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SATIRE II.

A M. DE MOLIER E.

R Are&e dont ve

Are & fameux Efprit, dont la fertile veine

Pour qui tient Apollon tous les tréfors ouvers:
Et qui fçais à quel coin fe marquent les bons vers.
Dans les combats d'efprit, fçavant Maiftre d'eferime,
Enfeigne-moi, Moliere, où tu trouves la Rime.
On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher :
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et fans qu'un long détour t'arrefte, ou t'embarrasse,
A peine as-tu parlé, qu'elle-même s'y place.
Mais moi qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchez, je croi, fit devenir Rimeur :
Dans ce rude métier, où mon efprit fe tuë,
En vain pour la trouver, je travaille, & je fuë.
Souvent j'ai beau rêver du matin jufqu'au foir:
Quand je veux dire blanc, la quinteufe dit noir:
Si je veux d'un Galant dépeindre la figure,

Ma plume pour rimer trouve l'Abbé de Pure:
Si je penfe exprimer un Auteur fans defaut,
La raifon dit Virgile, & la rime Quinaut.
Enfin quoi que je faffe, ou que je veuille faire ;
La bizarre toûjours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois ne pouvant la trouver,
Trifte, las, & confus, je ceffe d'y réver:
Et maudiffant vingt fois le Demon qui m'inspire,
Je fais mille fermens de ne jamais écrire :
Mais quand j'ai bien maudit & Muses & Phebus,
Je la voi qui paroift, quand je n'y penfe plus.
Auffi-toft, malgré moi, tout mon feu fe rallume:
Je reprends fur le champ le papier & la plume,
Et de mes vains fermens perdant le fouvenir,
J'attens de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor, fi pour rimer, dans fa verye indiscrete,

Ma

Ma Mufe au moins fouffroit une froide epithete:
Je ferois comme un autre ; & fans chercher fi loin,
J'aurois toûjours des mots, pour les coudre au befoin,
Sije loüois Philis, En miracles feconde.

Je trouverois bientoft, A nulle autre feconde.
Si je voulois vanter un objet Nompareil;
Je mettrois à l'inftant, Plus beau que le Soleil.
Enfin parlant toûjours d' Aftres & de Merveilles."
De Chef-d'oeuvres des Cieux, de Beautez fans pareilles
Avec tous ces beaux mots fouvent mis au hazard,
Je pourrois aifément, fans genie, & fans art,
Et tranfpofant cent fois & le Nom & le Verbe,
Dans mes vers recoufus mettre en pieces Malherbe.
Mais mon efprit tremblant fur le choix de fes mots,
N'en dira jamais un, s'il netombe à propos :
Et ne fçauroit fouffrir, qu'une phrafe infipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vuide.
Ainfi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit foit le premier dont la verve infenfée
Dans les bornes d'un vers renferma fa pensée,
Et donnant à fes mots une étroite prifon,
Voulut avec la Rime enchaîner la Raison.
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,

Mes jours pleins de loifir couleroient fans envie,
Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant,
Et comme un gras Chanoine, à mon aife, & content,
Paffer tranquillement, fans fouci, fans affaire,
La nuit bien dormir, & le jour à rien faire,
Mon cœur exempt de foins, libre de paffion,
Sçait donner une borne à fon ambition,
Et fuiant des grandeurs la prefence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la Fortune:
Et je ferois heureux, fi, pour me confumer,
Un Deftin envieux ne m'avoit fait rimer.

Mais depuis le moment que cette frenefie,
De fes noires vapeurs troubla ma fantaisie,
Et qu'un Demon jaloux de mon contentement,

M'infpira le deffein d'écrire poliment:

Tous les jours malgré moi, cloüé fur un Ouvrage,
Retouchant un endroit, effaçant une page,
Enfin paffant ma vie en ce trifte métier,
J'envie en écrivant le fort de Pelletier.
Bienheureux Scuderi! dont la fertile plume
Peut tous les mois fans peine enfanter un volume.
Tes écrits, il eft vrai, fans art & languiffans,
Semblent estre formez en dépit du bon fens:
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puiffe dire,
Un Marchand pour les vendre, & des Sots pour les lire.
Et quand la rime enfin fe trouve au bout des vers,
Qu'importe que le refte y foit mis de travers ?
Malheureux mille fois celui, dont la manie
Veut aux regles de l'Art affervir fon genie:
Un Sot en écrivant fait tout avec plaifir:
Il n'a point en fes vers l'embarras de choifir:
Et toûjours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
Ravi d'étonnement, en foi-même il s'admire.
Mais un efprit fublime, en vain veut s'élever
A ce degré parfait qu'il tâche de trouver:
Et toûjours mécontent de ce qu'il vient de faire,
Il plaift à tout le monde, & ne fçauroit fe plaire.
Et tel, dont en tous lieux chacun vante l'efprit,
Voudroit pour fon repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc qui vois les maux où ma Mufe s'abîme,
De grace, enfeigne moi l'Art de trouver la Rime:
Ou, puifqu'enfin tes foins y feroient fuperflus,
Moliere, enfeigne moi l'Art de ne rimer plus.

