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Il vécut désormais dans une retraite profonde, où il composa encore quelques ouvrages et particulièrement le Traité de l'Unité de l'Église qui parut sous le nom d'Arnauld.

Outre ses écrits théologiques, dont aucun d'ailleurs ne porte son nom, Nicole a écrit: 1o la traduction latine des Provinciales avec discours et appendices; 2o des pamphlets bien raisonnés mais sans véritable esprit : les dix Imaginaires, et les huit Visionnaires contre Desmarets; 3° les judicieux Discours Préliminaires de la Logique de Port-Royal; 4o les treize vol. d'Essais et de Lettres déjà citės. Les Lettres sont assez intéressantes, mais ce sont les Essais qui ont établi et maintenu la vraie réputation de Nicole en lui faisant une place au second rang des moralistes. Il est vrai que cette place lui a été contestée, et que Grimm a pu écrire à son sujet : « Si ses Essais paraissaient aujourd'hui pour la première fois, ils n'auraient aucun succès. Leur platitude, leur trivialité, leur tristesse dégoûterait tout homme instruit et sensé. » Sans aller aussi loin dans la sévérité, il faut bien reconnaître que les éloges pompeux accordés à Nicole par Mme de Sévigné, par d'Aguesseau ne se justifient guère. La Bruyère, plus avisé, lui a reproché de ne pas penser assez. C'est en effet son défaut. Il abonde en redites, en développements inutiles, en lieux communs. Il a gâté par sa diffusion les pensées qu'il a empruntées à Pascal auquel d'ailleurs il ne rendait pas justice puisqu'il l'appelait, dans l'intimité, un ramasseur de coquilles. Ce jugement est caractéristique: il explique l'insufsance de Nicole, son incapacité à goûter chez autrui une pensée profonde ou une belle expression et par conséquent à trouver lui-même l'une ou l'autre.

On rapporte de lui quelques images effrayantes sur la mort et l'enfer, des réflexions assez bien venues sur les amitiés infidèles, les jugements téméraires, les soupçons injustes. Les mauvais plaisants du XVIIIe siècle lisaient, pour en rire, « l'Essai sur les personnes sèches » où ils trouvaient matière à une foule d'équivoques. On ne cite plus aujourd'hui que « l'Essai sur les moyens de conserver la paix parmi les hommes ». C'est son chef-d'œuvre, et on pouvait s'y attendre. Le pacifique Nicole, qu'une destinée contraire avait fait le second du plus batailleur des théologiens, devait forcément bien parler de la paix, comme on parle d'un bien toujours attendu et jamais accordé.

Duguet (1649-1733). - C'était aussi un pacifique que Duguet et de plus un écrivain de talent, aimable, sensible, pléin de douceur et d'onction, proche parent par les dons de l'esprit et de Fénelon, dont il fut l'adversaire en théologie, et de Racine qu'il eut pour ami. Après un séjour de quinze ans à l'Oratoire, il partagea l'exil d'Arnauld à Bruxelles, résida quelque temps en Savoie et vécut enfin dans une étroite retraite à Troyes ou à Paris.

Duguet a continué les traditions de Port-Royal assez avant dans le xviie siècle et de la façon la plus digne. Mais sa mo. destie et la persécution l'ont empêché de se manifester au grand public et ne l'ont laissé connaître et admirer que d'un petit nombre d'initiés. En cela il a été moins bien partagé que Nicole auquel il est cependant supérieur comme penseur et comme écrivain. C'est un des rares jansenistes qui n'ait pas le style triste et lourd. On cite de lui: l'Explication de l'œuvre des six jours, la Conduite d'une dame chrétienne, le Traité de l'Institution d'un Prince.

Nous en avons fini avec les écrivains port-royalistes, car nous mettons Pascal à part d'eux. Non que nous voulions rompre le lien indissoluble qui l'unit à Port-Royal; il en est certes par la doctrine et par les services rendus; mais il l'excède par l'esprit et le génie. On sait d'ailleurs que ses conversations et ses écrits étonnérent où mème scandalisèrent parfois les honnêtes solitaires qui en bénéficiaient cependant, mais sans rendre tous pleine justice au grand homme qui avait voulu vivre leur vie et partager leur sort et leurs dangers.

CHAPITRE IV

PASCAL

1o Sa vie; 2o Les Provinciales; 3o Les Pensées.

1° Sa vie (1623-1662). — Né à Clermont, en Auvergne, d'une famille de robe, fils d'un savant homme qui, devenu veuf, vendit sa charge de président de la Cour des aides et vint s'établir à Paris afin de s'y livrer à son goût pour les mathématiques, Blaise Pascal révéla, dès la première enfance, cette force de génie qui devait lui valoir la double gloire du géomètre et de l'écrivain.

