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des faces de l'amour, regardant les réalités éternelles à travers les phénomènes du temps.

L'enfer non plus n'est pas un lieu, mais un mode d'existence. Pour les réprouvés, comme pour tous, la mort n'est que le passage du temps dans l'éternité. Or, dans l'éternité, qui est l'infini, il n'y a ni temps, ni espace, ni lieu; le réprouvé tombe donc, comme l'élu, dans l'infini. L'un uni à Dieu, l'autre sans lien avec lui, par conséquent l'un participant à tous les biens, l'autre placé dans l'absence de tous les biens; et, comme l'absence de tous les biens est pour un être moral la présence de tous les maux, le réprouvé est réellement voué à toutes les souffrances. Pour concevoir le bonheur suprême des uns et le suprême malheur des autres, comment les premiers sont unis à l'infini et non pas les seconds, quoiqu'ils soient tous dans l'infini, il suffit de se rappeler que tout rapport du fini avec l'infini est impossible sans le Médiateur en qui s'unissent les deux natures. Pour être sommés avec l'infini, il faut nécessairement que nous soyons un avec le Médiateur. Or, quiconque meurt en dehors du Médiateur meurt en dehors de tout rapport avec Dieu ou l'infini, et par là même à jamais séparé de la source de tout bien.

C'est ainsi que le mouvement infini nous fait comprendre comment les saints forment le corps du Christ. Ce n'est point une figure, mais une réalité vivante. Pour en concevoir avec l'Apôtre toutes les magnificences, élevons-nous des visibles aux invisibles. Dans l'univers visible, une force qu'on appelle attraction, peu importe le mot, s'empare de tous les éléments du monde et en constitue une unité vivante, un corps universel dans lequel vivent, sans s'y confondre, tous les corps particuliers. Foyer de tous les mouvements qu'accomplissent

autour de lui les planètes et leurs satellites, le soleil est le centre du système dont ils sont les rayons. Ils constituent tous avec le soleil un seul corps sidéral, une seule lumière, une seule chaleur, où chacun des astres cependant conserve sa nature, sa forme propre, son individualité. Ce système planétaire, joint à tous ceux d'une même voie lactée, forme à son tour un seul corps sidéral, et ainsi de tous les systèmes réunis, soit d'étoiles, soit de nébuleuses, ainsi de l'univers tout entier. C'est ce qui faisait dire aux anciens philosophes avec plus de vérité qu'on ne pense, quoique avec une erreur au fond, qu'une âme universelle animait l'univers. Cette âme, c'est l'action du Verbe divin, étreignant toute la matière des mondes.

Partant de ces données de l'univers visible, pénétrez dans l'éternité où se consomme l'œuvre commencée dans le temps. Pour l'humanité la force d'attraction c'est la grâce, que l'homme reste toujours libre d'accepter ou de repousser. Le Médiateur, un dans la nature infinie et homme comme nous, Dieu lui ayant donné d'avoir la vie en lui, et par lui nous donnant de l'avoir en nous, lumière, vérité, justice, sainteté de tous, irradiant dans tous comme le soleil dans la nature, aucun élu ne peut se dérober à son action, pas plus qu'aucune créature à la chaleur de l'astre qui les éclaire, et il répand sa beauté surhumaine sur tous. Chacun des saints peut lui dire : Je vois ta beauté dans ma beauté, ta vie dans ma vie, ton diadème est sur tous les fronts, ton sceptre est entre toutes les mains; un avec ton Père, tu es un avec nous, et nous par toi un avec Dieu. Telle est la réalité éternelle.

Avant d'être dans le temps, diront les élus, nous vivions en toi dans l'éternité, mais sans conscience de nous-mêmes.

Par toi, nous entrâmes dans le temps, et, à travers les images fugitives des réalités qui vivent à jamais en toi, nous sommes remontés à notre source, et maintenant nous sommes un en toi, par toi, avec toi, dans la dilatation incessante de nos personnalités en la tienne par l'amour. Ainsi l'unité invisible sera éternellement manifestée dans les splendeurs de la gloire. Tout était en Dieu avant que les choses fussent rendues visibles. Après que le temps aura passé, tout sera avec Dieu dans et par le Christ.

