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dirait aux premiers écrits de Montesquieu et de Voltaire. Cette génération était incrédule d'opinion et non par circonstance; elle avait plus de conviction philosophique que le prédicateur ne lui en attribuait. Aussi ne se laissa-t-elle pas convertir par lui, tout en rendant justice à son talent de moraliste et d'écrivain. Le caractère dominant de Massillon, c'est le pathétique. Venu après ce Bourdaloue qui ne songe qu'à instruire, il ne dédaigne pas de plaire, mais cherche surtout à émouvoir. Il attendrit la parole sacrée et y fait circuler un sentiment plus vif des passions humaines. Il pénètre dans les secrets replis du cœur humain de manière à l'étonner et à le confondre; il en détaille les faiblesses les plus communes avec une telle exactitude qu'il en rajeunit la description; il effraye et console tour à tour; il tempère ce que l'Évangile a de plus austère par tout ce que la pratique de la vertu a de plus attrayant. Ce moraliste consommé sait donner à ses peintures saisissantes, à ses réflexions judicieuses ou profondes, la parure d'un style dont l'art se dissimule sous les apparences de la facilité et dont l'harmonie charme l'oreille, en même temps que les expressions parlent à l'imagination ou vont au cœur.

On a reproché à ses plans d'être mesquins à force de simplicité : il faudrait plutôt le louer d'avoir su rejeter ces divisions compliquées, chères aux autres prédicateurs et qui après avoir été le défaut de la jeunesse de Bossuet restèrent jusqu'au bout celui de Bourdaloue : c'est ce dernier qui prêchant sur la misère de l'homme traitait successivement: 1o du comble de notre misère; 2° de l'excès de notre misère; 3° du prodige de notre misère; 4o de la malignité de notre misère; 5o de l'abomination de notre misère; 6° de l'abomination de la désolation de notre misére. Mieux vaut pêcher par excès de simplicité que d'imposer à un auditoire la peine de retenir ces froides catégories. D'ailleurs la simplicité de Massillon n'enlève rien à l'abondance et à la richesse de ses développements. Son procédé ordinaire est l'amplification qui consiste à prendre une pensée, à la présenter sous toutes ses faces, à en varier l'expression, à épuiser en quelque sorte tout ce qu'elle peut fournir de traits et de nuances. Il en fait l'emploi le plus heureux et sait se garder du décousu qui en est souvent la conséquence. Tout se tient chez

lui, et à défaut d'une composition suivie et graduẻe, c'est au moins une composition équilibrée dont les parties se correspondent et se font contrepoids de manière à être en quelque sorte inséparables les unes des autres. On peut ajouter que ses exordes sont toujours heureux et qu'il excelle à trouver de ces pensées saisissantes qui, dès le premier mot, font impression sur l'esprit et lui donnent l'idée de quelque chose d'intéressant et qu'il faut écouter avec soin.

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A cet art accompli Massillon a su joindre une vue profonde des désordres causés en nous par la passion, une clairvoyance à les distinguer, une éloquence à les dénoncer, une douceur à les plaindre qui le mettent au premier rang des moralistes de la chaire. Après lui c'en est fait de la prédication. Le clergé abandonne à peu les voies laborieuses où il avait trouvé l'influence et la gloire. Il compte sans doute encore des prédicateurs distingués, mais d'ordinaire plus sensibles à leurs succès personnels qu'à l'intérêt de la religion et au salut des âmes. C'est à ces successeurs dégénérés de Massillon que convient l'épithète « de rhéteur » qu'on a eu le tort de lui infliger à lui-même et que la vérité de son observation et son onction pénétrante auraient bien dû lui épargner.

6° La prédication protestante: Saurin. Notre tableau de la chaire chrétienne au XVIIe siècle serait incomplet si nous ne disions aussi quelques mots de l'éloquence sacrée chez les pro

testants.

Leur prédication l'avait emporté au début sur la prédication catholique et avait vu les Calvin, les Farel, les Froment, les Bèze, se mettre par la vigueur nerveuse de l'argumentation bien au-dessus de leurs adversaires. Mais elle était restée stationnaire, sans rien changer à ses procédés, et surtout sans se départir du caractère militant qui lui faisait négliger la morale pour discuter le dogme et combattre la papauté. Un sermon huguenot n'est guère, dans la première moitié du siècle, que l'explication d'un texte élucidé à grand renfort d'érudition et dont chaque mot donne lieu à une attaque en règle contre Rome : il se termine invariablement par une conclusion en faveur de la Réforme contre le catholicisme à laquelle se joint parfois, mais pas toujours, une courte exhortation à l'auditoire.

A s'attarder ainsi dans les broussailles de la théologie, à s'interdire le champ immense du cœur humain et de la morale chrétienne, à laisser sans emploi leur imagination et leur sensibilité, les réformés restèrent bien au-dessous des catholiques. En dehors de quelques professeurs des Académies de Sedan, de Saumur, de Genève, on aurait de la peine à citer chez eux des prédicateurs de renom. La liste, en cinquante ans, ne comprend que les noms de Michel Lefaucheux, de Pierre Dumoulin de Sedan, de Daillé de Saumur, de Mestrezat qui soutint une controverse célèbre avec Paul de Gondi, et de Charles Drelincourt.

