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Hébreux des poésies nationales. Le fameux chant de l'arc, composé par David, sur la mort de Saül et de Jonathas, mérite surtout d'ètre cité. Quel amant de la poésie primitive ne connaît cette touchante élégie du Roi-Prophète ?

Les chants guerriers qui avaient précédé en Grèce la naissance d'Homère, s'élevèrent après lui à toute la hauteur de son génie. C'était une époque intéressante que ces siècles où la poésie était l'organe des législateurs et des héros, où le patriotisme, circonscrit dans l'enceinte d'une ville, semblait avoir plus d'énergie. Terpandre réunissant les Lacédémoniens divisés, Solon entraînant les Athéniens à la conquête de Salamine, Alcée tonnant contre les tyrans de Lesbos, montrent ce que peuvent les beaux vers inspirés par de généreux sentimens; mais le plus noble de ces triomphes fut réservé à Tyrthée. Appelé au secours d'une nation déjà vaincue, il se présente aux soldats avec la confiance d'un homme qui tient dans ses mains le sort de la patrie.

Nous possédons quelques fragmens de Tyrthée : ils suffisent pour l'honneur du poète qui reçut de Platon le surnom de divin, et qu'Horace et Quintilien placent immédiatement au-dessous d'Homère.

Ses élégies différaient de ses chants de guerre : c'étaient des chœurs d'une extrême simplicité, mais qui n'en avaient que plus d'effet, répétés par tout un peuple. Plutarque en rapporte un exemple, dont voici la traduction littérale :

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LES VIEILLARDS.

<< Jeunes gens, nous avons été de vaillans guerriers !

LES HOMMES FAITS.

« Nous sommes de vaillans guerriers : l'ennemi le connaîtra par nos coups.

LES ENFANS.

« Armez-nous, nos pères! nous serons plus vaillans que vous! »

Les Athéniens célébraient par des fêtes les anniversaires des victoires qu'ils avaient remportées, et chantaient des hymnes en l'honneur des braves qui les avaient cimentées de

leur sang.

Cette poésie, plus philosophique et plus instructive que l'histoire, parce qu'elle choisit exclusivement de beaux modéles, donnait des leçons de courage et d'honneur. La musique y joignait ses accords, et en assurait tout l'effet par la simplicité même de ses moyens. Aussi, pour conserver å ces hymnes leur influence, les Spartiates proscrivirent avec sévérité les nouveaux systèmes de musique, et, tandis que la Grèce corrompue se préparait à l'esclavage, Sparte demeura

libre.

On trouve dans les Voyages si estimés du jeune Anacharsis trois élégies sur la ruine de Messene. Ces pieces, composées dans le goût antique par le savant Barthélemy, donnent une juste idée des hymnes patriotiques chez les Grecs.

Les anciens Romains avaient des chants de guerre qu'ils improvisaient au moment du combat; ils chantaient aussi durant la marche des triomphateurs; mais ces inspirations n'avaient d'autre mérite que celui de la circonstance, et n'étaient point adressées à l'immortalité. Sous le premier César, les soldats oserent méler dans leurs refrains les traits de l'épigramme: César était trop grand pour s'offenser du ridicule, ses successeurs furent trop vils pour le permettre. Des lors, dans le sénat, dans l'armée, dans le peuple, tout fut empoisonné de flatterie et de servitude.

Les Phéniciens, les Arabes et les Perses, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, et dont l'existence se trouve

mêlée à toutes les époques historiques, conservaient des poésies nationales, qui sans doute contribuèrent, pendant une longue durée, au maintien de leurs mœurs et de leurs usages.

Mais, chez aucun peuple, la muse guerrière ne fut en si grand honneur que parmi les Celtes. Leurs Bardes, qui formaient la seconde classe des Druides, étaient les chantres et les panégyristes des héros. Selon Ammien Marcellin, ils s'accompagnaient de la lyre; on les plaçait au centre des armées : << Viens nous voir combattre et mourir; tu nous chanteras. >> Et le guerrier qui tombait percé de coups, tournait ses regards vers le poète qui devait l'immortaliser. On ne peut concevoir l'empire que les Bardes exerçaient sur ces peuples; c'est par eux que, pendant deux siècles, ils resistèrent à la puissance romaine.

Les Germains eurent aussi des Bardes jusqu'au temps de Charlemagne. Ce prince fit rassembler leurs ouvrages, et les fit traduire en vers latins; mais, après sa mort, ces monumens furent dispersés. Quelques-uns ont été retrouvés, au commencement du seizième siècle, dans des couvens de la Bohême.

