Page images
PDF
EPUB

organes gouvernementaux, les lois, les coutumes, le langage et le développement d'esprit de la vieille France.

Le Catéchisme des Jésuites mérite aussi notre attention car c'est proprement la première ébauche des Provinciales. Attaqué par la Société, Pasquier riposta par ce pamphlet incisif, plaisant, éloquent, où il perce à jour la politique de ses adversaires. C'est un dialogue en trois livres, inspiré dans sa marche et dans ses procédés de polémique de certains dialogues de Platon. Au premier livre, un jeune Jésuite fait le procès à ses confrères en croyant faire leur apologie. Tout ce qu'il avance se retourne contre lui et il finit par avouer que la pratique des vertus chrẻtiennes n'est rien pour les Jésuites et qu'il n'y a qu'hypocrisie dans leur fait. Le deuxième livre réduit à néant les diverses apologies de la Société, montrant que ses maximes sont incompatibles avec celles de l'Église gallicane, que ses propres règles lui interdisent l'enseignement, qu'elle soumet ses membres à des vœux abusifs, qu'elle n'apporte que des vues d'intérêt personnel dans l'éducation de la jeunesse. Le troisième livre signale la main des Jésuites dans tous nos troubles politiques, flétrit leur théorie du régicide, le relâchement de leur foi et de leur morale. La conclusion est que, puisque la France en est débarrassée, elle fera bien de ne plus leur ouvrir ses portes. Le livre fut en effet publié au moment où il était question de rappeler la Société expulsée depuis l'attentat de Châtel. Henri IV crut devoir négliger les avertissements de Pasquier; ni lui ni la France ne s'en trouvèrent mieux.

Duvair (1556-1621). -Passer de Pasquier à Duvair, c'est descendre d'un degré. Ici se vérifie ce que nous avons dit de l'abaissement progressif du niveau de la magistrature. De l'homme du XVIe siècle à celui du XVIIe siècle la décadence est visible. L'un n'est que loyauté, fermeté, dignité, désintéressement; l'autre est docile, souple, complaisant. Toutefois quel ques critiques ont voulu faire de Duvair un grand homme, aussi bien dans l'ordre de l'action que dans celui de la pensée. Ils n'ont pas craint de le rapprocher tantôt de l'Hôpital et de Richelieu, tantôt de Descartes et de Bossuet. C'est exagération pure et il faut remettre les choses au point.

Pour se faire une juste idée du politique dans Duvair, il n'y

a qu'à se rappeler un jugement de Malherbe sur les ministres de Marie de Médicis, également indignes de succéder à Sully et de préparer les voies au grand cardinal; Duvair en était un : « Nous avons eu, dit le vieux poète homme de sens, nous avons eu des ministres qui ont eu du nom dans le monde. Mais combien de fois, avec ma franchise accoutumée, contre l'opinion commune, ai-je dit que je ne les trouvais que fort médiocres, et que, s'ils avaient de la probité, ils n'avaient point du tout de suffisance, ou, s'ils avaient de la suffisance, ils n'avaient point du tout de probitė. » Voilà qui est net et des gens mis à leur vraie place. Duvair, manifestement visé ici, car Malherbe le connaissait de longue date et ne pouvait pas ne pas penser à lui en la circonstance, Duvair appartient à la première catégorie il est de ceux qui ont de la probité sans suffisance, entendez, sans aptitude à exercer le pouvoir. Tant qu'il fut dans un rang inférieur il brilla. Habile avocat, orateur courageux et bien inspiré aux États de 1593 (il y soutint la loi salique et les droits de Henri IV), serviteur utile de la royauté à la tête du Parlement de Provence, il s'éclipsa au premier rang. Son rôle comme garde des Sceaux (de 1616 jusqu'à sa mort avec une courte interruption en 1617) fut des plus médiocres. Il est vrai qu'il était en même temps évêque de Lisieux et que sa vieillesse dévote fit peut-être passer le soin de son diocèse avant celui de la France.

L'écrivain est de la même qualité que l'homme d'État. Il est lui aussi de second ordre. La collection de ses ouvrages est imposante, mais sans intérêt réel. Elle fait bien dans une bibliothèque, mais les profanes ne se hasardent pas deux fois à l'aborder la première leur suffit. Seuls, les avocats généraux, en quête d'un sujet de discours de rentrée, montrent plus de courage. Ce sont eux surtout qui ont essayé de nous donner certains de ses livres pour des chefs-d'œuvre.

