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SATIRE

A MONSIEUR

IV.

L'ABBE

LE VAYER.

D'où vient, cher le Vayer, que l'homme le moins

fage

Croit toûjours feul avoir la fageffe en partage:
Et qu'il n'eft point de Fou, qui par belles raifons
Ne loge fon voifin aux Petites-Maifons?
Un Pedant enyvré de fa vaine science,

Tout heriffe de Grec, tout bouffi d'arrogance,
Et qui de mille Auteurs retenus mot pour mot,
Dans fa tefte entaffez, n'a souvent fait qu'un Sot;
Croit qu'un Livre fait tout, & que fans Ariftote
La Raifon ne voit goute & le bon Sens radote.
D'autre part un Galant, de qui tout le métier
Eft de courir le jour de quartier en quartier,
Et d'aller à l'abri d'une perruque blonde,
De fes froides douceurs fatiguer le beau monde,
Condamne la science, & blamant tout écrit,
Croit qu'en lui l'ignorance eft un titre d'efprit:
Que c'eft des gens de Cour le plus beau privilege,
Et renvoye un Sçavant dans le fond d'un College,
Un Bigot orgueilleux qui dans fa vanité,
Croit duper jufqu'à Dieu par fon zele affecté,
Couvrant tous les défauts d'une fainte apparence,
Damne tous les Humains, de fa pleine puiffance.
Un libertin d'ailleurs, qui fans ame & fans foi,
Se fait de fon plaifir une fuprême loi,

Tient que ces vieux propos, de demons & de flammes,
Sont bons pour étonner des enfans & des femmes,
Que c'eft s'embarraffer de foucis fuperflus,

Et qu'enfin tout Devot a le cerveau perclus.

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En un mot qui voudroit épuifer ces matieres, Peignant de tant d'efprits les diverfes manieres:

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Il conteroit plûtoft combien dans un printemps,
Guenaud & l'antimoine ont fait mourir de gens:
Et combien la Neveu devant fon mariage,
A de fois au public vendu fon P***'.

Mais fans errer en vain dans ces vagues propos,
Et pour rimer ici ma pensée en deux mots:
N'en deplaife à ces Fous nommez Sages de Grece;
En ce monde il n'eft point de parfaite fageffe.

Tous les hommes font fous: & malgré tous leurs foins,
Ne different entre eux que du plus & du moins.
Comme on void qu'en un bois, que cent routes feparent,
Les Voyageurs fans guide affez fouvent s'égarent,
L'un à droit, l'autre à gauche, & courant vainement,
La mefme erreur les fait errer diversement.
Chacun fuit dans le monde une route incertaine,
Selon que fon erreur le jouë & le promene;

Et tel y fait l'habile, & nous traitte de fous,
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Qui fous le nom de fage eft le plus fou de tous.
Mais quoi que fur ce point la Satire publie ::
Chacun veut en fageffe eriger fa folie,
Et fe laiffant regler à fon efprit tortu, *
De fes propres defauts se fait une vertu.
Ainfi cela foit dit pour qui veut fe connêtre;
Le plus fage eft celui qui ne penfe point l'eftre:
Qui toûjours pour un autre encliu vers la douceur,
Se regarde foi-même en levere cenfeur,
Rend à tous fes defauts une exacte justice,
Et fait fans fe flater le procés à fón vice.

Mais chacun pour foi-même eft toûjours indulgent.-
Un Avare idolâtre, & fou de fon argent,
Rencontrant la difette aufein de l'abondance,
Appelle fa folie une rare prudence,

Et met toute la gloire, & fon fouverain bien
A groffir un trelor qui ne lui fert de rien.
Plus il le void accru, moins il en fçait l'usage.
Sans mentir Favarice eft une étrange rage,
Dira cet autre Fou, nou moins privé de fens,
Qui jette furieux fon bien à tous venans,”

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Et dont l'ame inquiete à foi-mefme importune;
Se fait un embarras de fa bonne fortune..
Qui des deux en effet eft le plus aveuglé?

