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XIV

DE L'HOMME. '

L'homme dans le Christ. — Ame des vies. — Esprit incarné.― Médiateur.

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La définition du Christ embrassant celle de l'homme, dont elle est le prototype idéal, nous allons, en traitant de l'homme lui-même, en continuer le développement.

Qu'est-ce que l'homme? Avant de répondre à cette question, il faut d'abord distinguer : 1° l'homme avant la chute; 2o l'homme tombé; 3° l'homme racheté. Ils ne voient que le premier, ceux qui, comme J.-J. Rousseau, font l'homme essentiellement bon, ou, comme les modernes utopistes, le montrent dans un idéal de perfection et de béatitude, qui est son état originel et non son état actuel. Ils ne voient que le second, ceux qui, comme Hobbes et Voltaire, ne considèrent que l'homme animal, l'homme dans son double égoïsme, dans sa double concupiscence du corps et de l'esprit. Le premier est l'homme dans sa destinée originelle, le second dans son existence de simple hôte de la nature. L'homme que nous voulons étudier ici n'est ni l'un ni l'autre exclusivement, mais bien le troisième, c'est-à-dire l'homme comme rapport, et synthèse dans la création du fini et de l'indéfini, l'homme réintégré à la fois dans sa double et

véritable destinée du temps et de l'éternité, l'homme dans le Christ, son principe, son médiateur et sa fin dernière.

Selon la Genèse, la réalisation de l'homme termine la création du monde que nous habitons. Dieu, après avoir appelé à l'existence tous les êtres qui composent les divers ordres de la nature, contemplant son œuvre, dit que tout était bon, depuis la lumière, source de la vie et de la beauté de l'univers, depuis la plante qui germe, croît et fleurit, jusqu'aux hôtes des abîmes de la mer, depuis l'aigle, qui se joue dans les rayons du soleil, jusqu'à l'humble luciole, depuis le reptile jusqu'au lion, roi des forêts, tout était bou, d'une bonté relative à la nature modèle qui vit au sein du Verbe, car la bonté des créatures ne saurait être qu'une manifestation de la bonté des êtres que Dieu contemple éternellement au sein de sa Parole. Mais puisque tout était bon sur la terre avant l'apparition de l'homme, puisque la création semblait achevée, pourquoi Dieu l'a-t-il créé? Nous demanderons à la révélation ses infaillibles enseignements; mais ne pourrions-nous pas, en suivant d'abord la méthode que nous avons indiquée, arriver à une notion exacte du plan providentiel de Dieu dans la création? Nous allons essayer cette étude, l'une des plus importantes.

Comment a-t-on considéré l'homme dans sa nature? Quelle est la définition de cet être plein de mystères, pour lequel évidemment tout ce qui est sur la terre a été fait?

On a dit : « L'homme est un animal raisonnable. » Cette définition détermine-t-elle la vraie nature de l'homme? Contient-elle la raison et le but de son apparition dans le temps? Le sépare-t-elle d'une manière absolue de tous les êtres qui n'appartiennent pas à sa race? Évidemment, non. Ne dirait-on pas, d'après cette notion généralement reçue,

que le corps, l'animalité occupe le premier rang dans la nature humaine, et que l'esprit ne vient que comme une sorte de complément du corps animal auquel il est uni? Un tel renversement dans l'ordre des éléments dont l'homme est composé ne fait-il pas voir que cette définition est empruntée au monde païen, dans lequel l'homme extérieur occupait une si grande place? Ce qui est supérieur ne doit-il pas marcher avant ce qui est inférieur, et l'esprit étant plus noble que la matière, la raison ne dit-elle pas que le corps n'est qu'un instrument de l'esprit, un médiateur qui lui est donné pour se mettre en rapport avec la création visible par laquelle il s'élève vers le Créateur qu'elle manifeste ? Sans doute, l'homme n'est point destiné à être un pur esprit. Dieu est immuable dans ses pensées; il a voulu que l'homme fût un être mixte; il le voudra toujours : le corps est donc un élément nécessaire de notre nature, mais il doit occuper le dernier rang. Si nous soumettons ces appréciations au criterium de la révélation, nous verrons que lorsque Dieu créa l'homme, il commença par la création de l'homme spirituel. « Faisons l'homme, dit-il, à notre image et à notre ressemblance 1; » voilà la réalisation de l'homme-esprit. Il est évident que le corps n'est pour rien dans cette première opération de l'adorable Trinité, car Dieu est pur esprit. Ainsi, d'après la Genèse, Dieu commença par la création de l'homme-esprit. A ce sujet, Synésius, évêque de Ptolémaïs, un des hommes les plus savants du cinquième siècle, disait, dans sa lettre à son frère, que« l'âme (anima rationalis) est antérieure de création au corps de l'homme. » C'était le sentiment de Philon, et vraisemblablement celui des platoniciens. Mais il faut soi