Il réinventa à douze ans la géométrie élémentaire; à seize ans, il écrivit le Traité des sections coniques; il imagina aussitôt après la Machine Arithmétique, jouet plus qu'instrument utile, et dont les combinaisons et le laborieux ajustement lui coûtérent sa santé, désormais ruinée sans remède. La maladie ne ralentit pas ses travaux il répéta les expériences des Italiens sur la pesanteur de l'air et en combina de nouvelles. Entre temps, grâce à un concours de circonstances où il vit le doigt de Dieu, il lut quelques ouvrages pieux de Port-Royal et fut gagné par la beauté austère de la morale janseniste. Il venait à peine de passer la vingtième année et résidait à Rouen où son père avait accepté une charge d'intendant des finances. Son zèle pieux était tel qu'ayant ouï dire qu'un professeur de philosophie professait dans la ville des doctrines incompatibles avec la religion, il le traduisit devant l'officialité et le força à un désaveu public. Cet acte est dur à digérer. Il semble difficile à concilier avec la nature généreuse que l'on prête volontiers à son auteur, et l'on est même tenté de voir en

Pascal, se faisant dénonciateur, plutôt le fils de M. l'Intendant, qui abuse de l'autorité de son père dans l'intérêt d'une vanité juvénile, que le chrétien emporté hors des bornes par son amour de ce qu'il croit être la vérité.

Sa maladie empirant de jour en jour, il renonça momentanėment aux mathématiques et vint à Paris, avec la pensée d'y vivre dans la dévotion et d'être assidu à Port-Royal. Il comptait sans le monde, où, sur le conseil de ses médecins, il chercha bientôt une diversion à ses souffrances. Il fréquenta de préférence les épicuriens délicats dont nous avons parlé, les Méré, les Miton, et devint l'ami intime et le conseiller du jeune duc de Roannez. Malgré son état maladif, il réussit dans la belle société et en prit, vraisemblablement sans trop de peine, quoiqu'en dise Méré, le ton, les manières, le langage. Prit-il, par la même occasion, les idées indépendantes de son entourage habituel? On l'a affirmé, sans preuves, mais non sans présomption. C'est probablement alors qu'il lut les Essais de Montaigne et l'Épictėte de Duvair dont il fit une étude approfondie, et il est bien possible qu'avant de chercher dans le Christianisme la conciliation de ces deux philosophies inconciliables, il se soit laissé aller au plaisir de philosopher, cédant tantôt à son penchant naturel qui le portait vers le stoïcien, tantôt donnant à son esprit le régal des paradoxes du sceptique. Sans renoncer aux dehors de la foi, peut-être a-t-il eu, lui aussi, sa période de scepticisme amusé, ou de noble stoïcisme.

Mais cela ne dura pas. La mort de son père, l'entrée de sa sœur Jacqueline à Port-Royal, l'accident du pont de Neuilly où il courut le danger de la vie, le ramenèrent par degrés à la pratique religieuse la plus austère. Il demanda et obtint une place parmi les solitaires de Port-Royal; et après une année de prière et d'humbles travaux, il se vit fournir l'occasion d'écrire les Provinciales.

Il avait alors trente-trois ans, et s'il avait donné quelques dissertations sur des sujets scientifiques il n'avait pas encore fait vraiment œuvre d'écrivain. Les Provinciales terminées, il imagina de composer une Apologie du Christianisme, qu'un retour offensif de son mal le força bientôt d'interrompre ou de poursuivre avec moins d'ardeur. Il demanda un divertissement passa

ger aux mathématiques, mit au concours la question de la Roulette, et se vit adjuger le prix, non sans protestation de la part de ses concurrents.

La querelle du Formulaire, qui éclata sur ces entrefaites, vint lui créer d'autres soins: il fut et parla pour le refus de toute signature. Arrivé dès lors à cet état d'exaltation où la foi ne supporte plus les précautions de la sagesse humaine, il s'indigna que ses amis ne partageassent pas sa hardiesse et faillit se brouiller avec eux.

H était dans un détachement absolu de toutes choses, jusqu'à devenir, par le mépris des soins corporels et le cynisme de sa tenue, un objet de répugnance pour des gens qui n'étaient cependant pas faciles au dégoût. Ajoutez qu'il était sujet à des accidents nerveux qui ne permettaient pas qu'on le laissât sortir seul. Au physique ce n'était plus qu'une ruine. Mais dans ce corps délabré, dont la volonté ne réussissait plus à gouverner les mouvements et les gestes, habitait un esprit puissant et subtil, renforcé de toute la vie qu'il dérobait à son enveloppe matérielle, et du sein de cette détresse physique éclataient plus forts que jamais les accents d'une éloquence vibrante et passionnée.

Il mourut en 1662. Cinq ans lui avaient suffi pour devenir le plus grand écrivain de son temps..

Nous allons l'étudier dans les Provinciales et dans les Pensées. Nous laisserons de côté, malgré leur intérêt relatif, ses opuscules l'Esprit géométrique, l'Autorité et le Progrès en philosophie, le Discours sur les passions de l'amour, les trois Discours de la condition des grands, etc. Nous nous en tiendrons à ses deux maîtresses œuvres.

2o Les Provinciales. Cet ouvrage, un « fort joli libelle », au dire de Joseph de Maistre, mais, au dire des juges impartiaux, le chef-d'œuvre du pamphlet sincère dans notre langue, n'a subi en rien les atteintes du temps. Malgré le peu d'intérêt que son sujet semble présenter pour nous, il a toujours des lecteurs; et les gens avisés ne prennent pas d'autre modèle quand ils veulent se rompre aux artifices de la polémique. M. Dufaure, qui fut un orateur incisif, sans égal pour découdre son adversaire d'un coup de boutoir, s'aiguisait les dents sur les Provinciales. D'autres y sont venus chercher soit la même, soit une autre leçon, car il

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