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Princes, nobles, prélats, nageaient dans l'opulence,
Le peuple gémissait de leurs prospérités ;
Du sang de l'opprimé, des pleurs de l'indigence,
Leurs palais étaient cimentés.

En de pieux cachots, l'oisiveté stupide,
Afin de plaire à Dieu, reléguait les mortels ;
Des martyrs, périssant par un long suicide,
Blasphêmaient au pied des autels.

L'injustice des rois, toujours si bien servie,
Peuplait d'infortunés un repaire odieux;
Au fond de ce tombeau, condamnés à la vie,
Ils expiraient sans voir les cieux.

Ils n'existeront plus ces abus innombrables!
La sainte Liberté les a tous effacés;

Ils n'existeront plus ces monumens coupables,

Son bras les a tous renversés.

Dix ans sont écoulés, nos vaisseaux, rois de l'onde,
Pour fonder sa puissance ont traversé les mers:
Elle vient maintenant du bord du nouveau monde
Régner sur l'antique univers.

De nos champs renommés elle aborde la rive,
Ses pas sont entourés de citoyens guerriers;
Elle tient dans ses mains et le glaive et l'olive,
Son front est couvert de lauriers.

Au milieu des périls, La Fayette est son guide :
Depuis qu'en Amérique il devint son appui,
Elle a suivi partout sa prudence intrépide;
Elle est toujours auprès de lui.

La mère des vertus, des talens, du génie,
La Liberté réside au sein de nos remparts:
Nous verrons la sagesse à l'éloquence unie,
Les mœurs, le courage et les arts.

Nous verrons désormais, ainsi que dans Athènes,
Chez un peuple sensible et de la gloire épris,
Socrate et Périclès, Sophocle et Démosthènes
Orner le superbe Paris.

Soleil, qui parcourant ta route accoutumée,
Donnes, ravis le jour, et règles les saisons,
Qui, versant des torrens de lumière enflammée,
Mûris nos fertiles moissons;

Feu pur,
Puisse-tu des Français admirer la splendeur!
Puisse-tu ne rien voir, dans ta course féconde,
Qui soit égal à leur grandeur.

œil éternel, âme et ressort du monde,

Malheur au despotisme! et que l'Europe entière
Du sang des oppresseurs engraissant nos sillons
Soit pour notre déesse un vaste sanctuaire,
Qui dure autant que tes rayons.

Que des siècles trompés le long crime s'expie!
Le ciel pour être libre a fait l'humanité :

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l'esclave est un impie

Rebelle à la divinité.

M. J. CHENIER.

LES FRANÇAIS AUX BORDS DU SCIOTO',

ÉPITRE A UN ÉMIGRANT POUR KENTUKY,

En bien vous allez donc au bout de l'univers
Peupler du Scioto les rivages déserts?

Et vous vous embarquez, emportant l'espérance
De rendre à ces climats ce qu'a perdu la France:
Les lettres de cachet, les censeurs dits royaux,
La dime, la gabelle et les droits féodaux;
Les cours de parlement, les couvens, les chapitres,
Surtout les pensions, le blason et les titres ?
Ce projet très-sensé vous occupe et vous rit;
Mais, avant de partir, écoutez un récit
Assez intéressant, sur-tout très-véritable,
Et qui pourra, je crois, vous être profitable.
Dans ces beaux jours de gloire et de prospérité,
Quand ces mots dangereux, patrie et liberté,
Chez nous autres Français n'étaient guère en usage;
Que la crainte rendait maint écrivain fort sage;
Enfin dans ce beau temps où tout allait si bien
Un jeune raisonneur qui ne doutait de rien
S'avisa de penser, et se permit d'écrire

Qu'il serait à propos que le peuple sût lire;

Rivière du Kentaky, au nord-ouest de la Virginie, dans l'Amérique sep

tentrionale.

Que l'ordre qui jetait un bourgeois en prison,
Ne prouvait pas toujours qu'un ministre eût raison;
Et que la tolérance et la philosophie
Triompheraient un jour du fanatisme impie.

Sa brochure devait bouleverser l'Etat:
Mais on prévint le mal; nous avions pour prélat
L'ami de Loyola, l'intrépide Christophe,

Qui n'était, comme on sait, rien moins que philosophe;
Phelipeaux trafiquait des lettres-de-cachet,

Et maître Omer Joly concluait au parquet.

Dans un beau mandement, bien dur, bien fanatique, L'ouvrage déclaré détestable, hérétique,

Par arrêt de la cour fut ensuite brûlé;

L'auteur, qu'on ménagea, ne fut qu'embastillé.
La retraite eût guéri sa tête mal timbrée,
Il s'échappa, courut de contrée en contrée ;
Enfin le malheureux, après mille accidens,
Aux bords du Scioto fixa ses pas errans.

Bientôt il rassembla des familles sauvages,
Eparses dans les bois qui couvraient ces rivages.
Ces farouches humains, instruits par ses leçons,
Défrichèrent des champs, bâtirent des maisons,
Et, de feu Robinson invoquant le génie,

Il vit d'hommes nouveaux naître une colonie.
Ce n'était pas assez, il voulut, comme on dit,
Leur former à la fois et le cœur et l'esprit ;
Mais que leur apprit-il? Vingt absurdes chimères ;
Que les hommes étaient tous égaux et tous frères;
Que les distinctions, dont chacun est jaloux,
Devaient n'avoir pour but que l'intérêt de tous;
Que l'homme, étant né libre, avilissait son être
Lorsque, dans un autre homme, il pouvait voir un maître ;

Qu'il fallait consulter, sur les lois, sur les mœurs,
La loi de la nature écrite en tous les cœurs;

Et que, bien au-dessus de la valeur guerrière,
Etre utile aux humains est la vertu première.
Les pauvres Indiens, attendris, hêbétés,
Ecoutaient, admiraient ces puérilités;

Croyaient posséder même assez de connaissances,
Et ne soupçonnaient pas toutes ces belles sciences,
La chicane, le droit et civil et canon,

Et la théologie, et l'esprit du blason.

Sainville au milieu d'eux vivait libre et tranquille; Il voyait à sa voix sa peuplade docile

Lui rendre chaque jour grâces de son bonheur, Et du nom de Français faire un titre d'honneur. Mais qui peut étouffer l'amour de la patrie? Des regrets s'élevaient dans son âme attendrie; Errant sur le rivage, et les pleurs dans les yeux : « Je suis donc pour toujours exilé dans ces lieux. « O France! heureux climat, si cher à mon enfance! « De retour dans ton sein j'ai perdu l'espérance! « J'ai servi ma patrie! Ils m'en out éloigné! « Je ne pense jamais, sans en être indigné, « Aux gothiques erreurs, aux coutumes bizarres, « A tout l'absurde amas de préjugés barbares << Sous lequel les Français végétaient asservis. «Ils riaient de leurs maux, et s'en croyaient guéris.

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<«< Oh! s'ils osaient un jour sortir de l'esclavage,
« De vouloir être heureux s'ils avaient le courage,

« S'ils ne gardaient du joug que celui de la loi,
<«< France! le monde entier serait jaloux de toi
« Mes prières jamais ne seront exaucées. »

Un jour qu'il se plongeait dans ses tristes pensées,

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