diamant faux.

---

Écrivains du Clergé, chaire et controverse. Du prince nous passons aux sujets, dont beaucoup ne le valent pas, même la plume à la main, et nous abordons les gens d'Église, et en premier lieu les prédicateurs. Ceux-ci sont en général plus modérés que sous la Ligue, où ils s'étaient donné, comme on sait, de singulières licences. A part quelques enfants terribles contre lesquels il fallut sevir, ils évitent les tirades politiques, naguère obligatoires. Il leur arrive même de reculer, soit lassitude personnelle, soit peur d'ennuyer, devant la prédication du dogme, et, jusqu'à François de Sales, ils prèchent la morale plus en philosophes qu'en ministres du culte. On voit qu'ils ont lu et goûté Charron. L'influence de l'évêque de Genève rendit bientôt au sermon le caractère chrétien qu'il avait à peu près perdu, mais elle n'y introduisit pas le goût, et pour cause. Les orateurs de la chaire continuent à sacrifier à l'érudition. Les citations pédantes, les comparaisons saugrenues jaillissent à flot de leur bouche. Ils parlent latin, ils parlent grec, ils mettent à contribution, dans leur amour de la métaphore, toutes les parties de la science y compris la pharmacopée et tous les règnes de la nature. Avant et après François de Sales, c'est le trait dominant et qu'on retrouve dans Besse, dans Valadier, dans le fade. et douceâtre Cotton, devenu à force d'insinuation le confesseur de Henri IV, dans le facétieux et intarissable Camus, dans le fastueux Duperron, dans le tendre François de Sales lui-même. Fenoillet, disciple de ce dernier, est le seul qui se soit un peu dérobé à cette contagion de mauvais goût. Il a mis dans son style quelque chose de cette sagesse que les autres se contentaient de mettre dans leurs opinions politiques. Son oraison funėbre de Henri IV est à peu près raisonnable mais ne lui donne pas rang parmi les grands orateurs. Si d'ailleurs ce titre appar

tenait à ceux qui ont produit le plus d'effet par leurs discours, c'est à Duperron qu'il reviendrait de préférence à tout autre. Nous allons dire quelques mots de ce prélat célèbre qui a pour nous l'avantage de représenter au vif l'état d'esprit du clergé au sortir de la Ligue, avant le réveil religieux provoqué par l'Introduction à la vie dévote. La génération ecclésiastique dont il est le chef considère volontiers le sacerdoce comme un métier dont on est quitte quand on a célébré les cérémonies, prêché, combattu les hérétiques avec plus ou moins de conviction. Moyennant une régularité extérieure et une orthodoxie de commande, le prêtre est libre de ses idées et de ses actes. Sa conscience n'est pas engagée.

Duperron (1556-1618). - Jacques Davy Duperron, fils d'un ministre protestant, fut célèbre dès sa première enfance par la précocité de son intelligence et de son savoir. Jeune homme, il eut des succès de poète et compta avec Desportes et Bertaut parmi les disciples de Ronsard. Mais la poésie ne lui tenait pas autrement au cœur. Il voulait faire fortune il abjura à grand bruit et entra dans les ordres. Il eut à la chaire le même bonheur qu'au Parnasse et, grâce à quelques sermons à effet, notamment à son oraison funèbre du chef de la Pléiade, fut considéré comme le premier des prédicateurs. A vrai dire, les jaloux prétendaient que ses convictions n'étaient guère solides, qu'il avait surtout la religion de son intérêt et qu'il n'était au fond qu'un athée; et ils citaient à l'appui de leur dire ce coup de foudre qui avait frappé une église pendant une de ses prédications et qu'ils feignaient d'interpréter comme une marque de la réprobation céleste à l'égard d'un prêtre indigne. Il se trouva des gens pour croire à cette bourde et l'on raconte que certains curės, pour concilier et le goût des fidèles qui aimaient notre orateur et la préservation de leur église, ne faisaient prêcher Duperron qu'en hiver. Lui-même ne se mettait pas autrement en peine de ces propos, qui n'étaient pas pour le blesser, s'il est vrai qu'après avoir démontré un jour devant Henri III, par raisons péremptoires, l'existence de Dieu, il se soit offert å démontrer séance tenante et par raisons non moins péremptoires la thèse contraire. Politique avant tout, il fut l'un des agents les plus actifs de la conversion de Henri IV et de l'accord

heureux qui concilia à ce prince, à défaut du saint-siège encore récalcitrant, la majorité de l'épiscopat français. Une fois accepté, sacré et proclamé par l'Église nationale, le roi pouvait attendre l'absolution du pape; il préféra la demander et chargea de ce soin l'habile d'Ossat; mais, pour mieux masquer les démarches de son vrai représentant, il envoya à Rome Duperron dont la faconde bruyante devait détourner et dérouter l'attention de nos adversaires. Cette tactique réussit, et la réconciliation du roi avec le pape eut lieu. Duperron s'en attribua naturellement tout le mérite; on ne le crut pas à la lettre; mais on le récompensa du bruit qu'il avait fait à propos en ajoutant à l'évêché dont il était pourvu un titre de cardinal.

