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ont éprouvé la stérilité, l'inanité des abstractions, et qui savent que la vie est dans l'action plutôt que dans la parole, dans le cœur plus que dans la tête; c'est sur ce terrain que nous les convions tous. Venez, leur crierons-nous, venez vous réchauffer au soleil vivant de la charité! là est la concorde, l'unité, la vie; là, il y a place pour tous. L'amour seul peut concilier toutes les contradictions de l'intelligence, toutes les divisions de la pensée. Lorsqu'on aime, on est bien près de la vérité une et universelle, si déjà même on n'y touche. L'amour, c'est la lumière, la chaleur et la vie qui unit toutes les âmes dans une seule et même vérité. L'unité des esprits est le résultat de l'unité des cœurs.

Ainsi, contrairement aux rationalistes qui s'isolent dans leur moi, nous nous posons au sein de la société vivante. Nous cherchons les hommes qui, dans tous les temps et sur tous les points du globe, ont exprimé, autant qu'elle peut l'être ici-bas, leur harmonie vivante avec le but de leur destinée finale. Ce sont ceux qui, partout et à tous les âges de l'humanité, sous la loi naturelle, sous la loi écrite avec du feu au Sinaï, avec du sang au Calvaire, et sur tous les points du globe avec le sang des martyrs, ont réalisé le miracle de leur régénération, non pas en raisonnant, mais en vivant; ceux-là, selon le Christ invisible qui parlait dans les profondeurs de leur âme par le sentiment de la perfection, ceux-ci, en transformant leur vie adamique en celle du Christ visible, qui parle à toute l'humanité par sa vie terrestre se projetant dans toutes les générations qui perpétuent sa présence réelle au sein de l'humanité.

Tous les promoteurs de théories pour la régénération sociale semblent avoir ignoré ou laissé de côté ce fait pour

tant si capital. Tous partent de cette hypothèse, à laquelle six mille ans d'expérience donnent un si complet démenti, savoir, que l'homme est dans l'harmonie complète et vraie de tout son être, et qu'il suffit de réaliser les conditions du milieu social où cette harmonie pourra s'exercer et se développer sans contrainte, pour que la félicité de l'Éden revienne avec le règne de Dieu sur la terre. Faites descendre ces beaux rêves des hauteurs inaccessibles de la spéculation sur le terrain vivant de la pratique, et vous verrez bientôt ce qu'ils valent. Ils oublient d'abord que l'harmonie extérieure et visible n'est et ne peut jamais être que le résultat de l'harmonie intérieure et spirituelle, la vie ne manifestant que ce qui est déjà en elle. Le fond, le cœur du problème est donc de réaliser avant tout l'harmonie morale et spirituelle, dont l'harmonie organique et sociale n'est qu'une conséquence naturelle et rigoureuse. C'est ainsi que procéda le Christ lorsqu'il vint sauver et régénérer le monde. C'est l'esprit vivant du christianisme. Ensuite, comment réaliser l'harmonie intérieure et spirituelle? « Nous ne pouvons rien, disait Platon, à moins que Dieu lui-même ne vienne nous enseigner ce que nous devons faire. » En effet, le centre de notre harmonie, de notre unité et de celle de tous les êtres étant Dieu, lui seul peut nous communiquer le souffle, l'esprit vivant de cette harmonieuse unité qui ne relie entre elles toutes les créatures qu'en nous reliant à lui. Du reste, comme nous l'avons prouvé en traitant ce sujet, le sentiment de la perfection, qui n'est que le sens de l'infini ou de Dieu en nous, forme le point de départ, la loi et le but de la vie spirituelle de l'homme, et partant l'unité harmonique de tout son être. Ce sens divin de l'infini n'est point une théorie abstraite, une pure spéculation, mais l'activité simultanée de toutes

les facultés humaines, la pratique vivante. Il est en chacun et en tous ce Christ invisible, incarnation mystérieuse du Verbe divin en nous. Voilà pourquoi lui seul contient, ou plutôt est lui-même l'unité harmonique dans la société comme dans l'individu.