SA

Q

SATIRE

III.

Uel fujet inconnu vous trouble & vous altere? D'où vous vient aujourd'hui cet air fombre &fevere, Et ce vilage enfin plus pafle qu'un Rentier,

A l'afpect d'un arreft qui retranche un quartier?
Qu'eft devenu ce teint, dont la couleur fleurie
Semblcit d'ortolans feuls, & de bifques nourie?
Où la joie en fon luftre attiroit les regards.
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts.
Qui vous a pu plonger dans cette humeur chagrine?
A-t-on par quelque Edit reformé la cuisine ?
Ou quelque longue pluie, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins & vos melons?
Répondez donc du moins, ou bien je me retire.
P. Ah! de grace un moment fouffrez que je refpire.
Je fors de chez un Fat, qui pour m'empoifonner,
Je penfe exprés chez lui m'a forcé de difner.
Je l'avois bien prevû. Depuis prés d'une année,
J'éludois tous les jours fa pourfuite obftinée.
Mais hier il m'aborde, & me ferrant la main :
Ah! Monsieur, m'a-t-il dit, je vous attens demain.
N'y manquez pas au moins. J'ai quatorze Bouteilles
D'un vin vieux... Boucingo n'en a point de pareilles :
Et je gagerois bien que chez le Commandeur,
Villandri priferoit fa séve, & fa verdeur.
Moliere avec Tartuffe y doit jouer fon rôle :
Et Lambert, qui plus eft, m'a donné la parole.
C'est tout dire en un mot, & vous le connoiffez.
Quoi Lambert ? Oiii Lambert. A demain : C'est affez.
Ce matin donc, feduit par fa vaine promeffe

J'y cours, midi fonnant, au fortir de la meffe.
A peine eftois-je entré, que ravi de me voir,
Mon homme, en m'embraffant, m'eft venu recevoir:
Et montrant à mes yeux une allegreffe entiere,
Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Moliere,
Mais puifque je vous voy, je me tiens trop content.

Yous

Vous eftes un brave homme: Entrez. On vous attend.
A ces mots, mais trop tard, reconnoiffant ma faute:
Je le fuis en tremblant dans une chambre haute,
Où, malgré les volets, le Soleil irrité

Formoit un poefle ardent, au milieu de l'Esté.
Le couvert eftoit mis dans ce lieu de plaisance:
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connoiffance,
Deux nobles Campagnards, grands lecteurs de Romans,
Qui m'ont dit tout Cirus, dans leurs longs complimens.
J'enrageois. Cependant on apporte un potage..
Un Coq y paroiffoit en pompeux équipage,
Qui changeant fur ce plat & d'eftat & de nom,
Par tous les Conviez s'eft appellé Chappon.
Deux affiettes fuivoient, dont l'une eftoit ornée
D'une langue en ragouft de perfil couronnée :
L'autre d'un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beure gluant inondoit tous les bords.
On s'affied: mais d'abord noftre troupe ferrée
Tenoit à peine au tour d' une table quarrée,
Où chacun, malgré foi, l'un fur l'autre porté,
Faifoit un tour à gauche, & mangeoit de cofté,
Jugez en cet eftat, fi je pouvois me plaire,
Moi qui ne conte rien ni le vin, ni la chêre;
Si l'on n'eft plus au large affis en un Feftin,
Qu'aux Sermons de Caffaigne, ou de l'Abbé Cotin.
Notre Hofte cependant s'adreffant à la troupe :
Que vous femble, a-t-il dit, du gouft de cette foupe?
Sentez-vous le citron dont on a mis le jus,.
Avec des jaunes d'œuf meflez dans du verjus?
Ma foi, vive Mignot, & tout ce qu'il apprefte.
Les cheveux cependant me dreffoient à la teste :
Car Mignot, c'eft tout dire, & dans le monde entier,
Jamais empoisonneur ne fceut mieux fon mêtier.
J'approuvois tout pourtant de la mine & du gefte,
Penfant qu'au moins le vin dûft reparer le relte.
Pour m'en éclaircir donc, j'en demande. Et d'abord,
Un Laquais effronté m'apporte un rouge bord,
D'un Auvernat fumeux, qui meflé de Lignage,

Se

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