1 Genèse, c. IV, v. 26, 27.

gneusement distinguer, comme nous le montrerons, entre l'âme spirituelle ou l'esprit (anima rationalis), et le principe vital (anima vivens). Pour tous les êtres organisés jouissant de la locomotion, la révélation dit qu'ils furent créés en âme vivante, c'est-à-dire en être jouissant de la vie animale (anima). La Genèse s'exprime ainsi lorsqu'au chapitre n il est question du corps de l'homme. Dieu ayant pétri le corps humain du limon de la terre, lui insuffla le souffle des vies, « Et Adam fut fait en âme vivante, » c'est-à-dire en être jouissant de la vie ou de l'animation.

La seconde définition évite l'écueil de la précédente, et l'esprit y occupe la première place. « L'homme, dit M. de Bonald, est une intelligence servie par des organes. » Le vice radical de cette définition, c'est qu'elle est opposée à l'expérience et à la révélation : à l'expérience, qui nous montre les organes dominateurs habituels de l'esprit en dehors d'une force venue de l'extérieur ; à la révélation, car « le corps qui se corrompt pèse sur l'âme, » dit saint Paul. Qui n'a pas éprouvé cette lutte de tous les jours et de toutes les heures entre la loi des membres et la loi de l'esprit? Est-ce que le foyer de tout mal n'est pas dans cette dualité, dans les profondeurs de l'animalité unie à l'âme humaine? Cette définition ne pourra donc avoir son application vraie qu'à l'homme primitif, à l'homme sorti immédiatement des mains de Dieu, marqué au front du sceau de l'unité, et dans l'harmonie de tous les éléments de son être, de son esprit avec Dieu, et de son corps avec tous les êtres visibles.

Il y a dans l'homme trois choses : l'esprit, l'âme et le corps. « Que le Dieu de paix, dit saint Paul, vous sanctifie lui-même en toutes choses, afin que tout ce qui est en vous, l'esprit, l'âme et le corps, se conservent sans tache pour l'a

vénement de Notre-Seigneur Jésus-Christ'. » Aussi remarquons-nous dans la création de l'homme trois phases parfaitement distinctes. « Le Seigneur Dieu forma l'homme du limon de la terre, formavit igitur Dominus Deus hominem de limo terræ2, » c'est-à-dire « des atomes terrestres. »>< Voilà le corps. Tous les animaux sont également formés de la terre, formatis de humo cunctis animantibus terræ. Mais ensuite, «Dieu inspira dans cette forme un souffle de vie, et inspiravit in faciem ejus spiraculum vitæ. Et l'homme fut fait âme de vie, et factus est homo in animam viventem3. » Nous disons animam viventem, selon le texte latin, mais on doit remarquer que le mot hébreu nephesch hâiah n'est employé par la Genèse que lorsqu'il s'agit des animaux; en parlant de l'homme, elle se sert d'expressions plus profondes, elle dit que Dieu souffla en lui mischemat hâïim, ou l'âme des vies.

Qu'est-ce à dire? L'âme des vies est la synthèse de toute vie créée, dont seul l'homme a la conscience en même temps qu'il a conscience de lui-même ou de sa personnalité. Le corps humain est animé par l'agent universel de la vie, comme celui de tout être matériel. Si l'homme n'avait que cela, il ne formerait qu'un tout avec les êtres purement matériels, et son corps ne porterait en lui aucun principe d'immortalité. Mais il possède en outre l'âme des vies ou la synthèse de toute vie créée, c'est-à-dire la raison même de l'univers visible dont il est l'abrégé ou le microcosme. Ainsi l'animation corporelle, anima vivens, devient en lui la conscience de lui-même et de tous les autres êtres, ou

1 Thess., c. V, v. 23.

2 Genèse, c. II, v. 7. Id., ib.

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