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ses plaisirs &à tous ses divertissemens, c'est à dire, à ses lectures &à ses promenades. Il me favorila mesme quelquefois de la plus étroite confidence, & me fic voir à fond son aine entiere. Er que n'y vis-je point? Quel tresor surprenant de probité & de justice! quel fonds inépuisable de pieté & de zele! Bien que la vertu jettast un fort grand éclat au dehors, c'estoit toute autre ehose au dedans, & on voyoit bien qu'il avoit soin d'en temperer les rayons, pour ne pas blesser les yeux d'un liecle auffi corrompu que le nostre. Je fus sincerement épris de tant de qualitez admirables, & s'il eur beaucoup de bonne volonté pour moi, j'eus aussi pour lui une tres-forte attache. Les soins que je lui rendis, ne furent meslez d'aucune raison d'interest mercenaire; & je fongeay bien plus à profiter de la conversation que de son credit. Il mourut dans le tems que cette annitiéestoit en son plus haut point, & le souvenir de la perte m'afflige encore tous les jours. Pourquoi faut-il que des Hommes fi dignes de vivre soient sitost enlevez du monde, tandis que des miserables & des gens de rien arrivent à une extrême vieillelfe ? Je ne in'étendrai pas davantage sur un sujet fi triste : car je sens bien que li je continuoisà en parler, je ne pourrois m'empêcher de moüiller peut-estre de larmes la Preface d'un livre de Satires & de plaisanteries.

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SA.

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J

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A U ROY.

A NAZ
* Eune & vaillant Heros, dont la haute fageffect
N'est point le fruit tardif d'une lente vieilleffe:

Et qui fcul, fans Ministre, à l'exemple des Dicox,
Soutiens tout par Toi-même & vois tout par tes yeux.
GRAND ROI, i jusqu'ici , par un trait de prudence,
J'ay demeuré pour Toi dans un humble silence;
Ce n'est pas que mon caur vainement suspendu
Balance pour t'offrir un encens qui t'est dû.
Mais je Içai peu loüer, & ma Muse tremblante
Fuit d'un fi grand fardeau la charge trop pesante;
Et dans ce haur éclat ou Tu te viens offrir,
Touchant à tes lauriers craindroit de les flétrir.

Ainsi, fans m'aveugler d'une vaine manie,
Je mesure mon vol à mon foible genie;
Plus sage en mon respect , que ces hardis Mortels
Qui d'un indigne encens profanent tes Autels ;
Qui dans ce champ d'honneur, ou le gain les amcine,
Olent chanter ton nom sans force & fans haleine,
Et qui vont tous les jours, d'une importune voix,
T'ennuyer du recit de tes propres exploits.

L'un en stile pompeux habillant une Eclogue,
De fes rares vertus Te fait un loog prologue,
Er mese, en se vantant soi-mesme à tout propos,
Les louanges d'un Farà celles d'un Heros.

L'autre en vain fe lafant à polir une rime,
Et reprenant vingt fois le rabot & la lime,
Grand & nouvel effort d'un Esprit sans pareil;
Dans la fin d'un Sonnet Te compare au Soleil,

Sur le haut Helicon leur veine méprisée,
Fut coûjours des neuf Sæurs la fable & la risée.
Calliope jamais ac daigta leur parler,

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Et Pégase pour eux refuse de voler.
Cependant à les voir enflés de tant d'audace.
Te promettre en leur nom les faveurs du Parnalle,
On diroit qu'ils ont seuls l'oreille d'Apollon,
Qu'ils disposent de tout dans le sacré Vallon.
C'est à leurs doctes mains, si l'on veut les en croire,
Que Phebus a commis tout le soin de ta gloire :
Et ton Nom du Midi jusqu'à l'Ourse vanté,
Ne devra qu'à leurs vers son immortalité.
Mais plûtoft fans ce Nom , dont la vive lumiere
Donne un lustre éclatant à leur veine grossiere,
Ils verroient leurs écrits honte de l'univers
Pourir dans la poussiere à la merci des vers.
A l'ombre de ton Nom ils trouvent leur azile,
Comme on void dans les champs un arbrisseau debilc
Qui sans l'heureux appui qui le tient attaché,
Languiroit tristement sur la terre couche.

Ce n'est pas que ma plume injufte & cemeraire,
Veüille blâmer en eux le dessein de Te plaire.
Et parmi tant d'Auteurs, je veux bien l'avoüer,
Apollon en connoist qui Te peuvent loüer.
Oui, je sçay, qu'entre ceux qui t'adressent leurs veilles,
Parmi les Pelletiers on conte des Corneilles.
Mais je ne puis souffrir, qu’un Efprit de travers
Qui pour rimer des mots pense faire des vers ,
Se donne en Teloüant une gesne inutile.
Pour chanter un Auguste, il faut eftre un Virgile.
Et j'approuve les soins du Monarque guerrier,
Qui ne pouvoit souffrir , qu’un Artifan grossier
Entreprift de tracer d'une main criminelle,
Un portrait refervé pour le pinceau d'Apelle.

