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Arrête à chaque pas et trouble le voyage.

La faim, la soif, l'ennui, le besoin de l'ombrage,
Un horizon semé de brûlantes rougeurs,

Tout allume le sang des pauvres voyageurs.
C'est une frénésie, une aveugle démence,

Qui se calme vingt fois et vingt fois recommence,
Jusqu'à l'heure où la voix des bruyans chameliers
Signale aux combattans un groupe de palmiers,
En s'écriant; « c'est assez; que les débats finissent! »
Tout s'apaise à ces mots, toutes les mains s'unissent;
A l'entour des palmiers on s'embrasse à l'instant,
Et le voyage alors se termine en chantant.

Nous aussi, voyageurs sur nos propres rivages, Ne pouvons-nous enfin, plus heureux et plus sages, De la noire Discorde étouffer les accens!

Moins
que
la, caravane aurons-nous de bons sens?
A l'ombrage des lois, autour de l'arche sainte,
Qui protége la France et défend son enceinte,
Abjurant des erreurs dont nous fûmes punis,
Formons un seul faisceau de nos vœux réunis!
Reprenons la candeur et la franchise antiques,
Mais libres sans retour des entraves gothiques,
Mais brisant les hochets d'un orgueil suranné,
Rallions-nous au Roi que Dieu nous a donné,
Et de tous les bienfaits que son cœur nous dispense,
Un accord fraternel sera la récompense,

Cet accord est le prix que demandent ses soins;
Ses regards attentifs veillent sur nos besoins,
Et, tandis que sa main, toujours prudente et sûre,
Va cherchant de l'Etat la dernière blessure,
D'un grand corps affaibli ranine la langueur,
Et lui rend par degré sa force et sa vigueur;

Il ne dédaigne pas, dans sa grandeur suprême,
Ces travaux dont l'éclat pare le diadême.
Grâce aux enfans des arts par sa voix excités,
Paris conservera le sceptre des cités.

Vingt chefs-d'œuvre nouveaux dans nos murs se préparent.
Nos modernes Rubens de la toile s'emparent,

Et leur mâle pinceau va dérober aux temps
Des Valois, des Bourbons les règnes éclatans.
Les sages, les héros que vingt peuples admirent,
Une seconde fois sous le ciseau respirent.

:

Ils renaissent la mort a perdu son pouvoir;
Et la Seine bientôt, dans un flottant miroir,
Réfléchira leurs traits pleins de calme ou d'audace.
L'onde jaillit au gré du tube qui l'embrasse,
S'échappe, monte en gerbe et prend un libre essor;
Nos marchés spacieux s'agrandissent encor;
Tous les arts à la fois méditent des merveilles :
Ils savent qu'un grand prince encourage leurs veilles,

Et

que de ces travaux pour ta gloire entrepris,

Ton auguste suffrage est le plus digne prix.
Mais à le mériter quand chacun se dispose,
Je frémis des périls où ce zèle t'expose.
Ne vois-tu pas d'ici tout le Pinde en rumeur ?
Dans nos derniers faubourgs il n'est point de rimeur
Qui déjà ne s'escrime en dépit de Minerve,
Qui du soir au matin ne tourmente sa verve,
Dans l'espoir d'arracher à son maigre cerveau
Ode, cantate, épître ou madrigal nouveau.
C'est encor peu leur foule incessamment t'assiége,
S'acharne sur tes pas, se mêle à ton cortége.
Tu les verras partout un distique à la main
Dans ton propre palais te fermer le chemin,

Et, d'avance certains d'émerveiller la terre,
Au salon de la Paix te déclarer la guerre.
Mais on connaît ton goût, et ce goût épuré
Va te servir contr'eux de rempart assuré.
En faveur du motif excusant ce délire,

Tu recevras leurs vers (sans toutefois les lire);
Car si le sort jaloux t'en faisait une loi,
Combien tu sentirais le malheur d'être Roi!
Mais que dis-je? où m'emporte une indiscrète audace?
Et pour eux et pour moi je te demande grâce.
Au tribunal public, juge de nos travers,
La scule intention n'acquitte point les vers.
Ah! si la France encor possédait son poète,
De tous nos sentimens immortel interprète,
Avec quel saint transport, quel inéfable amour
Delille eût consacré leur fortuné retour!

