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de Castel-Franco. La campagne faite, Beyle tint garnison tour à tour à Brescia et à Bergame d'où il allait trèssouvent à Milan. Cette existence active et pleine d'imprévu lui plaisait beaucoup. Il avait des aventures, des duels, des maîtresses. Et pourtant il trouva bientôt maussade la vie militaire hors du champ de bataille. Il profita de la paix qui suivit le traité d'Amiens, en 1802, pour donner sa démission et s'en revenir à Grenoble. Ses parents furent scandalisés des idées et des sentiments nouveaux qu'il rapportait du régiment. Ils étaient vieux et n'avaient pas changé. La fougue du jeune Beyle soulevait dans sa paisible famille des orages fréquents. Aussi dut-il partir et retourner à Paris pour y refaire lui-même son éducation, grâce à une petite pension de cent cinquante francs consentie par son père. Beyle comprit que malgré tous ses prix de l'école centrale, il ne savait rien en réalité, et il eut le courage bien rare de recommencer ses études à vingt ans. Ses lectures favorites étaient alors les œuvres de Montaigne, de Montesquieu, de Cabanis, de Say, de Destutt de Tracy. - J.-J. Rousseau, dont l'emphase oratoire devait l'impatienter plus tard, était encore l'objet de son admiration et de ses rêveries habituelles. Il lisait donc beaucoup, et comme on peut le voir, de bien sérieux livres. Mais non content de lire, il écrivait et prélevait encore, sur ses cinq francs par jour, le prix de leçons d'Anglais et d'escrime. Il faisait, sans trop

de succès, des armes chez Fabien, et c'était un prêtre irlandais, le P. Yéki, qui lui apprenait, suffisamment, la langue anglaise.

Il ébauchait alors une comédie en prose, le Bon Parti, qui reçut plus tard cet autre titre: Quelle Horreur! ou l'ami du despotisme pervertisseur de l'opinion publique. Cette comédie ne fut, heureusement, jamais achevée ni publiée.

Comme Balzac, dans sa mansarde de la rue Lesdiguières, Henri Beyle travaillait, sans succès, mais avec ardeur, en se berçant des plus doux rêves de gloire et de fortune littéraires. Deux années s'écoulèrent ainsi, qui ne furent pas perdues pour l'avenir de Beyle, bien que stériles en apparence. Revenu à Grenoble, au mois de mars 1805, il essaya encore aussi malheureusement de la vie de famille; quand une jolie actrice dont il était épris s'en allant à Marseille, il entra, pour l'y suivre, dans la maison de commerce d'un riche épicier, pour y tenir les livres et faire la correspondance. Cette vie de comptoir dura un an, après lequel, sa maitresse ayant épousé un grand seigneur russe, Beyle revint à Paris pour y reprendre ses rêves littéraires et ses habitudes studieuses.

Cependant sa famille était lasse de ces changements multipliés qui n'étaient pas sans plaire à l'esprit mobile et aventurier de Stendhal. Elle sollicita M. Daru de lui donner enfin une carrière

sérieuse. M. Daru, alors sous-inspecteur aux revues, le fit rentrer au commissariat de la guerre. Henri Beyle qui avait alors vingt-trois ans, accepta, tout en regrettant d'abandonner encore ses travaux littéraires qui étaient certainement sa passion et sa vocation véritable.

Peu de jours après la bataille d'Iéna, le 14 octobre 1806, Beyle obtint l'emploi d'intendant des domaines de l'Empereur. Un an plus tard, le 11 juillet 1807, un décret, daté de Koenigsberg, le nommait adjoint aux commissaires des guerres.

C'est en cette qualité que Beyle observa d'assez près la guerre et fit avec le quartier général de Napoléon la désastreuse campagne de 1812.

Ici doivent se placer plusieurs anecdotes qui entourent d'une vive lumière plusieurs côtés de son caractère.

Toujours habile à mettre à profit toutes les occasions de s'instruire, Beyle profita de son séjour à Brunswick, en 1807 et 1808, pour y étudier la langue et la philosophie allemandes.

Un jour qu'il passait au grand trot, devant un corbeau, dans une voiture où se trouvaient les aides de camp du général de Rivaud-la-Raffinière, Beyle l'abattit à quarante pas, d'un coup de pistolet chargé d'une seule balle. Cette preuve d'adresse extraordinaire lui valut le respect de ses compagnons.

Après la campagne de 1809, Beyle fut abandonné avec les malades dans une petite ville ennemie,

sans un seul bataillon pour se défendre, au milieu d'un pays animé des sentiments les plus hostiles. Comme officier d'administration, Beyle avait le dépôt, l'hôpital et les approvisionnements placés sous sa responsabilité. Quelque temps après que les troupes françaises eurent quitté la ville, une insurrection formidable éclata; le tocsin sonna, appelant aux armes toute une population haineuse, insurgée contre nous. Il ne s'agissait de rien moins que de massacrer tous les malades, de piller les magasins, de brûler l'hôpital. Devant cette émeute imprévue, Beyle se présente avec sang-froid, traverse la multitude furieuse et pénètre dans l'hôpital où il arme rapidement les blessés, les convalescents, tous ceux des malades qui peuvent se servir d'un fusil. Il les place en embuscade aux fenêtres qu'il fait garnir de matelas, et quand les assiégeants s'approchent, brusquement il fait ouvrir les portes, et se mettant à la tête des plus valides, il se précipite sur l'émeute. A la première décharge, tout se dissipa.

IV.

Le 3 août 1810, Beyle fut nommé auditeur de première classe et attaché à la section de la guerre du conseil d'État. Le malheur est qu'il dépensait alors beaucoup plus qu'il ne gagnait. Il recevait de

son père dix-huit cents francs par an. Son traitement était d'égale somme; tandis que ses goûts et ses relations l'entraînaient à une dépense d'environ vingt mille francs. Heureusement l'année suivante, le 22 août 1812, il fut choisi comme un des deux inspecteurs de la comptabilité du mobilier et des bâtiments de la couronne, avec douze mille francs d'appointement et le droit d'entrées à la Cour.

Au milieu de ses distractions, de ses travaux et de ses plaisirs mondains, Beyle songeait toujours aux lettres qui furent sa première et sa dernière passion. Un testament de cette année 1810, dispose que la fortune qu'il laisserait à sa mort serait placée en Amérique ou en Angleterre pour être employée, d'une façon ingénieuse qu'il indiquait, à la fondation d'un prix littéraire.

En 1811, Henri Beyle profita d'un congé pour revoir l'Italie et surtout Milan où il avait laissé de si doux souvenirs.

Pendant ce voyage, il commença à noter au jour le jour et pour lui-même, les observations qu'il faisait. A la fin du manuscrit de ce journal tout personnel, l'auteur avait écrit:

« Présenté en toute humilité à M. H. B., âgé de trente-huit ans, qui vivra peut-être en 1821, par son très-humble serviteur, plus gai que lui.

Signé Le H. B. de 1811.

Milan, ce 29 octobre 1811. »

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