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Deux

que son Amour tyrannique, à cause des incidents qui marquérent certaines des représentations. Le reste est ignorė. Tristan l'Hermite, (1601-1655) et Duryer (1605-1658). autres auteurs eurent de la réputation en ce temps. L'un, Tristan l'Hermite, après une jeunesse ou, pour mieux dire, une enfance aventureuse qui le conduisit même avant d'être sorti de pages à Londres, en Écosse, en Norvège, demanda au théâtre les ressources que ne lui procurait pas sa fonction de gentilhomme ordinaire de Monsieur. Il y eut des succès, mais n'en fut pas plus riche. Le jeu lui enleva ce que la comédie lui rapportait.

On ne cite plus guère de lui que sa Mariamne dont les invraisemblances et les faiblesses échappèrent aux contemporains à la faveur d'un style brillant et pompeux jusqu'à l'emphase.

Quant à Duryer, ce fut lui aussi un pauvre diable, qui bâclait pour les libraires des traductions à un écu la feuilie. Bayle s'est amusé à relever nombre de bévues dans ces œuvres hâtives; il y en a de réjouissantes. Mais Duryer ne se mettait guère en peine d'être exact l'important pour lui était de traduire beaucoup, pour être moins misérable fami quam famæ magis inserviebat.

Il a écrit, à ses moments perdus, dix-huit tragédies, dont les moins mauvaises sont Saül et Scévola.

6o Poètes qui font la transition entre Corneille et Racine. Tels sont les principaux contemporains de la jeunesse et de la maturité de Corneille Lorsqu'il se retira momentanément du théâtre en 1652, il laissa la place à une nouvelle école qui, au lieu de s'inspirer de ses exemples, demanda des leçons aux romanciers en vogue et transporta dans la tragédie les mœurs et les caractères en honneur chez la Calprenède et Me de Scudéry. Ces poètes, dont Quinault est le chef, empruntent leurs sujets à l'antiquité ou à l'invasion des barbares, mais ils altèrent les événements, travestissent d'une façon ridicule les figures et les faits historiques et font de tous leurs personnages des amoureux transis, bergers ou chevaliers.

Il n'y a rien à dire de la production dramatique de ces années (1652-1664), sinon qu'elle est rebutante de fadeur; et on en est quitte avec elle quand on a cité la Mort de Cyrus, la Stratonice,

l'Amalasonthe et l'Astrate de Quinault, la Clotilde de l'abbé Boyer, l'Ostorius de l'abbé de Pure, etc. Nous pourrions toutefois dire quelques mots de Quinault et aussi de Thomas Corneille qui débute à cette époque, mais nous les retrouverons plus loin. Constatons seulement ici qu'il faut arriver à Racine pour trouver quelqu'un qui réagisse heureusement contre cette décadence du théâtre. Corneille, lui-même, en rentrant à la scène, n'en put venir à bout, et céda plus d'une fois au courant qui entraînait les tragiques vers le galant et le romanesque. Cette faiblesse d'ailleurs était sans danger pour sa gloire, désormais assurée, et quoi qu'il pût faire, inébranlable. Il avait eu l'honneur de fonder, par ses chefs-d'œuvre, notre théâtre national; il avait été le premier écrivain de son temps; il en eût même été le plus grand esprit s'il n'eût eu pour contemporain le philosophe Descartes, dont les œuvres nous appellent maintenant : c'est par leur examen que nous terminerons cette revue des lettres sous Richelieu.

CHAPITRE V

LA PHILOSOPHIE.

Descartes. 1o Sa vie. 20 Son œuvre. 3o Son influence.

La gloire de Descartes, un moment obscurcie au XVIe siècle, a recouvré dans le nôtre tout son éclat; et même peu s'en est fallu que sur la foi d'admirateurs outrés, les Cousin, les Nisard, nous n'ayons « fait un Dieu de ce mortel ».

Il convient d'apporter quelques tempéraments à cet enthousiasme et surtout de ne pas le laisser s'étendre et s'égarer de l'homme qui en est l'objet à l'époque qui a vu naître cet homme. Nous nous sommes déjà expliqué dans notre Introduction sur la valeur réelle et la portée philosophique du XVIe siècle auquel nous avons assigné son vrai rang dans l'histoire de la Pensée. Nous ne ferons ici que développer l'appréciation sommaire que, à ce propos, nous avons dû émettre sur Descartes. Nous allons raconter la vie et apprécier l'œuvre de ce philosophe, en toute indépendance, mais sans jamais nous départir des égards dus à une grande mémoire. On se ferait tort à soi-même en traitant à la légère le vaste génie dont Leibnitz a pu dire que sa mort était une perte difficile à réparer pour le genre humain, et que, bien qu'inférieur à tel de ses contemporains en certaines matiéres, il les a tous surpassés par l'ampleur de ses vues générales, sa pénétration, sa profondeur.

