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parfums de la chasteté et de la sainteté. Vous vous servez de la parole pour tuer dans l'intelligence de vos frères la pensée de Dieu, en inoculant dans les âmes le virus de l'erreur, de ces lèvres mêmes d'où devait jaillir en éclats de lumière l'éternelle vérité. Vous vous servez de la parole pour tuer dans son germe divin la volonté, la pratique du bien, en faisant une simple manifestation de l'orgueil, de la chair et du sang, de ce verbe, enfant du Verbe même de Dieu. Comment pouvezvous désormais communiquer avec vos semblables et avec Dieu, si votre parole n'est plus que l'écho du mensonge, de l'erreur et du blasphème? Quelle société peut subsister parmi vous? Qu'avez-vous encore de commun, sinon le fatal privilége de vous tromper les uns les autres? Que vous reste-t-il de supérieur à l'animal, si la parole n'est plus que le signe des passions que vous partagez avec lui? Que dis-je? l'animal ne ment pas, il ne blasphème pas. Ah! sachez-le, toute société où la parole humaine n'a plus droit au respect est une société maudite, qui marche vite à sa dernière heure; car « les morts vont vite, » comme dit la ballade allemande, et ceux-là sout spirituellement morts, qui ont perdu le sens sacré et divin de la parole.

Que vous reste-t-il alors? La force, le jeu dynamique des lois de la matière à la place du droit, de la vérité, de la justice; au lieu de la vie, la mort; au lieu de l'intelligence et de la liberté, la force et la servitude du mal; au lieu de l'amour, la haine; au lieu du Christ, Satan. Ah! oui, soyez fiers de ce triomphe de la matière sur l'esprit; reniez la cendre des martyrs en remettant les destinées du genre humain à l'enjeu du plus fort; abdiquez toute puissance spirituelle, en abdiquant la grandeur et l'inviolabilité de la parole. Dormez votre sommeil sur cette déchéance du verbe humain et

divin. Mais, prenez-y garde, le réveil sera terrible et les ruines iront aussi loin qu'est allé votre mépris de la parole.

La parole d'ailleurs n'est pas seulement cet esprit qui s'exhale des lèvres de l'homme avec le souffle de son âme, c'est toute expression de sa vie traduite en actes, car les paroles de l'homme aussi sont des œuvres. Ainsi, le sang était la parole des martyrs; la pureté, la parole des vierges ; la prière, le sacrifice, la charité et la plus haute perfection morale, la parole des saints; la pénitence, la parole des ascètes et des cénobites; les cathédrales, la parole des artistes; les Sommes encyclopédiques, la parole des penseurs; toutes les œuvres de l'industrie, la parole des artisans. La parole de chacun de nous, ce sont tous les actes de sa vie. Que de choses n'aurions-nous pas à dire, si nous voulions considérer successivement chacun de ces aspects de la parole ou du verbe de l'homme! Mais ce serait là l'objet de tout un livre. Aussi nous bornerons-nous à prendre, comme exemple, cette parole humaine qu'on appelle l'art, et à l'envisager dans son acception la plus générale comme expression du beau. Ce sera l'objet du chapitre suivant.

Unité dans la vérité.

XV

LE BEAU.

Toute beauté dans le Verbe. - Jésus-Christ, type

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de la beauté humaine. Le beau pas stationnaire. deux natures. L'art grec et l'art du moyen âge.

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le bien indivisibles.

Qui cùm sit (Christus) splendor gloriæ.
HEB., C. I., 3.

Jésus-Christ est la splendeur de la gloire
(de son Père).

La philosophie traite séparément du beau, du vrai, du bien, comme si ce n'était pas les trois faces indivisibles d'une seule et même chose. Cette unité indécomposable, qui est le beau comme art, le vrai comme logique, le bien comme vie pratique, cette unité, dis-je, n'a pas même encore reçu un nom dans la langue humaine. Pour ceux qui ont pénétré le sens profond de ce travail, elle est indiquée, elle est déjà même nommée par nous c'est l'indéfini. Qu'est-ce en effet que l'indéfini? Un sentiment? Oui, mais plus encore. Une idée ? Oui; mais encore autre chose. Une pratique vivante? Oui ; mais ce qui le constitue réellement, ce qui en fait toute la grandeur et toute la fécondité, c'est qu'il est ces trois choses en une, ces trois aspects dans leur indivise unité. Ne point le sentir, ne point le concevoir et l'appliquer selon cette loi, c'est n'en avoir ni le sentiment, ni l'idée, ni la vie.

