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Saint-Évremont avait été de tout temps l'ami de Ninon de Lenclos. Il entretint avec elle une correspondance restée célèbre, et qui, poursuivie jusqu'au dernier jour, devient peutêtre un peu monotone par l'étalage qu'il y fait de l'usure et des déchets de sa vieillesse. C'est l'inconvénient de l'épicurisme; il accorde trop au corps et lui laisse tout envahir. Les plus aimables finissent par lasser avec leur préoccupation sénile du physique. Cette réserve faite, il y a beaucoup à prendre dans la correspondance que nous disons.

En matière religieuse, Saint-Évremont professait une discrétion de bon ton. Il a dit quelque part : les plus incrédules ne parviennent pas à douter de tout, ni les plus crédules à tout croire. Il ne s'en est pas expliqué autrement, mais on peut, sans lui faire du tort, le maintenir parmi les libertins.

Méré (1610-1685) et Miton (?). — C'est à peu près aussi le cas du chevalier de Méré, qui fut un bel esprit mondain, mais n'eut pas comme Saint-Évremont le bonheur d'être exilé, d'être forcé à vivre dans une société plus ouverte, plus libre, où la personnalité avait plus de chance de se développer. Aux caractères indėpendants il faut un milieu approprié. La discipline de Louis XIV arrêta l'essor de Méré. Il avait déjà, de nature, le ton doctoral: å se sentir limités de tous côtés, ses agréments se figèrent, se rancirent, et de ce personnage, qui avait la prétention de réaliser l'idéal de l'honnête homme, il est seulement resté le souvenir d'un pédant à la cavalière, un peu ridicule pour son attitude å l'égard et de Pascal et de Mme de Maintenon.

On peut reconnaître en lui le type de l'esprit de finesse que Pascal oppose à l'esprit de géométrie dans un opuscule connu. Ses lettres, publiées par lui-même en 1682, trop tard pour avoir du succès, car il avait laissé passer le bon moment, sont choquantes de vanité et d'infatuation, mais ne manquent ni de sens ni de traits fins. Il ne faut d'ailleurs pas oublier que leur auteur était un homme très instruit dans les lettres et dans les sciences, et qu'il faisait autorité auprès des contemporains.

Le chevalier de Mérẻ entraîne à sa suite son ami inséparable, M. Miton, qu'une pensée de Pascal a d'ailleurs préservé de l'oubli. « Le moi est haïssable: vous, Miton, le couvrez. >> D'où l'on peut inférer que Miton était un épicurien entendu,

habile å arrondir les angles de sa personnalité, un galant homme facile à vivre, et qui croyait ne pouvoir être heureux qu'en rendant tout le monde heureux autour de soi. Ce n'est pas, quoiqu'en dise Pascal, un caractère si haïssable. L'égoïsme ainsi compris se laisse supporter et sans peine.

Miton était, à l'exemple de Méré, un homme de savoir et de goût, mais, semble-t-il, avec moins de prétention. On a de lui telle lettre qui est le développement et peut-être l'original de la pensée de Pascal : « Masquer la nature et la déguiser. Plus de roi, de pape, etc., mais auguste monarque. »

Si l'on s'intéresse aujourd'hui à ces deux épicuriens lettres, c'est parce qu'ils furent avec le duc de Roannez les introducteurs de Pascal dans le beau monde, quand il y chercha une diversion à ses souffrances physiques. Méré s'est vanté par surcroît d'avoir été l'initiateur aux belles manières, l'instituteur, quelquefois mal écouté, de ce grand homme qui n'avait été jusque-là qu'un géomètre et un dévot. Il lui aurait appris, avec les bienséances, la philosophie mondaine inspirée de Montaigne et l'aurait rendu pour quelque temps sceptique et libertin. La chose est possible et, peut-être, Méré n'a-t-il pas exagéré. On trouve sa trace et celle de Miton en plus d'un endroit de l'oeuvre de Pascal. Ils étaient d'ailleurs indifférents en matière religieuse; Miton avec un peu plus de franchise; Mėrė discrètement, mais sans qu'aucune de ses pensées porte la marque chrétienne. Ils sont donc bien à leur place dans cette galerie du libertinage que nous arrêtons à eux. Nous pourrions y comprendre nombre d'autres mondains, et notamment Bautru dont les traits d'incrédulité sont restés célèbres. Mais nous en avons assez dit pour donner une juste idée du genre et de ceux qui le personnifient. Nous abordons maintenant la question religieuse sous la Fronde. Elle tient presque entièrement dans le jansénisme dont nous ferons l'histoire succincte et dont nous apprécierons rapidement l'influence sociale et littéraire pour arriver enfin à son plus grand homme, je veux dire à Pascal.

CHAPITRE III

LES AFFAIRES RELIGIEUSES SOUS LA FRONDE.

2o Le jansé

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3o Influence

1o Le mouvement religieux dans la première moitié du xvIIe siècle. nisme en France Port-Royal; la période du Droit et du Fait. de Port-Royal sur le caractère national, l'éducation de la jeunesse, la littérature. - 4° Principaux écrivains port-royalistes.

1o Le mouvement religieux dans la première moitié du xvii siècle. Il est impossible de contester l'importance du mouvement religieux qui éclate en France au lendemain de la mort de Henri IV. C'est un des faits qui parlent le plus haut, et pour se convaincre de sa réalité, il n'y a qu'à se rappeler qu'en moins de trente ans le nombre des seuls monastères de femmes tripla dans Paris. Les provinces suivirent l'exemple de la capitale et partout ce fut une nouvelle floraison de la vie monacale.

