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vait les éloges du poète. Qui eût osé, par exemple, chanter les exploits de Turenne sous un prince qui écrivait aux chanoines de Saint-Denis, pour leur donner l'ordre d'enlever du tombeau de ce grand homme les trophées qui le décoraient? Les armées ne se composaient que de mercenaires ou de malheureuses milices. L'appât du gain, la crainte des galères, étaient les seuls ressorts qui souvent les faisaient marcher.

Cependant l'idée d'honneur attachée à la bravoure a de tout temps inspiré la poésie; la poésie, à son tour, a fécondé dans les cœurs ce désir de gloire qui fait braver les périls. Ces émotions n'acquirent tout leur développement que chez les peuples libres. Ce n'est qu'au milieu des grandes crises politiques que la poésie a atteint ces résultats qui lui assignaient un rang parmi les institutions nationales de la Grèce.

La patrie des Aristide et des Epaminondas, devenue la proie des barbares Turkomans, a plusieurs fois tenté de briser le joug qui l'opprime. Quelques hommes, dignes de la terre qui leur donna le jour, déployerent aux yeux de leurs concitoyens l'étendard de la liberté, et, par des accens belliqueux, les appelèrent aux combats. Tel est celui qui fut composé par Riga, homme audacieux, qui périt en essayant d'affranchir son pays au commencement de ce siècle.

UN GUERRIER.

«<Levez-vous, enfans de la Grèce ! le jour de gloire est arrivé montrez-vous dignes de vos illustres ancêtres !

LE CHOEUR.

«Enfans de la Grèce! courons aux armes, et que le sang abhorré de notre ennemi coule en torrens à nos pieds.

LE GUERRIER.

Secouons le joug de nos tyrans, que l'insurrection éclate dans notre pays, et nous verrons briser toutes les chaînes.

Ombres magnanimes des héros et des sages, venez assister à nos combats! Grecs des âges passés, revenez à la vie; réveillez-vous au son de nos trompettes pour vous joindre à nos bataillons; venez attaquer la ville aux sept collines', et combattre avec nous jusqu'à ce que nous ayons conquis la liberté.

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Enfans de la Grèce! courons aux armes, et que abhorré de notre ennemi coule en torrens à nos pieds.

LE GUERRIER.

le

sang

« O Sparte! Sparte! pourquoi restes-tu plongée dans un sommeil léthargique! Réveille-toi, et que tes enfans se joignent aux Athéniens leurs anciens alliés. Invoquons ce chef célèbre dans les hymnes antiques, qui te sauva de ta perte; invoquons le terrible, le courageux Léonidas, qui fit dans les Thermopyles une tentative si hardie, et qui, pour conserver la liberté à son pays, arrêta les Perses, leur livra bataille avec trois cents braves, et, pareil à un lion furieux, expira dans les flots du sang qu'il avait répandu.

CHOEUR.

« Enfans de la Grèce ! courons aux armes, et que le sang abhorré de notre ennemi coule en torrens à nos pieds.

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Lorsque les habitans des Pays-Bas secouèrent la domination espagnole, ils eurent des chants patriotiques. A la bataille de Laupen, la jeunesse de Berne marcha au combat en s'animant par des chants qui rappelaient les hauts faits de leurs ancêtres. Dans les campagnes de 1756 et 1757, les Prussiens entonnaient des chansons de guerre de la composition de M. Gleim, et l'on ne saurait douter qu'ils durent à ces poésies une partie de leurs succès.

■ Constantinople.

Plusieurs autres peuples voisins possèdent des chants nationaux. Les Allemands chautent, en l'honneur de Walstein, un hymne fameux, qui, dans ces derniers temps, retrempa leur courage, en leur rappelant la vie et la mort du héros de la guerre de trente ans.

Les Espagnols, pendant une invasion récente, volaient au trépas en répétant l'hymne d'indépendance; ils y maudissaient à la fois l'ambition du conquérant et les crimes de l'ancienne cour.

Les Anglais ont quelques chants très-connus, où peut-être ne respire pas tout l'enthousiasme de la liberté, mais qu'anime un profond sentiment de patriotisme'.

Les poètes français n'ont eu d'abord aucun des caractères qui distinguent les chants des anciens. Nées dans les camps, à l'occasion d'une bataille ou d'un siège, leurs productions sont, à proprement parler, des débauches d'esprit qui n'ont rien de militaire qu'une sorte d'hilarité soldatesque; le plus grand nombre, dirigées contre certains personnages ou certaines classes, ne circulaient que dans quelques cercles, et n'ont point survécu à la circonstance qui les fit éclore. Sous le despotisme on chansonne, on ne chante pas.

