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avantage à sa provision de maximes toutes faites, au moyen desquelles il se trouvait prêt pour agir lorsque les autres perdaient leur temps à délibérer.

Il soutenait donc qu'à son entrée dans la vie un homme devait avoir toute prête sa provision de maximes pour les accidents qui se présentent le plus ordinairement. « Une fois qu'on les a adoptées, il ne faut plus les discuter; il suffit d'examiner rapidement. si le cas particulier, au sujet duquel on est perplexe, peut se résoudre par un des préceptes généraux qu'on a dans sa réserve. Ne jamais pardonner un mensonge, saisir aux cheveux la première occa

sion de duel à son début dans le monde, ne jamais se repentir d'une sottise faite ou dite. »>< Voilà quelques-unes de ses maximes.

Après les maximes venaient les recettes qu'il of frait garanties. Quelques-unes nous ont été transmises par l'auteur des Notes et Souvenirs. Une des grandes causes de nos tourments, c'est la mauvaise honte. Pour un jeune homme, c'est une affaire que d'entrer dans un salon. Il s'imagine que tout le monde le regarde, et meurt de peur qu'il n'y ait quelque chose dans sa tenue qui ne soit pas absolument irréprochable. Un de ses amis souffrait plus que personne de cette timidité, et Beyle disait de lui que, lorsqu'il entrait dans le salon de Madame P..., on croyait toujours qu'il avait cassé quelque porcelaine dans l'antichambre: Je vous conseille ma

recette d'autrefois, lui disait-il. Entrez avec l'attitude que le hasard vous a fait prendre sur l'escalier; convenable ou non, peu importe; soyez comme la statue du Commandeur, et ne changez de maintien que lorsque l'émotion de l'entrée aura complétement disparu.

Si le provincial est excessivement timide, disaitil ailleurs, c'est qu'il est excessivement prétentieux; il croit que l'homme qui passe à vingt pas de lui sur la route n'est occupé qu'à le regarder; et si cet homme rit par hasard, il lui voue une haine éternelle.

Voici sa recette pour le premier duel :

« Pendant qu'on vous vise, regardez un arbre et appliquez-vous à en compter les feuilles. Une préoccupation distrait d'une autre préoccupation plus grave. En ajustant votre adversaire, récitez deux vers latins, cela vous empêchera de tirer trop vite et remédiera au cinq pour cent d'émotion qui a envoyé tant de balles vingt pieds plus haut qu'il ne fallait. >>

Homme d'imagination et de premier mouvement, Beyle n'en avait pas moins de grandes prétentions à raisonner tout et à se conduire en tout selon les règles de la logique. Ce mot revenait souvent dans sa conversation, et ses amis se souviennent de l'emphase particulière qu'il mettait à le prononcer lentement, séparant les deux syllabes par une virgules: la LO,-GIQUE. C'était toujours la logique qui

devait nous guider dans toutes nos actions, mais la sienne n'était pas celle de tout le monde, et l'on était parfois assez embarrassé pour deviner le fil de ses raisonnements. Je me souviens qu'un jour nous voulûmes faire ensemble un drame dont le héros, coupable d'un crime avait des remords. « Pour se délivrer d'un remords, que dit la lo-gique? » H réfléchit un instant. « Il faut fonder une école d'ensei>> gnement mutuel'. »

Ainsi, dans sa conversation comme dans son style, Beyle s'exprime volontiers d'une façon elliptique et même énigmatique. « Il ne procède que par traits, ce sont des notes sans lien. Il supprime, la plupart du temps, tout ce que le lecteur peut supplier; de sorte qu'il le tient en éveil et le provoque, et le jette, presque à chaque page, soit par assentiment, soit par contradiction, dans je ne sais combien de rêveries ou de discussions intérieures, qui font que l'on oublie le livre et que l'on y revient ensuite avec plaisir 2. »

V.

Après cette désastreuse campagne de Russie, après ce grand voyage de Moscou où Henri Beyle emportait dans sa calèche tant d'auteurs originaux

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qu'il perdit avec la calèche, il fut pris au retour d'un ennui profond.

Pour refaire sa santé et sa gaieté altérées par les fatigues de tous genres qu'il avait supportées dans cette retraite, après avoir quelque temps encore rempli les fonctions d'intendant de la Silésie, Henri Beyle alla passer les mois d'octobre et de novembre 1813, en Italie, à Naples et sur les bords du lac de Côme.

Il avait alors trente ans et c'est ici que commence la période littéraire de sa Vie, après la période militaire qui a duré quatorze années (1800-1814).

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« Pour se consoler du malheur de vendre ses chevaux (mai 1814), M. Darlincourt fit la Vie de Haydn, Mozart et Métastase. Il avait réellement. assisté au convoi de Haydn à Vienne, en mai 1809. Il y fut conduit par M. Denon. Ce premier ouvrage est imité en partie d'une biographie italienne sur Haydn. Il fut traduit en Anglais. >>

En 1817, M. Darlincourt publia deux volumes de « l'Histoire de la peinture en Italie, » qui n'eut aucun succès, et lui coûta 4,000 francs chez Didot. En ce temps-là, Darlincourt ne connaissait pas même les avantages de la camaraderie; il en eût eu horreur. Un de ses amis fit insérer dans les Débats un article

Cette note est de Henri Beyle. Elle est précieuse en ce qu'elle donne la date exacte de la publication de ses livres, avec les circonstances qui entourèrent cette publication.

à la louange de « l'Histoire de la peinture; » le lendemain, les Débats se rétractèrent. Ces deux volumes furent le fruit de trois ans d'études: l'histoire pittoresque de Florence fut écrite à Florence; de Rome à Rome, et ainsi de suite. M. Darlincourt consulta les manuscrits des bibliothèques de Florence, et toutefois fut trompé par un bibliothécaire qu'il payait. Le fils de Bianca Capello vécut, et fut toujours traité en prince par pitié.

En 1817, M. Darlincourt publia « Rome, Naples et Florence. » Ce petit manuscrit avait été fait pour ses amis et sans nul dessein de l'imprimer. Il eut du succès, et l'Histoire de la peinture qui a été recopiée dix-sept fois, ne fut lue de personne.

En 1822, M. Darlincourt, toujours étranger à la camaraderie, eut grand'peine à trouver un libraire qui voulut gratuitement du manuscrit de « l'Amour. » Ce libraire lui dit au bout d'un mois : « Votre livre, Monsieur, est comme les psaumes de M. de Pompignan, de qui on disait : « Sacrés ils sont, car per» sonne n'y touche. »

En 1823 et 1824, il publia « Racine et Shakspeare » (quarante pages), qui cut beaucoup de succès et qui piqua lord Byron.

En 1824-25, un second « Racine et Shakspeare » (cent cinquante pages). Succès d'estime. On n'y comprend rien. Grande colère de M. Auger, qui fait lire ce livre deux mois après. M. Darlincourt

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