On l'aurait vu pour toi, ranimant sa faiblesse,
Des roses du printemps couronner sa vieillesse,
Par un dernier tribut éterniser sa foi,

Et te faire agréer des vœux dignes de toi :
Comme un cygne expirant sur la rive chérie,
A la fois son berceau, sa tombe et sa patrie,
Retrouve de sa voix les sons mélodieux,
Et dans un chant de mort exhale ses adieux.

M. BAOUR-LORMIAN.

Mais c'est peu que le ciel contre nous se déclare :
La Haine au cœur d'airain, la Discorde barbare,
Noires filles d'enfer soudain ont apparu;
*Et vers l'Elbe indigné du pied foulant la terre,
Dressant sa tête impie au séjour du tonnerre,
La Révolte a couru.

Français! soutiendrez-vous le poids de votre gloire?
Vous suiviez sans effort le fils de la Victoire
Dans le vol triomphant de ses prospérités;
Son génie enchaînait le destin des batailles,
Et le bruit de son nom renversait les murailles
Des plus fermes cités.

Imitez aujourd'hui sa constance sublime!
L'œil de vos ennemis vous cherche dans l'abîme:
Levez-vous, et portez votre front dans les cieux!
Ah! ce n'est point l'effort d'une vertu commune
De combattre les Rois, les peuples, la fortune,
La nature et les Dieux!

Tel le volcan mugit sous l'Afrique ébranlée;
La mer s'enfle et franchit sa rive désolée,

L'astre aux rayons de feu, sur son char s'est voilé
La tempête s'accroît, le jour fuit, l'homme expire;
Mais Atlas immobile a soutenu l'empire
De l'Olympe étoilé.

De la froide Scythie épuisant les rivages,
Bellone a soulevé cent nations sauvages,
Qui roulent vers l'Oder leurs épais tourbillons
Et, poussant mille cris de vengeance et de haine,
Sous leurs coursiers légers font voler dans la plaine
La poudre des sillons.

Moins nombreux sont les flots des mers bouleversées,
Moins bruyant l'aquilon dans les forêts glacées.
Cependant vous tremblez, lâches enfans du Nord!
Les destins vont changer, votre fuite s'apprête,
Et cent bronzes tonnans lancent sur votre tête
La vengeance et la mort!.

O France! astre brillant qu'ont vu lever mes pères!
Tu dissipes la nuit des ombres passageres

Qui voilaient de ton front l'éclatante splendeur;
Le destin, qui des temps a précédé la source,
Peut seul au haut du ciel assigner dans leur course
Un terme à ta grandeur!

Ah! si vous m'inspirez, vierge de l'Hypocrène,
J'irai, je veux redire aux Nymphes de la Seine
Les exploits immortels de nos jeunes guerriers.
Puisse leur noble chef, approuvant mon délire,
Détacher de son front et suspendre à ma lyre
Un seul de ses lauriers!

Qu'un autre aille chanter d'une bouche infidèle
Ces Rois ensanglantés dont la rage cruelle
Poursuit sur des débris le nom de conquérant:
Je n'irai point de fleurs couronner leurs images,
Ni brûler le parfum de mes libres hommages.
Aux autels des tyrans.

Le souverain des Dieux d'un seul coup de tonnerre
Ecrase les géans, fils affreux de la terre.
Le monstrueux Thryphée exhale ses douleurs....
Que la foudre se taise et que le ciel s'épure!
Beaux rivages d'Enna, couvrez-vous de verdure,
De moissons et de fleurs.

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