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qu'elle renferme, au sein du séjour céleste; nous n'y arriverons pas, comme le croit le sauvage, comme le croit le pauvre nègre, avec nos armes et nos parures, pour y chasser, y danser, y recommencer en réalité la vie que nous avons finie. Il y a de la vérité sous ces illusions, mais elles ne sont pas la vérité ; la vérité dont il s'agit ici se montre à nous de trop loin et dans une trop vague perspective, pour que nous croyions aux formes fantastiques sous lesquelles des esprits simples pensent la voir et la saisir. Tout ce que nous pouvons faire, c'est d'en démêler l'existence métaphysique et de comprendre qu'elle est, bien plutôt que ce qu'elle est.

Ajoutons qu'indépendamment de l'influence que l'extériorité exercera dans cet autre monde sur la condition des ames, elles-mêmes, sans doute, en vertu de leur intime activité, se trouveront modifiées, tout autrement qu'ici-bas, et que, tout en restant ce qu'elles doivent être pour être des forces morales, pour conserver leur identité, elles auront probablement d'autres manières de sentir, de penser, de vouloir et de faire, que celles qu'elles ont actuellement. Elles auront aussi entre elles des différences qui ne tiendront pas seulement aux diversités de positions dans lesquelles elles seront placées, mais à l'usage même qu'elles auront fait antérieurement de leurs facultés. Comme on ne se livre pas au bien sans devenir plus fort, sans le sentir et en jouir, celles qui, durant la vie terrestre se seront le plus exercées à la pratique de la vertu, celles-là, plus près du bien et du bonheur en même temps, plus près de leur vraie fin, seront plus forces que les autres, auront une action à la fois plus vive et plus aisée ; ce seront les saints et

les heureux; celles, au contraires, qui auront mal agi, affaiblies par le vice, seront forces d'un moindre degré, auront moins d'avance dans le bien, et par suite dans le bonheur; elles auront plus à faire et avec de plus de difficulté.

C'est la conséquence naturelle des choses, en même temps que c'est aussi une justice qui répond aux mérites et aux démérites.

La métaphysique comprend, nous venons de le voir, deux grandes questions, celle du monde et celle de l'homme. Elle en comprend une autre encore, celle du principe qui les a crées, la question religieuse proprement dite.

Pour peu qu'on sache quelque chose de ce qui a commencé à être, on sait quelque chose par là même de la cause qui l'a fait être; on sait ce qui en paraît dans l'effet qu'elle a produit ; on le lui rapporte à bon droit ; et à mesure qu'on connait mieux l'être qui a reçu l'existence, on conçoit mieux celui qui l'a donnée. En sorte que réellement toute nouvelle idée acquise sur l'un est une nouvelle idée acquise sur l'autre, et que la toute science du créé serait la toute science du créateur, non pas sans doute considéré dans les profondeurs de sa nature et les mystères de son essence, mais dans ses rapports avec son œuvre, dans l'action et les lois d'action, en vertu desquelles il a toutfait, tout ordonné et tout disposé.

C'est pourquoi, si nous supposons que les sciences physiques et morales, achevées dans toutes leurs branches forment d'abord, chacune à part, un seul système et une seule science, et qu'ensuite se rapprochant, de deux sciences, elles n'en fassent qu'une, celle de la création prise dans son tout, alors, sans

doute, la théodicée, qui n'est que la connaissance de Dieu, d'après celle de son ouvrage, offrirait un emsemble de conclusions positives.

Ces sciences n'en sont pas là, ni par conséquent la theodicée.

Cependant, remarquons que la création peut être toujours assez sentie, et sentie avec assez de vérité pour qu'en recueillant bien cette impression, on s'élève de cœur jusqu'à Dieu, qu'on en ait avec foi un sentiment excellent.

Remarquons ensuite que la création, dans l'état actuel des théories qui ont pour objet de l'expliquer, est même assez connue dans ses parties, assez comprise dans son ensemble, pour que les esprits éclairés puissent avoir mieux qu'un sentiment, et sans prétendre à une idée complète, aspirer à une idée satisfaisante.

Pour cela, voici peut être ce qu'ils auraient à faire: résumer les phénomènes généraux et les lois du monde physique, les phénomènes généraux et les lois du monde moral, en prendre du moins ce qui est connu, saisir ensuite les rapports qui lient ces deux ordres de choses, et de là conclure un premier principe, auteur de la nature, auteur de la société, auteur enfin de la création, et ayant tous les attributs qui lui conviennent à tous ces titres. On aurait ainsi les diverses preuves, les preuves physiques, les preuves morales, la preuve générale de l'existence de Dieu.

On le concevrait alors comme le principe qui a mis dans la matière l'action minérale, végétale, et animale, dans l'ame l'action intelligente, sensible et volontaire, et entre l'ame et la matière, une loi d'harmonie et d'action concertée. On le concevrait, par

conséquent, dans son rapport avec les corps, comme la force de laquelle vient toute attraction et toute répulsion, toute composition et toute décomposition, toute combinaison, tout mouvement, etc.; et dans son rapport avec les esprits, comme la force, qui a, puisqu'elle les donne, l'intelligence, l'amour et la liberté, mais les a comme elle doit les avoir, sans limites et sans défauts; on le concevrait enfin comme la force, qui a tout fait et se fait voir en toutes choses. Il faudrait à ces attributs joindre ceux qu'ils supposent nécessairement, tels que l'éternité, l'immensité, la toute-puissance, etc. Ainsi apparaîtrait au bout de toutes les sciences, et révélé par leurs recherches, ce majestueux inconnu qui se fait sentir à tout le monde obscurément, tant qu'il n'est pas dégagé à force d'étude et de philosophie.

Il n'est pas besoin d'avertir, en finissant, que nous portons à toutes ces questions un trop profond respect pour croire les avoir traitées dans le peu de mots qui viennent d'y être consacrés; nous les avons plutôt adorées et indiquées avec religion aux esprits qui les recherchent. Nous ne voulions que les montrer dans leu ordre et leur enchaînement. Comme historien nous n'avions pas autre chose à faire.

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ESSAI SUR L'HISTOIRE

DE

LA PHILOSOPHIE

EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE.

SUPPLÉMENT.

Je veux avant tout, dans ce Supplément, exprimer en quelques mots l'opinion, que j'ai aujourd'hui sur un ouvrage, qui n'est plus pour moi comme si je venais de le faire hier, et dont je puis parler avec d'autant plus d'impartialité, que je ne me sens guères à son égard aucune des faiblesses de l'amour paternel. Je ne le renie pas, mais je n'en suis pas fier ; je le vois, je crois, sans illusion.

Le premier défaut que j'y remarque c'est d'avoir été composé pièces à pièces, et dans un ordre de succession qui a tenu de l'occasion beaucoup plus que de la logique. En effet, lorsque je débutai, je ne songeais à faire un livre, je ne faisais que des articles, et à mesure que j'avançais, je n'ajoutais pas en les liant un chapitre à un autre, mais un article à un autre article, commençant souvent par la fin, continuant par le commencement, finissant par le mi

pas

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