A vrai dire, la dévotion n'en fut pas la seule cause. Sans parler de la vanité habilement exploitée des grands et des riches qui crurent s'immortaliser par des fondations pieuses, les nécessités sociales y eurent une grande part.

La bourgeoisie, marchant en cela sur les traces de la noblesse, commence à s'apercevoir que ses familles sont bien nombreuses, et cherche un moyen de caser son monde sans trop diminuer les patrimoines. L'Église lui paraît un refuge tout trouvé pour ses filles. Celles-ci d'ailleurs ne résistent pas outre mesure. Ce sont personnes raisonnables qui préfèrent le couvent à un mariage indigent ou inférieur. Actives et ambitieuses, elles savent que sans bouger du cloître on peut s'immiscer dans les affaires, arriver à

l'influence ou à la réputation. L'étal monastique n'est pas pour elles une vocation mais une profession. On s'en aperçoit bien aux nouvelles pratiques qui s'introduisent à cette époque dans les communautés. La vie contemplative n'est pas le fait de ces esprits justes, doublés ordinairement de cœurs secs: il leur faut autre chose. Si quelques-unes donnent dans le mysticisme fleuri de Fr. de Sales ou dans les ardeurs dévorantes de SainteThérèse, la plupart veulent des occupations effectives, le soin des malades, l'éducation de la jeunesse, la surveillance des repenties. L'action leur est un besoin et aussi une défense contre elles-mêmes et contre l'énervement du cloître elles s'en aident pour arrêter cette contagion de folie qui désola certaines maisons, celles de Loudun, de Louviers, de Marseille et y provoqua des scandales hideux. Le remède se trouva bon et les ordres de femmes prospérèrent de toutes façons, pendant de longues années..

Il en fut de même pour le clergé tant séculier que régulier : il fit de nombreuses recrues et eut assez de force pour se régler lui-même et s'astreindre à une sérieuse réforme. Cette réforme d'ailleurs était nécessaire et urgente. Les guerres de religion avaient, nous le savons, laissé l'Église de France dans un état déplorable, sans mœurs, sans dignité dans les caractères, sans piėtė, sans charité. Le prêtre se croyait tout permis parce qu'il avait porté le mousquet pour la bonne cause. Une fois la paix revenue, le besoin de réparation, de restauration se fit sentir dans le clergé comme dans les autres corps de l'État. Il comprit que, s'il voulait assurer sa victoire sur le protestantisme si austère, il fallait remédier promptement à l'ignorance et à la grossièreté de ses membres inférieurs et mieux déguiser la politique mondaine et froidement égoïste de ses meneurs et de ses chefs D'ailleurs le nombre des hommes engagés dans la vie religieuse grossissait chaque jour, et les scandales, si on les eût laissés se perpétuer, eussent bientôt pris des proportions monstrueuses. Cent mille séculiers, plus de quatre-vingt mille réguliers, telle était la composition de cette armée dévote qu'il fallait discipliner à tout prix. Quelques hommes de bonne volonté entreprirent cette tâche. Ce fut d'abord, nous l'avons dit, Fr. de Sales qui eut, aussi bien dans l'organisation morale que dans le rétablis

sement de la doctrine, le rôle d'un initiateur. Non seulement son institut de la Visitation servit de modèle à une foule de communautés féminines; mais son séminaire d'Annecy devint le type de nombreuses créations analogues. Ses collègues comprirent avec lui que le meilleur moyen de prévenir tout désordre était de ne plus laisser les étudiants en théologie livrés à eux-mêmes dans les universités, et de les chambrer dans des établissements fermés, sous la surveillance de directeurs spirituels. C'est ainsi qu'à Paris se fondèrent les deux séminaires de Saint-Nicolas sous le prêtre Bourdoise, et de Saint-Sulpice sous le curé Olier. Ce dernier est resté jusqu'à aujourd'hui l'exemple, ou mieux, là source de toute éducation cléricale bien entendue.

En même temps des corporations religieuses naquirent, qui n'étaient plus des Ordres, mais des Congrégations. On s'y associait par des vœux moins solennels et pour collaborer å telle œuvre utile, prédication, instruction des jeunes gens, évangélisation des ignorants ou des hérétiques, travaux d'érudition. Ce caractère particulier distingue les Lazaristes établis par Vincent de Paul, les Eudistes par Eudes, frère de l'historien Mézeray, les Oratoriens par Bérulle.

Les succès de ces nouveaux venus excitèrent l'émulation de leurs devanciers; je ne parle pas des Jésuites, dont l'activité s'étendait à tout, sans trêve ni merci, mais des Ordres monastiques proprement dits. Le travail de l'esprit y fut remis en honneur, et c'est à ce moment que les Bénédictins devinrent savants comme des Bénédictins.

Grâce à ces influences réunies, à celle très considérable de Port-Royal, et aussi à la surveillance jalouse des protestants prêts à exploiter les moindres fautes, le clergé de France réussit å se transformer, et à devenir le plus réglé, le plus digne, le plus instruit de la catholicité. Malheureusement notre pays n'en fut guère plus avancé; il vit toutes ces qualités tourner, somme toute, à son désavantage, car elles furent ternies ou stérilisées par une intolérance implacable dont nous ne constaterons que trop les effets.

2o Le Jansénisme. - Tandis que les maîtres de la vie spirituelle plus haut cités poursuivaient leur dessein, deux hommes se rencontrèrent qui, pour arriver au même but, c'est-àdire à la

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