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La Théologie des philofophes eft encore un champ vafte & fertile où le génie peut moiffonner. On diftingue les fictions qui ont pris naiffance au fein de la philofophie, on les diftingue des Fables vulgaires à la jufteffe des rapports & à certain air de vérité que celles-ci n'ont jamais. La raifon même applaudit dans les poëmes de Virgile toutes les Fables qu'il a empruntées d'Epicure, de Pithagore, & de Platon. L'imagination fe repofe avec délices fur un merveilleux plein d'i

dées

elle gliffe avec dédain fur un

menfonge vuide de fens.

ter,

Que l'on compare dans Homere la chaîne d'or attachée au trône de Jupila ceinture de Vénus, l'allégorie des prieres, l'ordre que le Dieu Mars donne à la terreur & à la fuite d'atteler fon char, que l'on compare, disje, le plaifir pur & plein que nous caufent ces belles idées, ces idées philofophiques, avec l'impreffion foible & vague que fait fur nous la parole accordée aux chevaux d'Achille, le préfent qu'Eole fait à Ulyffe des vents.enfermés dans une voute le foin que prend Minerve de prolonger la premiere nuit que ce héros, à fon re

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tour, paffe avec Pénélope fa femme, &c. on fentira combien la vérité donne de valeur au menfonge, & combien la feinte eft puérile, infipide lorfqu'elle n'eft pas fondée en raifon. Je l'ai déjà dit, & je le répéterai fouvent plus un poéte, à génie égal, sera philofophe, plus il fera poéte.

Le plan d'études que je viens de tracer, propofé à un feul homme, feroit fans doute effrayant, quoique notre fiécle ait l'exemple d un génie qui l'a rempli. Mais on a dû voir que pour éviter la diftribution des études, j'ai fuppofé le poéte univerfel. Il eft évident que celui qui fe renferme dans le genre de l'Eglogue n'a pas befoin des études relatives à l'Epopée. Je parle donc en général, & je laiffe à chacun le foin de prendre ce qui eft de fa sphere.

Atque tuis prudens genus elige viribus aptum.

Vida.

J'obferverai feulement qu'il en eft des connoiffances du poéte, comme des couleurs du peintre, qui devoient être fur la palette avant qu'il prenne le pinceau. C'est par un recueil beaucoup plus ample que le fujet ne l'exi

ge, qu'il fe met en état de le maîtrifer & de l'aggrandir. Le plus beau fujet réduit à fa fubftance, eft peu de chofe, il ne s'étend, ne s'embellit que par les lumieres du poéte ; & dans une tête vuide il périra, comme le grain jetté fur le fable; au-lieu que dans une imagination pleine & féconde un fujet qui fembloit ftérile ne devient que trop abondant, & c'eft le plus beau défaut du génie.

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*Illi qui tument, & abundantiâ laborant, plus habent furoris, fed plus etiam corporis. Semper autem ad fanitatem proclivius eft quod poteft, detractione curari. Illi fuccurri non poteft qui fimul & infanit & defecit.

* Senec.

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CHAPITRE IV.

Du flyle Poëtique.

CE qui me diftingue de Pradon (difoit Racine) c'est que je fçai écrire Homere, Platon, Virgile, Horace ,: ne font au-deffus des autres Ecrivains (dit la Bruyere) que par leurs ,, expreffions & par leurs images. „

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Sans prendre à la lettre l'aveu modefte de Racine ni l'opinion de la Bruyere, l'on doit regarder le ftyle comme une partie effentielle de la poëfie, & le talent de bien écrire comme le plus féduifant de tous. Mais cet éloge fi commun cela eft bien écrit, eft fouvent auffi mal entendu qu'il eft peu mérité.

Diftinguons dans le ftyle poétique fes qualités permanentes & fes modes accidentels. Ses qualités permanentes font la clarté, la précifion, la jufteffe, la correction, la facilité, l'abondance, la richeffe, l'élégance, le naturel, la décence, le coloris & l'harmonie, Prefque toutes ces qualités font communes à la poéfie, à l'éloquence, à l'histoià la philofophie elle-même : car il n'eft jamais inutile d'embellir la vérité: & dans les chofes où le foin de plaire eft le plus fubordonné à celui d'inftruire, le ftyle ne dédaigne pas de fe parer au moins négligemment.

re,

J'appelle modes ou accidens du ftyle ce qui le varie & le diftingue de luimême, comme fes tours & fes mouvemens, le ton que le fujet lui donne le caractere que lui imprime la penfée, celui qu'il emprunte des moeurs,

.

de la fituation, de l'intention. de celui qui parle. Tels font l'énergie, la véhémence, la naïveté, la délicateffe, l'élévation, la fimplicité, la légèreté, la fineffe, la gravité, la douceur, le coloris, l'harmonie, &c.

Commençons par les qualités habituelles. La premiere eft la clarté.

Avant d'écrire il faut se bien entendre & fe proposer d'être bien entendu. On croiroit ces deux regles inutiles à prefcrire ; rien n'eft plus commun cependant que de les voir négliger. On prend la plume avant que d'avoir démêlé le fil de fes idées, & leur confufion fe répand dans leur ftyle. On laiffe du vague & du louche dans la penfée, & l'expreffion s'en reffent.

Dans le ftyle figuré, la clarté dépend de la tranfparence des images; & nous allons bientôt examiner d'où vient qu'une image eft claire ou qu'elle ne l'eft pas. Il ne s'agit ici que du ftyle fimple.

Le termes vagues qui ne préfentent à l'efprit aucune idée nette & diftincte font les plus incompatibles de tous avec le ftyle poëtique: on y a recours dans la ftérilité, & alors le ftyle n'eft pas obfcur, il eft vuide.

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