Il jouait d'ailleurs, en dépit des médisants, son rôle de soutien de la foi, de rempart de l'orthodoxie. Il provoquait les protestants à des controverses publiques où sa prestesse de langue et sa rouerie lui donnaient facilement le dessus. Le grave DuplessisMornay, pour s'être risqué à un tournoi de ce genre, compromit sa réputation de théologien.

Pour se reposer de ces batailles, Duperron relisait Rabelais, dont l'œuvre était pour lui « le livre » sans épithète. Il ne composait plus de vers les derniers qu'il eût faits étaient en l'honneur de Gabrielle d'Estrées et n'avaient pas nui à son avancement dans l'Église. Mais il s'intéressait à la poésie, à la langue; il en signalait les faiblesses et les lacunes et demandait qu'on y remédiât. Il s'entourait d'écrivains et de poètes qu'il encourageait, conseillait, recommandait aux grands seigneurs, produisait à la Cour. C'est lui qui fit venir Malherbe à Paris et le mit en lumière. On l'appelait en plaisantant le colonel-général de la littérature. Des titres qu'il a portés celui-là n'est pas le moins valable aux yeux de la postérité.

Sous la régence de Marie de Médicis, Duperron redoubla d'orthodoxie extérieure jusqu'à se faire, par politique, de gallican qu'il avait été jusque là, espagnol et ultra-romain. Aux états de 1614, il demanda, avec plus d'insistance que personne, l'adoption en France de la partie disciplinaire du Concile de Trente et la répression impitoyable de l'incrédulité. Ce zėle était un peu excessif de la part d'un homme qui faisait de Rabelais son bréviaire,

Son rôle historique a préservé son nom de l'oubli contre lequel ne l'auraient certainement défendu ni ses poésies, ni ses traités théologiques, ni ses Ambassades où se lisent des dépêches d'une pompe banale, sans portée ni intérêt. Dans le naufrage de ses œuvres sa physionomie a surnagé : elle reste comme l'image la plus caractéristique de ce clergé médiocrement estimable que les guerres de religion avaient légué à l'Église gallicane.

La robe. L'Église ne fut pas seule à souffrir de nos discordes civiles l'autre centre pensant, l'autre foyer intellectuel de la nation à cette époque, je veux dire le barreau, la magistrature, en subit l'atteinte quoiqu'à un moindre degré et en vit baisser son niveau moral.

L'âge d'or de la robe est au milieu du xvre siècle. Étendue et profondeur de savoir, désintéressement, intégrité, force d'âme, dignité austère de la vie, tels sont les traits ordinaires du magistrat de ce temps. Qu'il s'y soit joint quelque pédantisme, la chose importe peu. L'essentiel a été obtenu, puisque la justice a été équitablement rendue et que de belles existences se sont écoulées dans la vertu pour le plus grand honneur du pays. L'épreuve de la Ligue ne fut pas des plus favorables à la magistrature qui y vit fléchir et se démentir plus d'un caractère estimé. La décadence continua sous Henri IV, mais il y avait encore de beaux restes de l'antique prud'homie.

Pierre Pithou était mort, mais son frère François poursuivait les travaux d'érudition entrepris en commun. Étienne Pasquier, qui avait vu six règnes et était destiné à en voir commencer un septième, gardait dans un âge avancé la vigueur de son esprit et la fécondité de sa plume. Le président de Thou composait sa grande histoire. Duvair écrivait ses œuvres morales. Depuis que les Mangot, les d'Espeysses, les Versoris s'étaient tus, que Loysel avait publié en guise de testament son Traité des avocats, le barreau était occupé non sans éclat par les Marion, les Robert, les Dolé, les Arnauld. Enfin la vertu du premier président Achille de Harlay, dominant et illustrant toute la corporation, égalait presque et, en tout cas, rappelait celle du chancelier de l'Hôpital.

L'ensemble est encore imposant; mais les pertes sont visibles et le seront chaque jour davantage. De ces gens de robe, les seuls

« PreviousContinue »