1° Vie de Descartes. Descartes naquit en 1596 à la Haye, en Touraine. I appartenait à une famille noble du Poitou. Son père et, plus tard, son frère aîné furent conseillers par semestre au parlement de Rennes.

Il fit ses études au collège de la Flèche, fondé par le sieur de Lavarenne, serviteur trop complaisant de Henri IV, qui, pour expier ses péchés et faire une mort édifiante (on en trouve le détail peu édifiant dans Saint-Simon), implanta une colonie de Jésuites dans sa seigneurie de la Flèche. Les bons pères acceptèrent la fondation, sans se mettre en peine de l'indignité du fondateur. D'ailleurs, ils étaient heureux de faire concurrence sous le couvert de l'autorité royale, car Henri IV s'était mis de moitié dans les libéralités de Lavarenne, à l'Académie protestante de Saumur. Ils dressèrent ainsi école contre école, et, favorisés comme toujours de la fortune, ils eurent bientôt pour éléves les enfants des meilleures familles du royaume. Quand ils reçurent, pour le conserver dans leur église, le cœur de Henri IV, ils envoyèrent au devant de ce précieux et imméritė dépôt une nombreuse cavalcade de jeunes seigneurs Descartes en était.

Notre philosophe fit rapidement ses études et affirma, dès le premier jour, la force de son esprit. On raconta qu'il embarrassait singulièrement ses maîtres, surtout celui de philosophie, par ses demandes et ses objections. Il avait déjà sa manière de raisonner, s'attachant à définir exactement les termes et remontant de proche en proche à l'idée mère du raisonnement. Il jugeait d'ailleurs avec sévérité les diverses matières de l'enseignement et faisait peu de cas des langues anciennes, jusqu'à mettre le Grec, pour son utilité, au même rang que le Bas-Breton. Il ne trouvait d'avantage à ce qu'on lui apprenait que d'en avoir percé la vanité et de n'en plus être dupe. Avide de certitude, il n'en voyait nulle part, sauf dans les mathématiques. Il fut ainsi amené à penser que s'il voulait savoir quelque chose de certain, il fallait qu'il le découvrit lui-même, car personne ne semblait en état de le lui montrer.

Frais émoulu du collège, à l'âge où le reste des hommes ne songe guère qu'à ses amusements, il conçut la plus haute de toutes les ambitions et se donna d'abord pour tâche la recherche, la possession de la vérité. Je n'ignore pas que, dans son premier séjour à Paris, il se laissa aller à quelque dissipation, avouée par lui-même; mais le peu de temps qu'il put perdre au plaisir et au jeu, il le répara par une retraite ou mieux par une

claustration de deux ans dans une maison isolée du faubourg Saint-Germain. Il y vécut seul avec ses pensées et quand il la quitta, il est probable qu'il avait déjà trouvé sa méthode et en avait arrêté dans son esprit les points principaux. Il lui restait å en faire l'application et aussi à prendre connaissance du monde, à lire dans ce grand livre qui s'ouvrait à ses yeux.

Il crut un moment avoir la vocation des armes, et, comme la plupart des jeunes seigneurs français, il alla se mettre sous les ordres de l'habile stratégiste, Maurice de Nassau. Il passa ensuite au service de la Bavière et assista au siège de Prague. 11 fit aussi campagne en Hongrie sous le comte de Bucquoy. Mais la « chaleur de foie » qui l'avait attiré vers la guerre s'était bientôt calmée. En Hollande comme en Allemagne, il avait plus fréquenté les mathématiciens que ses compagnons d'armes et l'on connaît cette retraite de trois mois qu'il fit dans son poêle en Bohème et d'où il sortit avec sa méthode perfectionnée.

Une fois ses engagements terminés, il voyagea non sans aventures et sans dangers, parcourut toute l'Allemagne, visita une grande partie de l'Italie et fit notamment à pied le pèlerinage de Venise à Lorette, en exécution d'un vou. Enfin, de retour en France, après quelques velléités de mariage et d'établissement, il prit un parti décisif et se voua sans retour à la méditation philosophique. Les instances de ses amis ne furent pas étrangères à cette décision. Ils connaissaient sa puissance d'esprit, ils savaient par ses confidences qu'il était sur la voie de grandes découvertes; mais comme ils n'en voyaient rien paraître, ils lui reprochaient sa lenteur, sa paresse, et l'appelaient communément le grand prometteur. Ce surnom piqua au vif Descartes, et il se mit en devoir de tenir, après avoir promis.

Pour que rien ne vint troubler le commerce qu'il voulait avoir avec son esprit, il renonça à ses amis, à sa famille, à sa patrie et se retira en Hollande, où il habita vingt ans, changeant fréquemment de résidence, attentif à ne contracter aucune relation qui l'eût dissipé. Il était toutefois en commerce de lettres avec un certain nombre de personnes, et il avait pour correspondant attitré à Paris, son camarade de collège, le minime Mersenne, qu'il tenait au courant de ses travaux. De loin en loin il faisait aussi en France un rapide voyage, pour se donner

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