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vie, et jusqu'à consommation de doctrine, jusqu'au jour de la perfection, il en est le plus sûr et le plus légitime promoteur.

Il ne serait pas impossible, à la rigueur, de faire toute une philosophie sans le secours de l'éclectisme. Mais ce serait une énormité; et pour une telle œuvre, il ne faudrait rien moins qu'un génie qui seul et par lui-même, sans antécédents ni concours, égalât dans ce qu'il a de meilleur le génie, combiné des plus grands philosophes, eux cependant qui ne furent forts que par leurs maîtres et l'histoire.

Or, l'esprit humain ne doit pas compter sur une grâce aussi exceptionnelle, et l'éclectisme est bien mieux son fait, parce qu'il n'est après tout, sous une forme particulière, qu'un procédé naturel et facile à l'humanité, je veux dire le travail par concours et association.

L'éclectisme, en effet, est la philosophie par association; la philosophie qui, au moyen de la critique et de l'histoire, s'enrichit de toutes les légitimes acquisitions qui appartiennent au passé.

Et cette philosophie vaut d'autant mieux qu'elle est plus en communion avec les philosophies antérieures, qu'elle participe de plus de doctrines, qu'elle a plus de quoi choisir et sait mieux exercer son choix.

Ainsi, ce qu'on peut reprocher à l'éclectisme de nos jours, c'est, si l'on veut, d'être encore trop circonscrit et trop borné dans ses recherches historiques; c'est de ne s'être pas exercé au moins avec développement sur toutes les époques et tous les systèmes, c'est de n'être pas allé assez avant, c'est de n'être pas assez l'éclectisme.

Mais on ne saurait lui reprocher d'être vraiment de l'éclectisme.

Je l'appelais tout à l'heure la philosophie par association; ne pourrai-je pas l'appeler aussi la philosophie sans exclusion et comme une sorte de philanthropie appliquée aux idées vraies de tous les temps et de tous les pays. Plus elle est large en ses acceptions, en même temps que discrète, plus elle embrasse, mais avec choix, plus elle est légitime et pure, plus elle est accomplie.

Il serait difficile d'affirmer que l'éclectisme ne changera pas, soit sous le rapport du criterium, ce qui est moins vraisemblable, soit sous celui de l'érudition, ce qui, à coup sûr, doit arriver; depuis qu'il est au monde, (et il y est depuis long-temps, il y est du jour où il y a eu des maîtres et des disciples, du passé et des juges du passé; il abonde dans Socrate, dans Platon et Aristote); depuis donc qu'il est au monde, il a subi bien des modifications, et, dans sa règle d'élection et dans sa matière à élection. Aujourd'hui, il est spiritualiste, spiritualiste en partant des données de la psychologie; je crois la direction bonne, je la crois par conséquent durable; mais enfin, je conçois qu'il en prenne un jour un autre ; de même encore, il se meut dans une sphère d'érudition qui est sans doute assez vaste; mais comment dire qu'il n'ira pas et ne s'étendra pas au delà, qu'il n'a pas tout un nouveau monde, lemonde de l'orient, jusqu'ici peu connu, à parcourir et à comprendre? Il y a donc chance pour qu'avec le temps il varie et se modifie.

Mais que s'en suivra-t-il? Qu'il s'amendera, se fortifiera, et se perfectionnera, et, non qu'il finira. Il ne

finira du moins qu'après s'être pleinement perfectionné, et, lorsqu'il pourra être dit que l'humanité du présent a toute la science du passé, qu'elle l'a meilleure et plus vraie, qu'elle a la toute-science et n'est plus en défaut de rien. Jusque là l'éclectisme, qu'on le sache ou qu'on l'ignore, sera et restera le procédé nécessaire de tout esprit en progrès.

Comme on le voit, et comme je l'ai dit, l'éclectisme n'est pas pour la philosophie un état définitif; ce n'est pas un but, c'est un moyen, mais ce moyen est pour un long avenir encore, et de nos jours plus que jamais, d'une indispensable application. L'humanité n'a pas commencé et ne finira pas par pas par l'éclectisme; mais elle a vécu et elle vivra, elle se développera par l'éclectisme, qui est au monde des idées ce que la sociabilité est au monde des personnes, ou qui n'est, pour mieux dire, qu'une forme de la sociabilité.

J'ai plus que jamais cette conviction depuis qu'avec bien des difficultés, mais aussi avec bien du bonheur, je pénètre plus avant dans l'histoire de la philosophie.

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.

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