Page images
PDF
EPUB

instant de l'espace et du temps, et en un être lui-même borné, puisqu'il a eu un commencement. Une telle prétention ne se discute pas, on la cite; c'est en faire une assez sanglante justice.

il

Est-il besoin d'ajouter que l'absolu, ou la négation de toute limite, implique l'impossibilité d'aucune distinction, et, par conséquent, l'impossibilité radicale d'aucune connaissance, et de l'intelligence d'aucune vérité? Est-il besoin d'ajouter que là où il y a une limite, une distinction quelconque, y a nécessairement une différence, une distinction entre le bien et le mal, la vérité et l'erreur, la beauté et la difformité, le juste et l'injuste, et par conséquent que le christianisme ne saurait affirmer l'un de ces deux ordres qu'en excluant l'autre. Non qu'il ne résume et ne synthétise en lui l'esprit vivant de toutes les conceptions religieuses et philosophiques possibles, mais seulement dans la vérité réelle, pratique et vivante, qui est en elles, et non dans la forme étroite, limitative et tronquée sous laquelle elles défigurent cette vérité. D'ailleurs, ce dégagement de l'esprit de vie, enfermé dans la limite de toutes ces conceptions successives, est l'œuvre incessante, toujours ancienne et toujours nouvelle, qui ne saurait s'arrêter jamais dans cet essor sans bornes de l'esprit à travers les formules, que nous avons essayé de décrire, en traitant du sentiment de l'indéfini. Mais cette œuvre est impossible en dehors de son foyer central, qui est le Christ et son Église. Voilà ce que nous avons mille fois démontré.

Reste donc maintenant la question de certitude. Arrêtonsnous-y quelques instants.

La certitude contient trois termes, celle de l'existence réelle de l'objet, celle de sa náture, et celle de ses rapports

avec nous. Il en est ainsi dans les deux mondes, spirituel et matériel. Dans celui-ci, vous avez les sens extérieurs pour acquérir la certitude de l'existence des corps, l'expérience vivante et pratique pour en connaître la nature, arrivant, par l'action simultanée de cette expérience et des sens, à la notion exacte des rapports qu'il y a entre eux et vous. Vous les repoussez ou vous vous les assimilez, selon qu'ils sont contraires ou conformes aux besoins de votre nature. La même loi régit le monde des esprits ainsi que celui des corps. Ici seulement le sens est spirituel comme l'objet auquel il s'applique. Si c'est Dieu, nous possédons la certitude de l'objet par le sentiment que nous avons de son existence réelle, sentiment par lequel nous nous distinguons de lui, comme nous distinguons notre corps de tous les autres par les impressions des sens corporels qui nous les montrent distincts. La certitude de la nature de Dieu suit, dans un ordre plus élevé, la même loi que pour les êtres matériels; elle nous est fournie par l'expérience pratique et vivante de l'infinité des perfections divines, dont toute perfection créée n'est jamais qu'une image finie. De l'action simultanée du sentiment de l'existence de Dieu et de l'expérience de ses perfections infinies naît la notion exacte des rapports entre lui et nous, par la vérité même et l'harmonie de notre nature, qui n'existe dans la plénitude de son unité que lorsque ces rapports sont vivants en nous.

Placer l'absolu dans la certitude, c'est nier la distinction non-seulement entre ces trois termes, mais même entre le sujet et l'objet; c'est nier, par conséquent, toute distinction, toute connaissance et toute certitude possibles. L'absolu, dans le sens transcendantal, c'est l'identité du sujet de l'objet et du rapport. Ainsi, c'est supposer que

