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tres, qui au defaut de la mienne pourront peut-être vous amuser agreablement. Elles font dattées des champs Elysées. L'une eft de Balzac, & l'autre de Voiture, qui tous deux charmés du recit de voftre dernier combat, vous écrivent de l'autre Mondes pour vous en feliciter.

Voici celle de Balzac. Vous la reconnoiftrés aifément à fon ftile qui ne fçauroit dire fimplement les chofes, ni defcendre de fa hauteur.

MONSEIGNEUR,

Aux champs Elysées 2. Iuin.

Le bruit de vos actions reffufcite les Morts. II reveille des gens endormis depuis trente années,& condamnés à un fommeil éternel. Il fait parler le Silence mefme. La belle ! l'éclatante! la glorieufe conquefte que vous avés faite fur les Ennemis de la France! Vous avés redonné le pain à une Ville qui a accoûtumé de le fournir à toutes les autres. Vous avés nouri la mere nourice de l'Italie. Les tonneresde cette flotte qui vous fermoit les avenuës de fon port,n'ont fait que falüer voftre entrée.Sa refiftance ne vous a pas arrêté plus long temps qu'une reception un peu trop civile. Bien loin d'empêcher la rapidité de vostre course, elle n'a pas feulement interrompu-l'ordre de voftre marche. Vousavés contraint à fa veuë le Sud & leNord de vous obeïr. Sans châtier la mer comme Xerxés vous l'avés rendue difciplinable. Vous avés plus fait encore, vous

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avés rendu l'Espagnol humble. Après cela que ne peut-on point dire de vous? Non, la Nature, je dis la Nature encore jeune & du temps qu'elle produifoit les Alexandres & lesCefars,n'a rien produit de fi grand que fous le regne de LOUIS quatorziéme. Elle a donné aux François fur fon declin ce que Rome n'a pas obtenu d'elle dans fa plus grande maturité. Elle a fait voir au monde dans vô-. tre fiecle en corps & en ame, cette valeur parfaite, dont on avoit à peine entreveu l'idée dans les Romans & dans les Poëmes Heroiqués. N'en déplaife à un de vos Poëtes, il n'a pas raifon d'écrire qu'au de-là du Cocyte le merite n'eft plus connu. Le voftre, MONSEIGNEUR, eft vanté ici d'une commune voix des deux coftés du Styx. Il fait fans cefle reffouvenir de vous dans le féjour mefmes de l'oubli. Il trouve des partifans zelés dans le pais de l'Indifference. Il met l'Acheron dans les interefts de la Seine. Difons plus, il n'y apoint d'ombre parmi nous fi prevenue des principes du Portique, fiendurcie dans l'Ecole de Zcnon, fi fortifiée contre la joie & contre la douleur, qui n'entende vos louanges avec plaifir,qui ne batte des mains, qui ne crie, miracle! au moment que l'on vous nomme, & qui ne foit prefte de dire avec voftre Malherbe

A la fin c'est trop de filence
En fi beau fujet de parler.

Pour

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Pour moi, MONSEIGNEUR,qui vous conçois encore beaucoup mieux, je vous medite fans cefle dans mon repos; je m'occupe tout entier de vostre idée, dans les longues heures de noftre loifir: je crie continuellement, le grand perfonnage! & fi je fouhaitte de revivre,c'eft moins pour revoir la lumiere, que pour jouir de la fouveraine fe•licité de vous entretenir, & de vous dire de bouche avec combien de refpect je fuis de toute l'étenduë

de mon ame,

MONSEIGNEUR,

Voftre tres-humble, & tresobeïffant ferviteur BALZAC.

Jene fçai, MONSEIGNEUR,fi ces violentes exagerations vous plairont,& fi vous ne trouverés point que le ftile de Balzac s'eft un peu corrompu dans l'autre monde. Quoi qu'il en soit, jamais à mon avis il n'a prodigué fes hyperboles plus à propos. C'est à vous à en juger. Mais auparavant: Lifes, je vous prie, la lettre de Voiture.

