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de l'ame. M. Bonstetten l'adopte avec sentiment et avec amour; sa conviction est sérieuse, et lui tient au fond du cœur. On la partage en le lisant, on sent à tout ce qu'il dit qu'elle n'est pas vaine et sans raison; mais peut-être ne donne-t-il pas à ses preuves un caractère assez scientifique; il ne les fait pas valoir avec toute la force dont elles seraient susceptibles; il donne trop au développement poétique ou oratoire, et pas assez au développement philosophique et démonstratif; sa pensée a quelquefois l'air du sentimentalisme : nous devons même avouer que ce n'est qu'en précisant à notre manière les idées qu'il expose, que nous avons pu les réduire au petit nombre d'argumens que nous venons d'indiquer.

Et en général on peut remarquer qu'il ne fait point assez d'efforts pour donner à ses idées le caractère de la science; il s'en tient à des vues, et travaille peu à la théorie il a souvent par devers lui tous les élémens d'un système; mais il ne tente pas le système, ou se borne à l'ébaucher sur beaucoup de points il a un avis, et un avis plein de sagesse, sur presque aucun il n'a de doctrine; point d'opinion achevée et poussée jusqu'au dernier terme, point de généralité en saillie, point de ces principes dominans qui saisissent les esprits et les forcent à l'examen; toujours quelque peu de vague, et des questions qui auraient besoin d'être traitées avec plus de rigueur et d'exactitude: de là sans doute le peu d'impression que les ouvrages de M. Bonstetten ont produit sur notre public. Il n'y a point encore en France un goût assez sérieux de la philosophie pour qu'on la recherche avec ardeur, dans les livres où elle se montre sans art et sans système; on ne

la sent pas assez quand elle manque de relief, et on la néglige, faute de la sentir : toutefois, on n'a peutêtre pas rendu à M. Bonstetten toute la justice qu'il mérite. Il philosophe d'une si bonne manière, avec tant de bon sens et de conscience, qu'il y a certainement à profiter en étudiant avec lui; il ressemble beaucoup aux Écossais (1); il est moins avancé dans les questions, moins près des applications, moins développé et moins classique; mais il a leur méthode, leur conduite d'esprit, leur sage circonspection: c'est un maître qui, comme eux, est excellent pour le début.

(1) M. Bonstetten a peut-être ressenti plus que nous ne l'avons dit, l'influence de la philosophie anglaise et écossaise. Né dans le pays de Vaud, où de bonne heure cette philosophie a eu siége et faveur, il a pu naturellement en prendre l'esprit et la méthode,

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M. ANCILLON,

Né à Berlin, en 1758,

Nous avions d'abord eu la pensée de rendre un compte particulier de chacun des Essais de M. Ancillon; mais comme, sans être tout à fait étrangers les uns aux autres, ils ne font pas cependant suite entre eux, nous avons cru que, si, au lieu de présenter une assez longue succession d'analyse et de critique isolée, nous recherchions la philosophie générale de l'auteur, l'objet qu'il se propose, la méthode qu'il suit, les principales opinions qu'il professe, nous aurions un meilleur moyen d'apprécier et de faire connaître les mérites qui le distinguent.

Il est une science assez hardie pour se mesurer à l'univers, et qui, dans son ambition, vaste comme la vérité, prétend à tout, s'applique à tout, à l'invisible comme au visible, à l'infini comme au fini, à Dieu comme au monde : les forces physiques et morales, le principe qui les a créées, les êtres et leur raison, il n'est rien qu'elle n'embrasse dans ses immenses recherches. Elle veut des solutions pour tous les problèmes, des explications pour tous les mys– tères, des démonstrations pour tous les inconnus; c'est la toute-science: telle est une espèce de philosophie.

Il en est une autre, plus modeste et plus sage, qui, au lieu de porter ses vues si haut et d'aspirer à l'universalité, n'a pour but que de reconnaître la nature

et la destinée de l'homme. A l'exemple de toutes les vraies sciences, qui limitent leur domaine, et n'embrassent chacune que certains êtres et certains faits, elle se borne à la question de l'humanité, qu'elle trouve encore assez grande, assez complexe, et assez difficile à résoudre.

Entre ces deux philosophies, le choix de M. Ancillon ne pouvait être douteux : ami prudent du vrai, il devait craindre de s'engager dans un système ontologique un système ontologique est un voyage autour du monde; il faut de la force et de l'audace pour le tenter; s'il a quelque chose de séduisant pour l'ardente curiosité de la jeunesse, il n'a que des difficultés et des périls aux yeux de l'homme dont l'expérience a mûri la raison. Quand on est instruit par l'histoire des erreurs dans lesquelles sont tombés les anciens philosophes, quand on a été témoin de celles auxquelles ont été entraînés les philosophes contemporains, quand peut-être soi-même on s'est égaré sur les pas des uns ou des autres, et qu'enfin on reconnaît que le mal vient de l'ambition de tout voir, de tout expliquer, de tout comprendre, on est moins porté à ces vastes recherches, qui souvent ne mènent à rien, et l'on aime à borner sa vue pour être plus sûr de la reposer sur la réalité : c'est ce qu'a senti M. Ancillon; aussi l'objet de sa philosophie n'a-t-il rien de transcendental et d'ontologique; c'est de l'homme surtout qu'il s'occupe: connaître l'homme et appliquer cette connaissance aux grandes questions morales, politiques et littéraires, tel est le dessein général qui se montre dans ses Essais; et sa méthode répond à son but, elle est pleine de sagesse et de

mesure.

Convaincu qu'en philosophie, dès qu'on fait système, il faut être bien malheureux pour n'avoir pas un peu raison, ou bien heureux pour n'avoir jamais tort, il excelle à garder entre tous les partis la plus constante neutralité; mais cette neutralité n'est pas celle du sceptique indolent ou railleur, qui laisse aller la guerre ou s'en moque à plaisir, et, loin de la mêlée, se complaît en son repos, ou jouit du combat comme d'une occasion de rire; la sienne est judicieuse, active et utile; il ne l'emploie qu'à ménager des rapprochemens, à terminer des débats, et à fonder cette science conciliatrice qui recueille la vérité partout où elle la trouve, et la prend de quelque main qu'elle lui vienne. Quand on n'a pas cette impartialité d'esprit, et qu'on se préoccupe de quelque vue systématique, on saisit un point de vue ou un côté de la vérité à l'exclusion de tous les autres; on ne tient aucun compte de ceux qu'on ne saisit pas, ou l'on tâche de les ramener forcément à son point de vue favori : on se fait ainsi une fausse unité dont on se félicite, dont on s'engoue, et l'on finit par se perdre sans retour dans une théorie exclusive et incomplète. C'est donc à l'éclectisme qu'il faut recourir pour éviter toutes les erreurs qui tiennent à l'esprit de système : tel est le précepte que M. Ancillon donne dès la première page de son livre (inter utrumque tene), qu'il exprime en toute occasion, et qu'il suit lui-même avec la plus grande fidélité.

S'agit-il en effet de morale, il pense avec les stoïciens que l'homme est fait pour le bien; avec les épicuriens, qu'il est fait pour le bonheur; et comme il ne prend pas à la fois toute l'opinion des uns et des autres, mais seulement une partie, la partie rai

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