l'homme est la vérité absolue elle-même, c'est-à-dire que ce qui a un commencement n'en a point, que le créé est l'incréé, le fini l'infini, et que l'homme cherche avec effort l'absolu qui est lui-même. Nous le répétous, de telles absurdités ne se discutent pas, et c'est en faire assez justice que de les citer. La certitude est relativement absolue en ce sens qu'elle ne laisse aucun doute légitime, aucune raison vraie à lui opposer. Elle ne peut dépasser la nature de l'homme, mais il suffit qu'elle en remplisse toutes les conditions, qu'elle en satisfasse tous les besoins, qu'elle en fasse vibrer toutes les harmonies vivantes. Exiger plus, ce serait demander qu'elle fût inaccessible à l'homme, en en dépassant la nature, et partant qu'elle ne fût plus certitude au moins pour nous. La certitude n'implique nullement la capacité de comprendre ou de renfermer en soi l'objet lui-même. Est-ce que nous renfermons le soleil, la lune, les mondes, parce que nous les connaissons avec certitude? Il en est de même pour Dieu. Sans doute la raison peut toujours douter, mais prenez l'homme tout entier, et non avec sa raison seule, alors il ne peut douter légitimement, car il se sent dans toutes les harmonies de sa nature vraie. Roi de la création et son pontife suprême, il porte le front haut, ne s'incline que devant Dieu, et son coopérateur, embrasse l'humanité et la création dans l'amour qu'il a pour Dieu, et que Dieu a pour lui. C'est ainsi que la vérité vivante nous place au sein de Dieu, se manifestant en nous; tandis qu'en nous jetant hors de l'humanité, hors de la vie par l'orgueil, l'abstraction nous laisse emportés et suspendus dans le vide.

Enfin, nous avons clos la seconde partie de ce livre, partie de discussion et de critique, dont les stériles détails répugnent à l'élan de nos pensées! En reprenant l'exposé dogmatique de nos principes, nous quittons avec joie ce désert de la raison humaine, dont les cailloux et les ronces ont déchiré nos pieds, et que nous avons traversé si péniblement, sans profit pour le cœur, ce sanctuaire où Dieu repose avec sa lumière et sa vie. C'est lui que nous voulons aimer, en lui-même et dans toutes ses œuvres. Après avoir recueilli avec amour la parole intime et mystérieuse qu'il murmure au fond des âmes par le sentiment de la perfection, nous voulons le montrer à nos frères à tous les points, et sous toutes les faces de la création, príncipe de tout être, de tout mouvement, de toute vie, présent partout, en tout et toùjours, afin que nous apprenions à entendre sa voix qui nous parle en tout, qui nous attire et nous presse de l'attrait toutpuissant de son amour infini.

IX

DE L'INDÉFINI DANS LA CRÉATION.

[ocr errors]

La matière est et n'est pas. Qu'est-ce que la création visible? - De la substance, de l'être et de la vie. — Folie de l'homme qui s'isole de Dieu. -Stérilité de la recherche directe de la nature des choses. — Cri de détresse de la philosophie. L'univers visible et l'univers invisible. — Le brahmanisme a un peu raison. - Le mysticisme, ou le monde réduit au zéro. Symbolisme universel de la croix. - Inexterminabilité de l'homme. -Bonheur éternel. Son opposé.

Est, non est, nihil aliquid, non omnino nihil.
L'être-non-être, le rien quelque chose,
le pas tout à fait néant.
(SAINT AUGUSTIN.)

Au début de ce travail, nous avons posé, sous sa double face antinomique, la loi universelle de l'INDÉFINI. La caractérisant principalement dans le moi, dans la personnalité, dans l'homme, comme conscience de l'indéfini et sentiment de la perfection, nous l'avons laissé entrevoir et pressentir dans le monde visible lui-même. Si Dieu bénit ce travail, nous espérons que ce principe fondamental opérera dans le monde spirituel une révolution analogue à celle qu'accomplit dans les mathématiques l'introduction de ce qu'on nomme l'infini, et qui n'est en réalité que l'indéfini, ainsi que l'ont déjà fait remarquer un grand nombre de mathématiciens.

Pour montrer maintenant la vérité de la loi selon laquelle le monde visible nous conduit à l'intelligence du monde invisible, nous considérerons d'abord la loi antinomique de l'indéfini étreignant, régissant tout ce qui se meut, vit et respire dans la création. Ces considérations nous mèneront à la solution des questions si débattues, et toujours insolubles, sur la substance et la vie, sur la cause première

« PreviousContinue »