L'un & l'autre à mon fens ont le cerveau troublé,
Répondra chez Fredoc, ce Marquis fage & prude,
Et qui fans ceffe au jeu, dont il fait fon étude,
Attendant fon deftin, d'un quatorze, ou d'un sept,.
Voit fa vie, ou fa mort fortir de fon cornet.
Que fi d'un fort fâcheux la maligne inconstance
Vient par un coup fatal faire tourner la chance :
Vous le verrez bientoft les cheveux heriffez,
Et les yeux vers le ciel, de fureur élancez,
Ainfi qu'un poffedé que le preftre exorcife,
Fefter dans les fermens tous les Saints de l'Eglife,..
Qu'on le lie, ouje crains, à son air furieux,
Que ce nouveau Titan n'efcalade les cieux.
Mais laiffons-le plûtoft en proye à fon caprice,
Sa folie auffi bien lui tient lieu de fupplice.
Il eft d'autres erreurs, dont l'aimable poifon
D'un charme bien plus doux enyvre la raifon,
L'efprit dans ce nectar heureufement s'oublie,.
Chapelain veut rimer, & c'est là fa folie:
Mais bien que fes durs vers d'epithetes enflez,
Soient des moindres grimands chez Ménage fiflez ::
Lui-mefme il s'applaudit, & d'un efprit tranquille,.
Prend le pas au Parnaffe au deffus de Virgile.
Que feroit-il, Helas! fi quelque Audacieux
Alloit pour fon malheur lui défiller les yeux;
Lui failant voir fes vers & fans force, & fans graces,
Montez fur deux grands mots,comme fur deux échaffes;;
Ses termes fans raifon l'un de l'autre écartez,
Et fes froids ornemens à la ligne plantez?
Qu'il maudiroit le jour, où fon ame infenfée
Perdit l'heureufe erreur qui charmoit la pensée!
Jadis certain Bigot, d'ailleurs homme fenfé,
D'un mal affez bizarre eut le cerveau bleffé:
S'imaginant fans ceffe, en fa douce manie,
Des Elprits bien-heureux entendre l'harmonie :

Enfin un Medecin fort expert en fon art
Le guerit par adreffe, ou plutoft par hazard:
Mais voulant de fes foins exiger le falaire,
Moi ? vous payer? luy dit le Bigot en colere,
Vous ? dont l'art infernal, par des fecrets maudits,
En me tirant d'erreur m'ofte du Paradis.

J'approuve fon couroux. Car puis qu'il faut le dire,
Souvent de tous nos maux la Raifon eft le pire.
C'eft elle qui farouche, au milieu des plaifirs,
D'un remords importun vient brider nos defirs.
La fâcheufe a pour nous des rigueurs fans pareilles:
C'eft un Pedant qu'on a fans ceffe à fes oreilles,
Qui toûjours nous gourmande, & loin de nous toucher,
Souvent comme Joli, perd fon temps à prefcher.
En vain certains Reveurs nous l'habillent en reine,
Veulent fur tous nos fens la rendre fouveraine,
Et s'en formant en terre une divinité,
Penfent aller par elle à la felicité.

C'eft elle, difent-ils, qui nous montre à bien vivre.
Ces difcours, il eft vrai, font fort beaux dans un livre.
Je les eftime fort: mais je trouve en effet,
Que le plus fou fouvent eft le plus fatisfait..

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SATIRE V.

A M. LE MARQUIS DE DANGEAU.

A Nobleffe, Dangeau, n'eft pas une chimere;
Quand fous l'étroite loi d'une vertu fevere,
Un homme iffu d'un fang fecond en Demi-dieux,
Suit comme toi, la trace où marchoient fes ayeux.
Mais je ne puis fouffrir qu'un Fat, dont la moleffe
N'a rien pour s'appuier qu'une vaine noblesse,
Se pare infolemment du merite d'autrui,

Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui..
Je veux que la valeur de fes ayeux antiques,
Ait fourni de matiere aux plus vieilles Chroniques,.
Et que l'un des Capets, pour honorer leur nom,
Ait de trois fleurs de Lis doté leur écuffon.
Que fert ce vain amas d'une inutile gloire ?
Si de tant de Heros celebres dans l'hiftoire,
Il ne peut rien offrir aux yeux de l'Univers,
Que de vieux parchemins, qu'ont épargnez les vers:
Si tout forti qu'il eft d'une fource divine,
Son cœur dément en lui fa fuperbe origine.
Et n'ayant rien de grand qu'une forte fierté,
S'endort dans une lâche & molle oifiveté ?

Cependant à le voir avec tant d'arrogance,
Vanter le faux éclat de fa haute naiffance;
On diroit que le Ciel eft foûmis à fa loi,
Et que Dieu l'a paiftri d'autre limon que moi,

Dites-nous, grand Heros, efprit rare & fublime,
Entre tant d'animaux, qui font ceux qu'on eftime ?>
On fait cas d'un Courfier, qui fier & plein de cœur
Fait paroiftre en courant fa bouillante vigueur:
Qui jamais ne fe laffe, & qui dans la carriere
S'eft couvert mille fois d'une noble pouffiere:
Mais la pofterité d'Alfane & de Bayard,
Quand ce n'eft qu'une roffe, eft venduë au hazard,
Sans refpect des Ayeux dont elle eft defcenduë,

E

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