à

MONSEIGNEUR,

Aux champs Elysées 2.Juin.

Bien que nous autres Morts ne prenions pas grand intereft aux affaires des vivans, & nefoyons pas trop portés à rire, je ne fçaurois pourtant m'empêcher de me rejouir des grandes chofes que

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vous faites au deffus de noftre tefte. Serieusement voftre dernier Combat fait un bruit de Diable aux Enfers. Il s'eft fait entendre dans un lieu où l'on n'entend pas Dieu tonner, & a fait connoiftre vôtre gloire, dans un pays où l'on ne connoist point le Soleil. Il eft venu ici un bon nombre d'Espagnols qui y eftoient, & qui nous en ont appris le détail. Je ne fçay pas pourquoi on veut faire paffer les gens de leur nation pour fanfarons. Ce font, je vous affure, de fort bonnes gens, & le Roi depuis. quelque temps nous les envoye ici fort doux & fort honneftes. Sans mentir, MONSEIGNEUR, vous avés bien fait des vôtres depuis peu. A voir de quel air vous courés la Mer Mediterranée, il femble qu'elle vous appartienne tout entiere. Il n'y a pas à l'heure qu'il eft dans toute fon eftenduë un feul Corfaire en feureté, & pour peu que cela dure, je ne voi pas dequoi vous voules que Thunis & Alger fubfiftent.. Nous avons ici les Cefars, les Pompées, & les Alexandres. Ils trouvent tous que vous avés aflés attrapé leur air dans voftre maniere d'écarter tout ce qui s'oppofe à vous. Surtout Cefar vous trouve tres- Cefar. Il n'y a pas jufqu'aux Alarics, aux Genferics, aux Theodorics, & à tous ces autres Conquerans en ics qui ne parlent fort bien de vostre action: & dans le Tartare mefme,je ne fçai fi ce lieu vous eft connu, il n'y a point de diable, MONSEIGNEUR, qui ne confefle ingenûment, qu'à la tête d'une armée vous estes beaucoup plus diable que lui. C'eftune verité dont

vos ennemis tombent d'accord. Neanmoins à voir le bien que vous avés fait à Meffine, j'estime pour moi, que vous tenés beaucoup plus de l'Ange que du Diable: hors que les Anges ont la taille un peu plus legere que vous, & n'ont point le bras en écharpe: Raillerie à part, l'Enfer eft extrémement déchainé en voftre faveur. On ne trouve qu'une chofe à redire à voftre conduite; c'eft le peu de foin que vous prenés quelquefois de voftre vie. On vous aime aflés en ce païs-ci,pour fouhaiter de ne vous y point voir. Croyés moi, MONSEIGNEUR, je l'ai déja dit en l'autre Monde, c'est fort peu de chofe qu'un Demidieu, quand il est mort. Il n'eft rien tel que d'eftre vivant. Et pour moi, qui fçais maintenant par experience ce que c'eft que de ne plus eftre; je fais ici la meilleure contenance que je puis; Mais, à ne vous rien celer je meurs d'envie de retourner au monde, ne fuft-ce que pour avoir le plaifir de vous y voir. Dans le deflein mefmes que j'ai de faire ce voyage, j'ai déja envoyé plufieurs fois chercher les parties de mon corps, pour les raffembler: mais je n'ai jamais pu ravoir mon cœur, que j'avois laillé en partant à ces fept Maîtrelles que je fervois, comme vous fçavés, fi fidelement toutes fept à la fois. Pour mon efprit, à moins que vous ne l'ayés, on m'a affuré qu'il n'eftoit plus dans le monde. A vous dire le vrai, je vous foupçonne un peu d'en avoir au moins l'enjoûment. Car on m'a rapporté ici quatre ou cinq mots de voftre façon que je vou

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