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Pourquoi obferver les mœurs, les étudier ? N'eft-ce pas à deffein de les copier ?

Refpicere exemplar morum vitæque jubebo

Dodum imitatorem, & vivas hinc ducere voces.

Vivas voces ducere, c'eft ce que nous appellons peindre d'après nature. Et tout n'est-il pas dit dans ce feul mot: ex noto fictum carmen sequar? Je feindrai, j'imaginerai d'après ce qui eft connu des hommes: on y fera trompé, on croira voir la nature elle-même, & qu'il n'eft rien de fi aifé que de la peindre de cette forte mais ce fera une fiction, un ouvrage de génie, au-deffus des for

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du Journ. des Sça-»ne pièce de théavans, tom. 5. de la > tre c'est toute fa dernière édition: conftitution inven» Un grand Poëte, »tée & créée................ » dit-il, fi on entend » & Polieuce ou » par ce mot, ce que » Cinna en profe fe» l'on doit, eft ce- »roient encore d'ad» lui qui fait, qui invente, qui crée. La vraie Poefie d'uTome I.

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mirables produc» tions d'un Poëtes

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ces de tout efprit médiocre, fudet multùm fruftràque laboret.

Les termes mêmes dont les Anciens fe font fervis en parlant de Poësie, prouvent qu'ils la regardoient com-. me une imitation. Les Grecs difoient ποιεῖν & μέμεισθαι. Les Latins traduifoient le premier terme par facere ; les bons Auteurs difent facere poema, c'eft-à-dire, forger, fabriquer, créer: & le fecond, ils l'ont rendu, tantôt r par fingere, tantôt par imitari, qui fignifient autant une imitation artificielle, telle qu'elle eft dans les Arts, qu'une imitation réelle & morale, telle qu'elle eft dans la fociété. Mais comme la fignification de ces mots a été dans la fuite des temps étendue, ou détournée, ou refferrée; elle a donné lieu à des méprifes, & répan du de l'obscurité fur des principes qui étoient clairs par eux-mêmes, dans les premiers Auteurs qui les ont établis. On a entendu par fiction, les fables qui font intervenir le ministere des dieux, & qui les font agir dans une

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action; parce que cette partie de la fiction eft la plus noble. Par imitation, on a entendu non une copie artificielle de la Nature, qui confifte précisément à la représenter, à la contrefaire, inongiver: mais toutes fortes d'imitations en général. De forte que ces termes n'ayant plus la même fignification qu'autrefois, ils ont ceffé d'être propres à caractériser la Poësie, & rendu le langage des Anciens inintelligible à la plupart des lecteurs.

De tout ce que nous venons de dire, il réfulte, que la Poëfie nefubfifte que par l'imitation. Il en est de même de la Peinture, de la Danse, de la Mufique: rien n'eft réel dans leurs ouvrages: tout y eft imaginé, feint, copié, artificiel. C'eft ce qui fait leur caractere effentiel par oppofition à la Nature.

CHAPITRE III.

Le Génie ne doit point imiter la Nature telle qu'elle eft. LE Génie & le Goût ont une liaifon fi intime dans les Arts, qu'il y a des cas où on ne peut les unir fans qu'ils paroiffent fe confondre, ni les féparer, fans prefque leur ôter leurs. fonctions propres. C'eft ce qu'on éprouve ici, où il n'eft pas poffible de dire ce que doit faire le Génie, en imitant la Nature, fans fuppofer le Goût qui le guide. Nous avons été obligés de toucher ici au moins légérement cette matiere, pour préparer ce qui fuit; mais nous réfervons à en parler plus au long dans la feconde Partie,

Ariftote compare la Poëfie avec l'Hiftoire. Leur différence, felon lui, n'eft point dans la forme ni dans le style, mais dans le fonds des choses, Mais commenty eft-elle ? L'Histoire

peint ce qui a été fait : la Poëfie, ce qui a pu être fait. L'une eft liée au vrai, elle ne crée ni actions, ni acreurs. L'autre n'eft tenue qu'au vraifemblable: elle invente: elle imagine à fon gré : elle peint de tête. L'Hiftorien donne des exemples tels qu'ils font, fouvent imparfaits. Le Poëte les donne tels qu'ils doivent être. Et c'eft pour cela que, felon le même Philofophe, la Poëfie eft une leçon bien plus inftructive que l'Hiftoire (a).

Sur ce principe, il faut conclure que fi les Arts font imitateurs de la Nature; ce doit être une imitation fage & éclairée, qui ne la copie pas fervilement; mais qui choififfant les objets & les traits, les préfente avec toute la perfection dont ils font fufceptibles: en un mot, une imitation, où on voie la Nature, non telle qu'elle eft en elle-même, mais telle qu'elle peut être, & qu'on peut la concevoir par l'efprit.

(α) Διο και φιλοσοφία | ποιήσις ισορίας εστιν, Poets περον καὶ σπουδαιότερον | Poetic. cap. 9.

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