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Suppofons que les régles n'éxiftent point: & qu'un Artifte philofophe foit chargé de les reconnoître & de les établir pour la premiere fois. Le point d'où il part eft une idée nette & précife de ce dont il veut donner des régles. Suppofons encore que cette idée fe trouve dans la définition des Arts, telle que nous l'avons donnée Les Arts font l'imitation de la belle nature. Il fe demandera enfuite, quelle eft la fin de cette imitation? Il fentira aisément que c'eft de plaire, de remuer, de toucher, en un mot le plaifir. Il fait d'où il

la fource du plaifir des | principe, où toutes Arts & des Lettres, deux propofitions toutes différentes. Or la belle Nature eft tout ce qui eft auffi parfait en foi & auffi intéreffant pour nous qu'il peut l'être.Tout ce qu'on peut dire de plus n'eft qu'un développement de ce

les queftions s'arrêtent en cette matiére. Faut-il tant de recherches pour reconnoître la belle Nature? Il fuffit de la voir. Eft-ce la définition du bon qui en donne le goût? Et fans le goût peuton en avoir l'idée,

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part il fait où il va : il lui eft aifé de régler fa marche.

Avant que de pofer fes lois, il fera long-temps obfervateur. D'un côté il confidérera tout ce qui eft dans la Nature phyfique & morale : les mouvemens du corps & ceux de l'ame, leurs efpéces, leurs dégrés, leurs variations, felon les âges, les conditions, les fituations. De l'autre côté, il fera attentif à l'impreffion des objets fur lui-même. Il obfervera ce qui lui fait plaifir ou peine, ce qui lui en fait plus ou moins, & comment & pourquoi cette impreffion agréable ou défagréable eft arrivée jufqu'à lui.

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Il voit dans la Nature, des êtres animés, & d'autres qui ne le font pas. Dans les êtres animés, il en voit qui raisonnent, & d'autres qui ne raisonnent pas. Dans ceux qui raifonnent, il voit certaines opérations qui fuppofent plus de capacité, plus d'étendue, qui annoncent plus d'ordre &

de conduite.

Au-dedans de lui-même il s'apperçoit 1°. Que plus les objets s'approchent de lui, plus il en eft touché : plus ils s'en éloignent, plus ils lui font indifférens. Il remarque que la chute d'un jeune arbre l'intéreffe plus que celle d'un rocher : la mort d'un animal qui lui paroiffoit tendre & fidéle, plus qu'un arbre déraciné : allant ainfi de proche en proche, il trouve que l'intérêt croît à proportion de la proximité qu'ont les objets qu'il voit, avec l'état où il est lui-même.

De cette premiere obfervation notre Légiflateur conclut, que la premiere qualité que doivent avoir les objets que nous préfentent les Arts, c'eft, qu'ils foient intéreffans; c'està-dire, qu'ils aient un rapport intime avec nous. L'amour propre eft le reffort de tous les mouvemens du cœur humain. Ainfi il ne peut y avoir rien de plus touchant pour nous, que l'image des paffions & des actions des hommes; parce qu'elles font comme

des miroirs, où nous voyons les nôtres, avec des rapports de différence ou de conformité.

L'Obfervateur a remarqué en fecond lieu, que ce qui donne de l'éxercice & du mouvement à fon efprit & à fon cœur, qui étend la fphére de fes idées & de fes fentimens, avoit pour lui un attrait particulier. Il en a conclu que ce n'étoit point affez pour les Arts que l'objet qu'ils auroient choifi, fût intéreffant, mais qu'il devoit encore avoir toute la perfection, dont il eft fufceptible: d'autant plus que cette perfection même renferme des qualités entiérement conformes à la Nature de notre ame & à fes befoins.

Notre ame eft un compofé de force & de foibleffe. Elle veut s'élever, s'agrandir; mais elle veut le faire aifément. Il faut l'exercer, mais ne pas l'exercer trop. C'eft le double avantage qu'elle tire de la perfection des objets que les Arts lui préfentent.

Elle y trouve d'abord la variété,

qui fuppofe le nombre & la différence des parties, préfentées à la fois, avec des pofitions, des gradations, des contraftes piquans. (Il ne s'agit point de prouver aux hommes les charmes de la variété) L'efprit eft remué par l'impreffion des différentes parties qui le frappent toutes enfemble, & chacune en particulier, & qui multiplient ainfi fes fentimens & fes idées.

Ce n'eft point affez de les multiplier, il faut les élever & les étendre. C'est pour cela que l'Art eft obligé de donner à chacune de ces parties différentes, un dégré exquis de force & d'élégance, qui les rende finguliéres, & les falle paroître nouvelles. (a) Tout ce qui eft commun, eft ordinairement médiocre. Tout ce qui eft excellent, eft rare, fingulier & fouvent nouveau. Ainfi, la variété &

(a) Quoique rien | s'enfuit pas que tout ne plaife que ce qui ce qui eft naturel eft naturel, a dit M. | doive plaire. de la Mothe, il ne

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