Cette présence de Dieu partout et à tous les êtres, qui résulte du mouvement infini, résout merveilleusement aussi le problème du bien et du mal sur la terre. Le bien, le vrai, le beau, dans son caractère absolu, c'est Dieu. Le bien, auquel participe la créature, est le résultat de l'action de Dieu à laquelle s'associe et coopère l'action libre et spontanée de la créature. Partout donc où est le bien, le vrai, le beau, Dieu est là c'est l'Emmanuel, « Dieu avec nous. » Le mal, le faux, le laid n'est pas un être, mais l'absence de l'être, c'est-à-dire de la présence et de l'action de Dieu. Le mal, c'est l'homme seul, ou agissant sans Dieu et en dehors de Dieu. Mais l'homme n'étant pas créateur et ne pouvant l'être, le mal n'est que l'homme mauvais lui-même, c'est le vide du bien. Partout où est le mal, Dieu n'est pas, Dieu ne peut être agissant.

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XII

DES DEUX NATURES OU DE L'INFINI ET DU FINI

DANS L'UNIVERS.

Invisibilia enim ipsius, à creaturà mundi, per ea quæ facta sunt, intellecta, conspiciuntur; sempiterna quoque ejus virtus, et divinitas; ità ut sint inexcusabiles.

(S. PAUL, Rom., cap. 1, v. 20.)

Les choses invisibles de Dieu se laissent apercevoir et comprendre par les choses creées, qui révèlent aussi la vertu éternelle et la nature de Dieu : de sorte que (ceux qui ne la voient point), soient' inexcusables.

(Ad Rom., I, 20.)

L'homme ne pouvant pénétrer immédiatement, à cause des bornes de son intelligence, dans la nature même de I'Être infini et de l'être fini, il ne parvient à les connaître que par l'observation, et en découvrant, ce qui lui est facile, les oppositions radicales qui existent entre ces deux natures inverses. Elles se révèlent à nos yeux par des effets opposés qui impliquent nécessairement des agents dissemblables. Les effets ne sont-ils pas toujours en harmonie avec les forces qui les produisent, et les forces avec l'agent qu'elles caractérisent?

Si tel effet implique rigoureusement une puissance infinie, et que tel autre suppose nécessairement une force finie, la raison doit impérieusement admettre deux agents opposés, deux natures inverses l'une de l'autre. Or, l'univers offre à nos regards ce double fait, partout et toujours présent, dans tous les êtres qui le composent.

Afin d'être compris par tous, et dans le langage, et dans la pensée, posons devant nous deux fleurs exactement semblables, dont l'une est l'œuvre de l'homme, et l'autre le

produit de la nature. A la simple vue, vous pourriez les confondre, si exacte est l'imitation que l'ouvrier a faite de l'œuvre de Dieu. Mais, dans la fleur artificielle, la nature et l'action de l'agent qui l'a produite s'y révèlent avec tous les caractères du fini. Vous y verrez la nature créée soumise à des lois que ne connaît pas l'agent mystérieux qui a fait éclore la fleur naturelle. Dans la première, l'artiste créait-il la matière de la fleur, en même temps qu'il lui donnait la forme et la vie? La découpait-il en même temps qu'il la colorait? Lui donnait-il à la fois la germination, la nutrition et la reproduction? Non, il n'a façonné qu'une image morte d'une chose animée, le cadavre immobile d'un être vivant, moins que cela, l'apparence extérieure de cet organisme, dont il n'a pas même reproduit les détails intérieurs. Pour chaque corolle, chaque pétale, chaque partie de la tige, du calice et de la fleur, pour chaque modifica. tion de la matière dont elle est composée, il a dû recourir à une opération distincte, séparée, successive, multiple et finie comme chacune de ces parties, de sorte que cette fleur artificielle n'est au fond qu'un ensemble de pièces de rapport séparées, dont la juxta-position ne trompe pas un oil exercé. Telle est, en effet, la loi inévitable de l'être fini, tels sont les attributs qui le caractérisent. Il ne reproduit que l'image morte de la nature vivante; il ne peut agir que sur un point d'une surface, jamais simultanément, même sur deux points seulement; tout dans son action est borné, successif et multiple. C'est ainsi que, dans le monde de la pensée, il ne peut également travailler que sur une seule idée à la fois; force lui est de passer de l'une à l'autre pour en saisir les rapports et les harmonies. La présence de la pensée ou de l'action de l'être

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