Voici un des Bardits que répétaient les Francs à l'approche de l'ennemi :

<< Pharamond! Pharamond! nous avons combattu avec l'épée.

« Nous avons lancé la francisque à deux tranchans; `la sueur tombait du front des guerriers, et ruisselait le long de leurs bras; les aigles et les oiseaux aux pieds jaunes poussaient des cris de joie; le corbeau nageait dans le sang des morts; tout l'Océan n'était qu'une plaie : les vierges ont pleuré long-temps!

« Pharamond! Pharamond! nous avons combattu avec

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l'épée !

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« Nos pères sont morts dans les batailles, tous les vautours en ont gémi; nos pères les rassasiaient de carnage! Choisissons des épouses dont le lait soit du sang, et qui remplissent de valeur le cœur de nos fils.

« Pharamond, le bardit est achevé, les heures de la vie s'écoulent, nous sourirons quand il faudra mourir ! »

Les Bardes conservèrent en Ecosse un sentiment de liberté et d'indépendance qui a subsisté jusqu'a nos jours. Lorsque, dans le neuvième siècle, Edouard voulut conquérir le pays de Galles, il ne crut pouvoir y parvenir qu'en faisant massacrer tous les Bardes; mais il ne put anéantir leurs chansons, qui ranimèrent dans ces montagnes tout ce que les tyrans redoutent le courage et l'horreur de l'oppression.

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On trouve dans les poésies Erses une imagination plus forte qu'étendue, peu de variété, peu d'art, peu de ces résultats qui tiennent aux progrès de l'esprit; mais il y règne d'autres beautés : le fanatisme de la valeur, une âme nourrie des grandes images de la nature, et surtout une teinte de mélancolie douce et profonde.

Les Scandinaves et les Normands, qui ravagèrent la moitié de l'Europe, conduisaient des Scaldes dans leurs expéditions. Barbares comme les héros qu'ils célébraient, ces chantres avajent une éloquence sauvage. Jamais le mépris de la mort n'a été mieux peint chez aucun peuple.

« Quelle est la destinée d'un homme vaillant, si ce n'est « de mourir dans les combats? Celui qui n'est jamais blessé «est-il digne de vivre? Il traîne une vie pénible; car le lâche << ne fait aucun usage de son cœur. Quand les épées se heur «tent, le devoir du guerrier est de se présenter devant « le guerrier. J'honore l'homme qui ne recule pas devant « l'homme.

«J'ai cinquante-une fois arboré l'étendard des batailles,

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j'ai appris dans ma jeunesse à teindre de sang mon épée ; << mon espérance était alors qu'aucun roi parmi les hommes ne «< serait plus vaillant que moi. N'entends-je pas les déesses de « la mort ?... Je vous suis; je serais un lâche si je m'affligeais « de mourir! »

Ainsi chantait dans sa prison Reckner, un des hommes du nord, qui, au neuvième siècle, fut en même temps roi, guerrier, poète et pirate; et qui, pris les armes à la main, fut condamné à expirer au milieu des serpens.

Du partage des provinces romaines en Europe naquit le régime féodal, qui donna naissance à la chevalerie; cette institution, que les poètes ont trop célébrée et que les historiens nous représentent si oppressive et si corrompue, avait ses chants guerriers on les nommait chansons des gestes. Telle était celle de Roland, qui, sous la seconde race, succéda aux Bardits des anciens Francs. Ces monumens de notre ancieune histoire ne nous sont pas parvenus. « Ils ont eu le sort de tous les ouvrages qui passent de bouche en bouche, et qui, pour avoir été trop connus dans leur temps, ne laissent point de trace dans la postérité.

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Le Nouveau-Monde, habité lors de sa découverte par des peuplades sans cesse en armes les unes contre les autres, avait des chansons de guerre, qui s'appelaient chants de mort. Dans le Mexique, le Pérou, le Brésil, le Canada, où la civilisation avait déjà fait quelques progrès, on a trouvé des espèces de poèmes en l'honneur des guerriers.

L'Europe moderne, presque toujours soumise à l'autorité des monarques, n'a vu que par intervalles s'éveiller ces héroïques sentimens qui ont illustré les beaux âges de la Grèce et de Rome. La gloire militaire n'y manqua jamais de pané-, gyristes; mais rien n'était populaire : les conquêtes furent entreprises dans l'intérêt d'un seul; le monarque seul rece

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