Essayez de concevoir le beau dans l'art, sans le sentiment. de l'indéfini, la vérité dans la logique, sans l'idée de l'indéfini, le bien dans la morale, sans la pratique de l'indéfini. Essayez surtout de séparer le sentiment de l'indéfini dans le beau, de la pensée dans le vrai et de la pratique dans le

bien, et réciproquement chacun de ces trois termes dans leur unité, et vous reconnaîtrez bientôt que dans leur séparation, et uniquement en elle, se trouve la source de toutes les difformités, comme de toutes les erreurs et de tous les maux. Ce principe de l'indéfini ou de la perfection sous ses trois faces une fois posé, il ne reste plus qu'à en déduire les conséquences dans chacun des ordres de l'activité humaine. C'est ce que nous allons essayer au sujet du beau.

Qu'est-ce que le beau ? Le beau, disent les uns, ne peut pas plus se définir que la lumière et la vie : on le voit, on le sent, on l'exprime, on ne le définit pas. Le beau, disent les autres, est ce qui répond à cet idéal qui est en nous, et par lequel nous le percevons; toute beauté est relative, il n'y a point de beau absolu. Ainsi, pour les uns comme pour les autres, la question reste insoluble: pour les premiers, parce que le beau est insaisissable comme l'infini; pour les seconds, parce qu'il varie comme le fini, selon chaque appréciation personnelle.

Si l'on demande ce que c'est que le beau en soi, il est évident qu'alors le beau, c'est Dieu ou l'infini, et comme nous ne pouvons percevoir directement l'infini, le beau reste insaisissable dans sa nature intime. Aussi, nous ne cherchons pas à saisir le beau dans son essence, mais tel qu'il nous est donné de le connaître au moyen du sentiment de l'indéfini ou de la perfection.

Si l'on demande ce que c'est que le beau en général, il faut que la réponse embrasse tous les genres de beauté à la fois, c'est-à-dire qu'elle renferme, dans une seule et même pénsée, tout ce qui est, depuis Dieu jusqu'à ses dernières créatures. Or cela est impossible à l'homme. La contemplation seule des détails innombrables de la création terrasse

notre frêle intelligence perdue dans cette immensité. Aussi, n'est-il donné à personne de répondre à la question envisagée de ce point de vue. Considérons-la donc d'une autre manière.

Si l'on veut bien rappeler à son souvenir ce que nous avons dit touchant le Verbe éternel, il doit être évident pour tous que Dieu de toute éternité a conçu dans son intelligence la création, car son activité, étant éternellement infinie, n'a jamais pu être un instant sans produire tout ce qu'elle peut produire. Sa puissance de conception étant infinie, il a dû, sans tâtonnements et sans choix, réaliser dans cette conception même la plénitude de perfection de chaque être. L'expression de cette idée éternelle de Dieu manifeste donc nécessairement la beauté absolue de chacun des êtres qui la constituent. Elle est par conséquent la réponse à la question que nous avons posée.

Mais cette expression de la pensée éternelle, comment la saisir? Nous la connaissons, car elle s'est manifestée dans le temps comme dans l'éternité, dans l'ordre de l'histoire et des faits, comme dans celui des croyances et des idées : c'est ce que la théologie nomme le Verbe, et l'histoire Jésus-Christ. Miroir sans tache de la splendeur divine, en tant qu'idée du moi divin, et en même temps splendeur parfaite de la beauté de toutes les créatures, en tant que contenant leur nature prototype et modèle, il est donc l'archétype l'idéal absolu du beau. Ainsi le beau, la beauté, c'est le Verbe divin, c'est le Christ.

Oui, Jésus-Christ est la manifestation du beau absolu, beauté de Dieu en lui-même dans l'unité de sa Trinité, beauté universelle dans l'unité de Dieu, de l'homme et de la création symbolisée par le temple chrétien. Par le Christ et en lui se

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