Moi donc, qui connois peu Phebus & fes douceurs: Qui suis nouveau sevré sur le Mont des neuf Scurs: Attendant que pour Toi l'âge ait meuri ma Muse, Sur de moindres sujets je l'exerce & l'amuse : Et tandis que ton bras des peuples redoute, Va, la foudre à la main, rétablir l'Equité; Et retient les Méchans par la peor des fupplices,

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Moi, la plume à la main, je gourmande les vices,
Et gardant pour moi-mesme une juste rigueur,
Je confie au papier les fecrets de mon coeur.
Ainsi, dés qu'une fois ma verve se réveille :
Comme on void au printemps la diligente abeille ,
Qui du butin des fleurs va composer fon miel;
Des sottises du temps je compose mon fiel.
Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tênir en marchant une route certaine,
Et fans gesner ma plume en ce libre métier ,
Je la laille au hazard courir sur le papier.

Le mal est qu'eu rimant, ma Muse un peu legere
Nomme tout par son nom , & ne sçauroit rien taire.
C'est là ce qui fait peur aux esprits de ce temps,
Qui tout blancs au dehors, font tout noirs au dedans
Ils tremblent qu'un censeur

que

fa verve encourage,
Ne vienne en ses écrits démasquer leur visage,
Et foüillant dans leurs mæurs en toute liberté,
N'aille du fond du Puits tirer la verité.
Tous ces gens éperdus au feul nom de Satire,
Font d'abord le procez à quiconque oferire.
Ce sont eux que l'on voit ; d'un discours insensé ,
Publier dans Paris, que tout est renversé,
Au moindre bruit qui court qu'un Auteur les menace
De jouir des Bigots la trompeufe grimace.
Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux,
Mais bien que d'un faux zele ils mafquent leur foiblesle,

:
Chacun voit qu'en effet la Verité les blesse.
En vain d'un lâche orgueilleur esprit revestu
Se couvre du manteau d'une austere vertu:
Leur coeur qui fe connoift, & qui fuit la lumiere,
S'il se mocque de Dieu , craint Tartuffe & Moliere.

Mais pourquoi sur ce point sans raison m'écarter ?
GRAND Roi, c'est mon defaur , je ne sçaurois fater.
Je ne sçai point au ciel placer un ridicule ;
D'un Nain faire un Atlas, ou d'un lâche un Hercule;
Et sans cesse en esclave à la suite des Grauds

A des

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A des Dieux fans vertu prodiguer mon encens.
On ne me verra point d'une veine forcée.
Mesmes, pour te loüer, déguiser ma pensée :
Et quelque grand que soit ton pouvoir souverain ,
Si mon coeur en ces vers ne parloit par ma main ;
Il n'est espoir de biens , ni raison , ni maxime,
Qui pusten ta faveur m'arracher une rime.

Mais lors que je Tevoi, d'une si noble ardeur ,
T'appliquer sans relâche aux soins de ta grandeur,
Faire honte à ces Rois que le travail étonne ,
Et qui sont accablez du faix de leur couronne:
Quand je voi ta fageflc, en ses justes projets,
D'une heureuse abondance enrichir tes Sujets !
Fouler

aux pieds l'orgueil & du Tage & du Tibre:
Nous faire de la mer une campagne libre ;
Et tes braves Guerriers, secondant ton grand coeur,
Rendre à l'Aigle éperdu sa premiere vigueur:
La France sous tes loix maistriser la fortune;
Et nos vaisseaux domtant l'un & l'autre Neptune ,
Nous aller chercher l'or, malgré l'onde & le vent ,
Aux lieux , où le Soleil le forme en se levant.
Alors, sans consulter fi Phebus l'en avouë,
Ma Muse toute en feu

me previent , & Te louë.
Mais bientost la raison arrivant au secours,
Vient d'un si beau projet interrompre le cours :
Et me fait concevoir , quelquc ardeur qui m'emporte,
Que je n'ai ni le ton , ni la voix assez forte.
Aussi-tost je m'effraye, & mon esprit trouble
Laisse-là le fardeau dont il est accable':
Et sans passer plus loin, finissant mon ouvrage;
Comme un Pilote en mer , qu'épouvante l'orage,
Dés que le bord paroist , sans songer oui je suis,
Je me fauyc à la nage, & j'aborde ou je puis.

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SA

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