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Chambéry, le 25 fimaire an v.

Les dernières nouvelles d'Italie ne sont pas fort intéressantes, chacun se refait de ses plaies jusqu'à nouvel ordre. L'ennemi est sur la rive gauche de la Brenta, il tient Padoue et Bassano; sa division de droite est à Trente, les postes avancés comme de coutume, respectivement. Le général Clarke a reçu le passeport nécessaire pour se rendre à Vienne; il l'attendait à Milan, où il a eu le temps de prendre les renseignemens militaires et politiques sur les positions et intérêts respectifs des deux puissances.

KELLERMANN.

Si l'impression que produisent sur nous les objets

extérieurs, est une conséquence des rapports qui existent entre nos sens et notre esprit, il n'est pas moins sûr que, par une sorte de réaction du moral sur le physique, la sensation elle-même et le mouvement qui lui obéit se coordonnent avec la nature de la pensée. C'est ainsi que le caractère de l'homme se trahit par des actions, indifférentes pour le vulgaire, mais qui n'échappent pas à l'œil observateur, quand l'expérience lui a appris à discerner, dans des traces matérielles, les projections de la pensée. En va in chercherait-on à dissimuler devant lui; il trouve dans la physionomie, les discours, les goûts, les habitudes, des témoins vivans de nos moindres passions.

La parole est sous l'influence de la volonté; il est possible de la faire servir d'interprète à des sentimens mensongers; mais les inflexions de la voix et les gestes qui l'accompagnent sont presque toujours involontaires. Un accent triste, un regard abattu, décèlent l'inquiétude et le chagrin, alors même qu'une feinte gaîté éclate en bons mots et en saillies. Les moins habiles savent discerner ces dissonances; dans ce sens, il n'est pas vrai, vrai, comme l'a dit de nos jours un fameux diplomate, que la parole ait été donnée à l'homme pour déguiser ses sentimens.

et,

Personne n'ignore avec quelle précision Lavater distinguait les différens caractères, d'après les traits du visage; on sait que M. de Sartine reconnaissait, à la tournure d'un homme, sa profession. Les historiens de Portugal ont célébré le tact physiognomonique du roi D. Sébastien, qui, en parcourant les

rues de sa capitale, découvrait au milieu de la foule les assassins et les filous. Il ne se trompa que deux fois dans les nombreuses arrestations qu'il prescrivit;. encore, ajoutent les chroniqueurs, les deux individus. qu'il fallut relâcher jouissaient-ils d'une assez mauvaise réputation.

L'élégant auteur des Etudes de la Nature puisait dans le système des harmonies et des contrastes la certitude de pénétrer les plus secrètes. affections de l'ame. L'illuminé Boucholz parvenait au même résultat par une méthode semblable; et, suivant lui, en s'élevant à une certaine hauteur de contemplation, on trouve que le corps est identique avec l'esprit. Quel que soit le jugement qu'on porte d'un tel principe, il est du moins incontestable que les applications en étaient toujours d'une exactitude frappante. Dès qu'il connaissait les qualités morales d'une personne, il en décrivait aussitôt la physionomie et l'extérieur. Après la lecture du Fils de la Vallée, ouvrage de Werner, il fit le portrait de ce poète, sans omettre ses cheveux, extrêmement touffus; indice, ajoutait-il, du défaut total de force productrice dans cet écrivain.

Qui ne connaît le fameux Marcel, cet extravagant dansomane, qui voyait tout dans un Menuet? Nonseulement il devinait quelle était la patrie de ses élèves, mais il se flattait encore de préciser leur province et quelquefois leur village. On n'a pas oublié son mot à un Anglais : « A cette tournure pesante, à cette démarche embarrassée, je ne reconnais pas le citoyen libre de la Grande-Bretagne, mais un esclave de l'électeur de Hanovre. >>

Les traits les moins prononcés, les circonstances

La forme de notre écriture dépend, jusqu'à un certain point, des principes que nous avons reçus ; mais elle change de jour en jour : parvenus à un certain âge, nous reconnaîtrions à peine nos premiers essais. Par quelle influence s'est opérée cette variation successive? Par l'impression habituelle des pen. sées qui nous préoccupent, des travaux qui nous attachent, de notre caractère enfin.

Ce qui n'est point régulier et symétrique offense les yeux d'un homme doué de l'esprit d'ordre; pourquoi ne retrouverait on pas dans son écriture les traces de cette qualité ? L'inconstant changera à tout moment les proportions et les distances; celui qui se laisse emporter par sa vivacité précipitera sa plume, et, pour passer à la ligne suivante, n'attendra pas que la première soit remplie. L'un écrit à la bâte, parce qu'il est pressé d'en finir; l'autre parce qu'il cherche à se délivrer de sa tâche. Ce double sentiment se reconnaît à l'imperfection des lettres à peine ébauchées.

Quelquefois la main semble allerpar sauts et par bonds, les lettres affectent des dimensions bizarres les liaisons en sont brusques, les traits fortement prononcés: ces signes indiquent la pétulance de la colère. Si l'esprit est livré à la gaîté, la main qui à peine presse la plume, semblera se jouer sur le papier; les écarts qu'elle se permet seront pleins d'abandon et de grâce.

La surcharge d'inutiles ornemens décèle la plume d'un désœuvré ou d'un maître d'écriture. Un homme minutieux poussera à l'excès le soin de se rendre lisible, n'omettra ni accent, ni point, ni virgule. Cette remarque est si vraie, qu'elle a donné lieu à

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