Duvair a écrit: 1° un Traité de l'éloquence, suivi d'exemples et de preuves à l'appui qui ne sont autres que la Milonienne et les deux discours pour et contre la Couronne. Ces traductions, comme toutes celles du temps, visent moins à l'exactitude qu'à la pureté du langage; mais, sous ce dernier rapport, elles n'égalent pas le Florus de Coeffeteau. Le traité lui-même n'est pas

méprisable il donne une analyse exacte des causes de l'infėriorité du barreau et de la chaire. Les préceptes à suivre sont judicieux; mais le tout est noyé dans un style uniformément pompeux.

2o Le Traité de la Constance et Consolation ès-calamités publiques, suite de dialogues où trois interlocuteurs, pendant le siège de Paris (1589), cherchent dans la philosophie un remède à leur patriotique tristesse, sans en trouver un à l'ennui de qui les écoute. Ils sont affublés des noms d'Orphée, de Musée, de Linus, et leurs idées, aussi âgées que ces antiques poètes, s'avancent graves, dignes, honnêtes, mais irrémédiablement banales.

3o La même monotonie se retrouve dans les deux traités moraux de Duvair. Ici toutefois, il y a quelque originalité, non dans les ouvrages eux-mêmes, mais dans l'intention qui a présidé à la composition de l'un d'eux. L'auteur s'était aperçu que plusieurs de ses contemporains n'étaient chrétiens que de nom. Il entreprit de donner à ces incrédules une morale qui pût suppléer à la morale révélée dont ils n'avaient cure, et, dans ce but, il composa la Philosophie des Stoïques, suivie d'une traduction du Manuel d'Épictėte.

Ce livre eut du succès, car il répondait à un besoin du temps; mais il fut bientôt supplanté par la Sagesse de Charron, qui, détail curieux, lui avait emprunté des idées et même des pages entières. Aujourd'hui on ne lit plus Charron. Comment lirait-on Duvair que ses contemporains avaient déjà délaissé pour Charron plus agréable à leurs yeux? Après avoir donné des règles de conduite aux indévots, Duvair entreprit de remettre sous les yeux des chrétiens dociles les prescriptions de leur croyance et il composa la Sainte-Philosophie avec l'intention louable de concilier la foi et la raison.

On chercherait vainement dans tous ces écrits la marque d'une personnalité qui s'affirme. Comme l'a dit Sainte-Beuve : <«< Tout y est long et connu, connu de toute éternité ou de toute antiquité. On en lirait jusqu'à demain que c'est toujours la même chose. Son style marche drapé dans sa toge; il a, si l'on ose dire, les manchettes et le rabat d'un Cicéron de Parlement, le tout fort empesé. Il satisfait les gens sensés et doctes de son temps; il n'éveille personne, il ne corrige personne, il ne fait

rien avancer. Ce n'est pas avec ce procédé, ce tour émoussé et rond, qu'on réforme rien, ni en actions, ni en paroles. » Il n'y a pas de circonstances atténuantes à introduire dans cette sentence sans appel.

La Prose (suite).

[ocr errors]

CHAPITRE II

Littérature historique : 1o Négociations; 2o Mémoires; 3o Histoires particulières et générales.

Nous arrivons à ce qui est la vraie moisson de l'époque, c'està-dire aux ouvrages historiques, et, en premier lieu, à ceux où les événements revivent sous la plume de leurs propres acteurs.

De bonne heure l'habitude vient à nos hommes d'État et å nos capitaines de raconter la part qu'ils ont prise à la politique ou à la guerre; c'est pour eux une manière soit d'occuper agréablement leurs vieux jours, soit de se disculper de reproches plus ou moins mérités, soit d'expliquer les obscurités ou d'excuser les défaillances de leur conduite. De la sorte s'est formée chez nous une bibliothèque de Mémoires, presque tous précieux au point de vue historique et souvent recommandés par des qualités littéraires. Mais, pour que ce second résultat soit obtenu, il faut que l'œuvre ne soit pas de la main d'un rédacteur à gages, mais de celle même de son héros. L'agrément que celui-ci trouve å revenir sur son passé se communique assez fréquemment au récit qu'il en donne. Les choses lui viennent plus facilement, avec le mot propre; les réflexions se placent au bon endroit et les saillies éclatent à propos. Sous l'abandon d'un style improvisė, on croit parfois percevoir son accent et les éclats de sa parole, sa physionomie, son geste. On entre en communication avec lui c'est comme si on l'entendait se raconter de vive voix. Mais quand c'est le secrétaire. qui raconte, il noie toute individualité dans le flot banal d'un style prétendu correct ou éléėgant. Passe encore quand il se contente de retoucher et de dis poser les documents originaux, comme ce fut le cas pour Sully. Mais s'il rédige d'un bout à l'autre, à moins d'être un Hamilton, il ne réussit qu'à tout gâter.

Nous passerons en revue les plus remarquables de ces œuvres,

« PreviousContinue »