Mais d'autres jours ont brillé pour nous; le peuple frane s'est réveillé, l'antique liberté a de nouveau éclairé la scène du monde. Un drapeau, déployé sur nos remparts, appela tous les citoyens à la défense du territoire, ils y coururent. Chacun demanda l'honneur de marcher aux premiers rangs. Tous allaient combattre pour la patrie, pour leurs foyers, pour leurs enfans: quels dangers pouvaient les intimider? quelle mort leur eût semblé redoutable?

La poésie et la musique prêtèrent leurs influences réunies. à la régénération d'un grand peuple. Saluée par les vœux et

Rule Britannia, etc.

les acclamations de l'Europe, l'aurore de notre révolution fut célébrée avec enthousiasme. Ce fut aux accens des Lebrun, des Chénier, des Laharpe, des Arnault, des Andrieux, que la France s'avança vers le but qui devait couronner ses efforts. Heureuse si le génie du mal n'eût retardé de glorieuses conquêtes!

Au milieu des intérêts nouveaux, le goût pour les chants qui, à toutes les époques, fut un des traits de notre caractère, ne pouvait manquer de se développer. D'abord des paroles grossières et d'une gaîté sinistre furent appliquées à des airs vulgaires, mais pleins de mouvement et de chaleur. Bientôt ces chansons de la populace fatiguèrent des oreilles faites pour les acceps d'un patriotisme plus pur, et il fallut de plus dignes interprètes des sentimens qui les animaient. Ce besoin fit éclore une foule de pièces lyriques dont nous ne transmettons qu'une faible partie. Quelques-unes, embellies des accords des Gossec, des Méhul, des Cherubini, des Lesueur, des Catel et de mille autres, répandirent en France et même dans les pays étrangers les idées généreuses qui s'y trouvaient si énergiquement exprimées.

Parmi ces chants, il en est un, la Marseillaise, qu'il suffit de nommer pour rappeler à quelle inspiration d'un double génie l'auteur, M. Rouget de Lisle, dut les paroles et la musique. Ce chant précédait les colonnes républicaines ; il soutenait les marches périlleuses, il servit de signal à tous nos triomphes. La terreur de nos ennemis s'en souvient comme notre propre orgueil, et n'en garantit pas znóins l'immortalité.

Un autre hymne, composé à Strasbourg en 1791, pour l'acceptation de la constitution, passa le Rhin en quelques jours. Les habitaus du Brisgaw accouraient, en le chantant, sur la rive droite du fleuve, appelaient les Français, leur montraient les exemplaires qui leur en étaient parvenus, et

qu'ils pressaient sur leur sein avec les démonstrations de la joie et de la cordialité. Ils semblaient dire que si la nature et les institutions sociales élèvent des barrières entre les hommes de différentes contrées, tous du moins sont frères par le sentiment unanime de leurs droits, de leurs devoirs et de leur dignité.

L'auteur du Chant du départ, et celui des odes éloquentes adressées aux Français, et sur le vaisseau le Vengeur, ont su donner à notre poésie un caractère d'élévation et d'entraînement que peut-être elle n'eût jamais atteint, si la liberté ne fut devenue sa muse. Plus tard les éclatantes campagnes des Français furent dignement célébrées par MM. Arnault, Esmenard, Tissot, Millevoye, Michaud; et enfin M. BaourLormian a prêté à l'événement de la restauration toute la pure élégance de ses chants.

Nous espérons qu'on verra avec intérêt cette collection de poésies variées, dans le volume que nous offrons au public, et qu'on nous saura quelque gré d'avoir donné au lecteur un moyen facile de parcourir les fastes de notre illustration nationale dans cette brillante galerie des Muses. C'est reproduire le passé par des monumens. Les Auguste, les Léon x, les Louis XIV, savaient que la gloire des empires repose sur les travaux de ces hommes « qu'en leur qualité de poètes, nos graves politiques et le vulgaire n'écoutent, par amusement, que comme des joueurs de flûte, ignorant que les sons qu'ils modulent sont pleins de pensées utiles, et que leurs vers sont le témoignage des plus nobles sentimens. » La couronne que portent les monarques n'est peut-être digne d'envie que le jour où le laurier des Muses y vient rattacher ses

festons.

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