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auquel on ne pourrait pas ajouter encore une infinité de choses utiles, curieuses, instructives, nécessaires même, et dont on ne pourrait pas également retrancher un assez grand nombre de faits, de réflexions, de détails, de développemens, de discussions, sans nuire à l'ensemble de l'ouvrage, sans le mutiler dans ses principales parties, sans diminuer l'évidence et la force des raisonneet sans rien omettre d'absolument essentiel au but de l'auteur? J'en dis autant du traité des Bienfaits, de celui de la Colère, etc. Malgré le défaut de liaison, réel ou apparent, que les commentateurs ont cru apercevoir dans plusieurs endroits de ces ouvrages, personne n'est en droit d'affirmer qu'ils ne sont pas parvenus entiers jusqu'à nous. Les écrivains qui pensent beaucoup, sont ennemis de toute espèce de méthode, et s'y assujétissent difficilement. Les vérités, après s'être accumulées, pour ainsi dire, dans leur tête, par une méditation forte et continue, en sortent en foule et avec précipitation ....velut agmine facto, qua data porta, ruunt. Ils laissent leurs idées se succéder sous leur plume dans l'ordre où elles se présentent à leur esprit, sans se mettre en peine si elles naissent immédiatement du fond du sujet, ou si elles n'y sont liées et unies que par quelques-uns de ces rapports trèsfins, très-déliés, qui, ne pouvant être aperçus que par des lecteurs d'une sagacité peu commune, sont perdus pour des esprits vulgaires. Montaigne est plein de ces défauts aimables; mais il justifie le prétendu désordre de son livre, par une observation également fine et profonde. « C'est l'indigent lecteur, dit-il, qui perd mon sujet, non pas moi mes fantaisies se suivent; mais par fois c'est de loin, et se regardent, mais d'une vue oblique. » On pourrait dire la même chose de Sénèque. Mais sans recourir à cette solution, supposons qu'il y ait en effet dans plusieurs de ses traités des omissions réelles, et quelquefois même de la confusion; est-ce une raison suffisante pour les croire incomplets, et pour y soupçonner souvent des lacunes plus ou moins considérables? Lorsqu'on écrit sur une matière quelconque, ne l'envisage-t-on pas sous le point de vue le plus analogue au caractère et à la tournure particulière de son esprit, au genre d'études et de connaissances dont on s'est occupé avec le plus de succès; en un mot, par les côtés les plus favorables à l'emploi de toutes ses forces? n'en écarte-t-on pas alors nécessairement une foule de questions que

des hommes différemment organisés et avec des talens divers, regardent comme les plus importantes? dit-on même sur celles dont on s'est proposé l'examen, tout ce qu'on devrait dire? suit-on toujours rigoureusement le plan qu'on s'était fait? Des réflexions ultérieures, des vues nouvelles, des idées neuves, ou des rapports nouveaux et très-fins, aperçus entre des vérités déjà connues, ne forcent-ils pas quelquefois de l'étendre, de le circonscrire, de le. changer même dans une infinité de points, et de remuer certaines pierres, auxquelles on n'avait pas cru auparavant devoir toucher? Enfin, ne quitte-t-on jamais le ton froid, méthodique et sec d'un dissertateur; et ne se permet-on pas souvent de ces écarts, de ces excursions qui ressemblent tout-à-fait à une conversation, qui donnent à un ouvrage un air facile et original, qui sèment de quelques fleurs une route longue, pénible et escarpée, et qui font dire d'un auteur ce qu'on a dit de Montaigne, qu'il causait avec son lecteur? Rien n'est donc plus téméraire, et, j'ose le dire, plus ridicule, que toutes ces formules répandues dans les notes des critiques il y a ici une grande lacune; il manque là quelque chose : : car deux lignes suffisent quelquefois pour détruire totalement, ou pour rétablir l'ordre et la liaison entre les différentes parties d'un ouvrage, etc.

FIN DU TOME TROISIÈME.

LA GRANGE.

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