Il est vrai que l'unité, dans les deux éléments qui composent l'homme, ne peut être rétablie sur la terre. L'harmonie, l'unité de l'être dans sa perfection, n'existe que dans les œuvres qui viennent immédiatement de Dieu, et qui ont conservé leur nature primitive. C'est pourquoi l'homme, au début de la création, était une unité, une harmonie vivante, car l'antagonisme n'est dans les éléments d'aucun être. Le corps de l'homme venant d'une source où règne cet antago nisme, ne saurait être médiateur pour produire l'unité. Aussi est-elle profondément philosophique cette doctrine catholique qui nous apprend que celui que vous avez proclamé, tout en niant peut-être sa divinité, l'être le plus parfait, venait directement de Dieu, car tout ce qui sort de l'homme est imparfait comme lui. Voulez-vous l'unité, allez à celui qui est un, et qui ne porte point de nom d'homme, afin d'être à tous le foyer de l'unité comme il est le type de l'harmonie. Même uni à lui, la lutte durera toujours, parce que, pour qu'il y ait harmonie parfaite entre votre âme et votre corps, il faut que Dieu refasse ce corps. Ah! laissez-moi étre chrétien, c'est là ma grandeur; laissez-moi recueillir dans mon cœur cette parole d'espérance que l'Apôtre m'a envoyé à travers les siècles : « Le corps est semé animal, il surgira corps spirituel, » c'est-à-dire animé de la vie de l'Esprit. La tombe est le sillon que le mal a creusé; le Christ y descend avec moi pour m'y faire germer dans l'éternité. La 1 I Cor., c. XV, V. 44.

lutte, et ces mots s'unissent parfaitement dans ma pensée, la lutte c'est l'harmonie, la désharmonie c'est l'absence du combat. Il a bien dit, le Christ : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive '. » Et il ne nous donne la paix qu'en nous montrant les plaies de sa passion, sublime expression de la lutte.

1 Saint Matth., c. x, v. 34. Saint Luc, c. XII, v. 51.

IV

LOI DU SACRIFICE.

L'homme prisonnier de la création. - Pourquoi ? - Foyer et secret de la force de l'homme. - Dépendance de la vie et indépendance de la liberté. - L'amour victorieux de la nature. Le sacrifice loi de progrès. - Vie de l'homme dans la négation de sa vie.- Le Christ définition de l'homme. Doctrine du Verbe idéal. Verbe vivant et pratique. - Savoir n'est pas pouvoir.- Le Christ docteur et le Christ crucifié. L'humanité manifeste le Christ, mais n'est pas le Christ.

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Je suis attache à la croix dans le Christ. Mais je vis; non, déjà ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. (GAL., C.II, V. 19, 20.)

La croix est le symbole du Règne. (S. JEAN CHRYSOSTOME, hom. De Cruce.)

Vous nous avez montré l'homme dans sa personnalité réelle, prenant conscience d'elle-même et de sa destinée dans le sentiment de l'indéfini ou de la perfection. Vous nous l'avez montré dans le centre d'unité de tous ses rapports avec Dieu, ses semblables et la création. Mais ne serait-ce pas là le simple rêve d'une âme séduite par des aspirations sans réalité objective?

Si telle est la vraie nature de l'homme, s'il est dans les conditions de sa vie de passer incessamment à travers toutes les limites, pour s'élever à ce qui est sans bornes, du fini à l'infini, du monde à Dieu, d'où vient qu'il ne peut rompre les chaînes qui le rivent à la matière, à la limite, dont il est le triste prisonnier ?

Pourquoi? c'est que la conscience de la chute s'affaiblissant en lui, il oublie que la lutte est tout le sens de la vie. C'est qu'il manque de volonté parce qu'il manque d'idéal, d'idéal parce qu'il manque d'amour. C'est que dénué d'a

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