La première tentative pour renouveler l'éloquence protestante fut faite par le genevois Morus qui vint prêcher à Paris vers 1660 et y fit applaudir sa rhétorique précieuse et ampoulée. Disciple assez maladroit de Balzac, il affectait les hyperboles, les rapprochements singuliers, les mots à effet, les traits inattendus. Son succès passager fut tout personnel et il ne fit pas école. On ne tarda pas à mettre au-dessus de lui des prédicateurs sérieux et édifiants, qui essayaient de porter dans la chaire protestante quelques-unes des qualités de l'éloquence catholique c'étaient Claude de Charenton, du Bosc de Caen, Basnage de Rouen, David Ancillon de Metz, Abbadie, Allix, Supperville.

La Révocation suspendit, sans y mettre fin, ce mouvement de progrès oratoire. Il reprit sur la terre étrangère, dans les différents refuges à Londres, à Berlin, en Hollande, et il fit éclore un grand orateur, Jacques Saurin (1677-1730).

C'était le fils d'un avocat de Nîmes. Il fut d'abord soldat sous Galloway, puis proposant à Genève, ministre à Londres, où le sage Abbadie qualifia son éloquence d'angélique et de surhumaine: il reçut enfin sa vocation pour l'église des nobles de la Haye et il y remplit les fonctions pastorales jusqu'à sa mort.

Il a publié lui-même cinq volumes de sermons, dont la plus part sont des chefs-d'œuvre. Les quatre volumes, donnés après sa mort par ses héritiers, ne sont pas de la même force. Quant à son discours sur l'Écriture, il ne faut pas, sur la foi du titre, en faire une œuvre oratoire, c'est un traité théologique, une apologie.

Son existence fut traversée de contrariétés et d'épreuves, nées

de son intraitable orgueil. Mais ce défaut qui désola sa vie imprima justement un cachet hardi et souverain à sa parole. Par la hauteur et la hardiesse il égale Bossuet; mais il lui est inférieur du côté de l'onction, dont, à vrai dire, il n'avait guère besoin; car au moment où il prêcha, il s'agissait surtout de secouer les consciences, de raviver la crainte de Dieu et de défendre le christianisme contre l'envahissement de la philosophie il mit toute son énergie à cette tâche.

Saurin renonce à l'appareil didactique de ses devanciers et substitue à leur méthode de discussion théologique des expositions. oratoires où il fait entrer des arguments de toute nature, mais toujours rattachés par quelque endroit aux Livres Saints. Il pousse son raisonnement avec une entière vigueur. Il a des mouvements d'une force triomphante. Sa parole dominatrice s'empare de haute lutte des volontés de ceux qui l'écoutent et leur impose la conviction. Si l'on en veut des exemples, on n'a qu'à lire les sermons sur l'Aumône, sur le Renvoi de la Conversion. Ce sont ses chefs-d'oeuvres, auxquels il faut ajouter le beau sermon de Jeûne, prononcé (1706) à l'entrée de la campagne qui vit notre défaite à Ramillies.

Il ne faut demander à Saurin ni douceur, ni sensibilitė, ni attendrissement; mais partout éclate chez lui le feu d'une imagination ardente, féconde en mots lumineux et saisissants, en traits soudains et irrésistibles.

Il ne lui a manqué pour être un grand écrivain que d'être moins impatient, de savoir contenir un peu le flot débordant de sa parole et de l'endiguer dans un style plus serré. Il n'est ni châtiẻ, ni même toujours correct; il paye un trop large tribut au patois de Chanaan dont il reproduit, faute de meilleurs modėles, le tour gauche et les expressions surannées. Ce n'en est pas moins grâce à lui que la prédication protestante se relève en face de sa rivale, et mérite une place très honorable dans notre littérature du XVIIe siècle.

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De l'éloquence de la chaire nous passons aux autres manifestations de l'activité intellectuelle du clergé sous le règne de Louis XIV et tout d'abord à la philosophie.

1° La philosophie. - On sait, sans que nous ayons besoin d'y revenir, ce qu'il faut entendre ici par ce mot, et quelle est sa portée forcément restreinte et incomplète. Il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, au prêtre d'être absolument philosophe. Ou bien il partage la commode illusion, pour ne pas dire qu'il emploie le subterfuge, de Montaigne, de Charron, de Descartes, de Gassendi et des autres, et il prétend établir entre la foi et la raison une séparation, une cloison étanche, à l'abri de laquelle il philosophe à l'aise. Ou bien il subordonne la raison à la foi sous prétexte de les concilier, et dans ce cas sa philosophie n'est plus qu'une dépendance de la théologie.

Les prêtres du règne de Louis XIV n'échappent pas à cette loi. Ils ont presque tous abandonné les traces de Charron, et il n'y a guère que Huet, plus érudit d'ailleurs que philosophe, qui s'y obstine encore. Le Gassendisme a eu trop de succès auprès des libertins pour qu'ils puissent s'y ranger honnêtement. Ils s'en tiennent donc au Cartésianisme, pris dans le sens étroit que nous avons dit, et en dehors du principe fondamental qui seul peut en

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