Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

BUREAUX DE LA REVUE GERMANIQUE ET FRANÇAISE

10, RUE DU FAUBOURG-MONTMARTRE

1864

R

[blocks in formation]
[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Tous les êtres que l'homme connaît, naissent et croissent dans un milieu défini qu'ils n'ont point fait, et qui détermine les formes et les lois de leur organisation. Comme être moral, l'homme crée lui-même son milieu, qui est la société.

A mesure que la distance s'amoindrit entre l'homme et son entourage, le commerce qu'il entretient avec lui se rapproche d'une communauté vivante. La pierre que foulent nos pieds nous est plus étrangère que le sol creusé de nos mains, et que le blé qui nous nourrit; le sol et ses produits, associés à nos destins par le travail, ont répondu à un appel de notre volonté, et satisfait une exigence de notre nature: il s'est formé entre eux et nous une sorte d'échange et presque un lien de réciprocité. Ce que l'homme a planté, ce qu'il a semé et cultivé de ses mains, cela reçoit quelque chose de lui. L'âme du laboureur se mêle aux sillons, à la moisson qu'il voit périr ou fructifier sous ses yeux. Et n'y a-t-il pas une ébauche de societé entre nous et ces êtres que nous enlevons à la sauvagerie des bois, des vallées et des plaines, pour en faire les compagnons de notre sort autant que les serviteurs de nos besoins?

Voir la Revue des 1er novembre 1863 et 1er janvier 1864.

L'homme jette sur son entourage comme un reflet de sociabilité. Cependant, la société proprement dite ne se développe pas hors de l'humanité même.

Tout ce qui vit a sa manière de vivre. On pourrait en ce sens parler des mœurs de l'animal, et même des mœurs de la plante. On ne saurait en aucun cas parler des mœurs de l'homme, sans que surgisse aussitôt l'idée de la société. C'est que la sociabilité elle-même est le trait par excellence de notre espèce. Tout échange est une forme de la sociabilité, et l'homme n'existe que par l'échange. La science naît de l'échange des esprits; la charité, de l'échange des cœurs; la justice, de l'échange des droits; la morale, de l'échange des consciences; la religion, de l'échange des âmes dans l'idéal; l'industrie, de l'échange des besoins matériels. En attendant que l'homme soit relevé de sa mission de progrès, le progrès ne cessera pas de s'accomplir ainsi. Soyons bien assurés que tout ce qui tend à nous disjoindre, tend aussi à nous diminuer en rappelant parmi nous la barbarie. La justice, l'amour, la vérité sont des liens : ils ne peuvent augmenter parmi les hommes sans que la société augmente d'autant.

Disséminés, errants, en quelque sorte fluides, ainsi que la matière cosmique dans l'espace, les individus, après avoir formé des groupes élémentaires et nomades, se rapprochent lentement et se fixent; leur. densité augmente et l'agglomération s'étend en des contrées propices. L'instinct de la sociabilité, qu'on pourrait appeler la gravitation humaine, opère et fait équilibre à l'impulsion excentrique des égoïsmés.. Mais à quel long effort l'humanité va être condamnée, avant de constituer des communautés qui ne détruisent pas les forces individuelles, et des forces individuelles qui ne détruisent pas les communautés! Dans un profond lointain nous apparaissent l'Inde, la Chine, l'Égypte et la Perse, qui sont plutôt de formidables monceaux d'hommes que des peuples au sens moderne du mot, c'est-à-dire des sociétés vivant ou aspirant à vivre sous l'égide de la loi. Ces antiques agglomérations atteignent un certain degré de puissance, et puis elles déclinent ou restent croupissantes dans l'inertie, Des monuments prodigieux, temples, statues et palais, théogonies colossales, poëmes grandioses, hiéroglyphes et sphynx, viennent parmi nous raconter l'existence de vastes empires écroulés. Témoins mutilés qui portent les cicatrices du temps, des éléments et des catastrophes humaines, ils nous donnent la mesure de ces masses travaillées jadis par le ciseau de fer d'un despotisme à deux têtes. La théocratie a taillé ces colosses monolithes. Le despotisme peut superposer des castes, il ne peut

« PreviousContinue »