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CONCLUSION.

PREMIÈRE PARTIE.

DE LA MÉTHODE PHILOSOPHIQUE.

La seule manière de faire de la philosophie est la méthode d'observation : c'est aujourd'hui l'opinion la plus générale dans le monde savant. Cependant nous concevons une opinion différente, et non seulement nous la concevons, mais nous la trouvons chez des hommes qui, par le savoir et leur esprit lui donnent le droit d'être discutée.

Eux, ils pensent qu'il n'y a de philosophie que par la révélation; et comme il n'y a de révélation que par l'histoire, leur méthode se réduit à l'érudition historique appliquée à la recherche de la révélation.

Leur motif pour adopter ce sentiment est la croyance où ils sont que la vérité en toute chose, mais surtout en philosophie, ne saurait se présenter nulle part plus pure, plus simple, et pour ainsi dire, plus vraie, que dans l'idée primitive qui en a été révélée à la raison humaine.

Ainsi, qu'est-ce que la révélation comme principe de philosophie? qu'est-ce que l'histoire comme expression et témoignage de révélation? Voilà les questions que nous avons à examiner pour apprécier convenablement l'opinion opposée à la nôtre.

Mais d'abord y a-t-il eu révélation?

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A voir comment l'esprit procède, toutes les fois que, surpris par la manifestation prompte et facile d'une vérité, il se laisse faire son idée, et se livre dans toute la simplicité de sa conscience à l'impression de l'objet qui s'offre à lui, on peut concevoir comment, à l'origine du monde, dans cette primitive nouveauté des choses qui prêtait tant à voir, les intelligences vives et neuves, soudain frappées d'évidence, se trouvèrent éclairées comme par miracle, et se sentirent une science dont elles n'avaient pas le secret. Elles étaient, comme il nous arrive encore quelquefois d'être nous-mêmes, lorsque nous nous trouvons en état de simple perception. Vienne soudain une vérité nouvelle qui, grande, simple, vive à l'instant dévoilée, nous jette d'abord en admiration, aussitôt, intelligens comme par magie, nous la saisissons, nous la sentons merveilleusement; nous redevenons en sa présence simples d'esprit, inspirés et poètes; nos idées tiennent de l'enchantement; elles sont une véritable révélation en effet, qui nous les donne, quelle puissance les suscite en notre ame et à notre insu, qui nous les fait, si ce n'est Dieu; le Dieu de vérité et de lumière, le principe et la cause de l'intelligibilité de l'univers (qu'on nous passe l'expression), qui, prêtant aux êtres et à leurs rapports une singulière propriété de s'expliquer et de se montrer, est le maître invisible qui nous fait la leçon avec mystère, et nous instruit sans qu'il y paraisse? Il en est surtout ainsi quand, aux prises avec les événemens, nous éprouvons quelque grande et prompte nécessité d'être éclairés subitement : par exemple, n'est-il pas vraisemblable que, dans l'effervescence

de notre révolution, au milieu des périls imminens de la liberté et de la patrie, le génie de quelque homme politique ou militaire, à défaut de réflexions que le temps ne permettait pas, ait eu ses révélations, ses vues soudaines, et nous ait valu plus d'un droit, plus d'une victoire, grâce à l'inspiration de la tribune ou du champ de bataille? A toutes les époques critiques des sociétés il en a été de même ; à toutes il s'est fait de ces grands mouvemens d'idées dont rien ne rend raison, si ce n'est la force des choses, ou, pour mieux dire, la puissance de la vérité, qui se découvre d'elle-même, et tombe vive et nue dans les intelligences qu'elle éclaire. A ce compte, il est peu de siècles qui n'aient eu leur révélation: car les temps ne vont pas sans ces changemens extraordinaires et ces fatalités inattendues qui illuminent l'ame humaine, et lui donnent de merveilleuses intuitions. L'histoire l'atteste en mille endroits : mais c'est particulièrement au premier âge du monde qu'a dû se déployer plus naïve et plus pleine cette faculté de simple vue, cette intelligence d'un seul jet, dont l'homme dans sa nudité native avait un si pressant besoin. Il a dû y avoir pour lui un coup de lumière et comme un fiat lux de la pensée, qui lui donnât tout d'abord une sorte de science intuitive, capable de suppléer l'expérience par l'instinct, et la raison

par le sentiment. Autrement la société, sans idées, sans ces idées vitales qui étaient nécessaires à sa conservation et à son bon état, n'eût pu que se dépraver et périr. Née d'hier, ignorant tout, sans tradition ni sagesse acquise, que fût-elle devenue dans son dénûment, si elle eût été forcée de se composer ellemême un système de philosophie approprié à l'ur

gence de sa situation. La première loi de son existence était d'avoir immédiatement des principes positifs d'action; il était de la sagesse divine de les lui donner en la constituant, de les lui donner par grâce prompte et spéciale. C'est pourquoi le rôle de révélateur a dû succéder pour Dieu à celui de créateur; il a produit, et puis il a instruit, Non qu'à cet effet il ait pris vi¬ sage et corps, et ait affecté telle ou telle forme : tout ce qui s'est dit de semblable sur cette matière est, à notre sens, figure sainte et poésie; il n'a point eu voix et langage, il n'a enseigné que sous voile, et n'a révélé que par symbole : c'est comme père des lumières, comme auteur de tout ce qui est et paraît, que, se manifestant par toutes les puissances de la nature et tous les phénomènes de l'univers, il s'est fait sentir aux ames et les a inspirées : ainsi s'est passée la révé→ lation, ainsi du moins l'entendons-nous.

Maintenant il faut savoir quel est le caractère des idées venues par révélation. Ce qui semble d'abord, c'est qu'elles sont essentiellement vraies, du moins tant qu'il ne s'y mêle aucunes interprétations ou aucunes analyses qui les altèrent et les faussent; elles sont vraies, parce qu'elles sont la pure et simple expression des réalités qui les font naître. Mais en même temps ces idées, qu'aucune réflexion ne contient, laissées à elles-mêmes et comme abandonnées, s'é→ tendent et s'élargissent à l'image des choses qu'elles représentent; elles deviennent grandes et vastes comme le monde : elles seraient comme l'infini, si l'infini se montrait; ainsi vont-elles, ne s'arrêtant ni ne se limitant, courant à tout, embrassant tout, tant qu'enfin elles tombent dans le vague et prennent une extension démesurée. Ce qui fait leur beauté fait aussi

leur défaut : cet heureux laisser-aller, ce naturel parfait qui leur donne tant de facilité pour se développer avec grandeur et simplicité, les expose par suite à avoir quelque chose d'infini, de gigantesque et d'obscur, qui empêche qu'on les comprenne bien. Ce ne sont pas des connaissances, quoiqu'elles aient de la vérité au fond : c'est plutôt de la poésie; elles en ont tout le caractère.

Telles sont ces idées. Ajoutons qu'à peine il vient s'y mêler une demi-réflexion, qu'aussitôt naissent en foule ces superstitions et ces hypothèses qu'on retrouve à l'origine de toutes les sociétés, superstitions pour le peuple, hypothèses pour les philosophes. Le peuple, en effet, qui sort de l'âge de la pure inspiration et débute au raisonnement, trop jeune encore et trop pressé pour raisonner de sens rassis, se précipite aux questions, les résout à la hâte, et achève par l'imagination ce qu'il a commencé par l'analyse. De là ses croyances partie vraies, partie fausses, démontrées en certains points et mystérieuses en d'autres ; de là ce quelque chose de vrai que recèlent toujours ses opinions les plus étranges et ses plus bizarres préjugés. Pour les philosophes des mêmes époques, même sort à peu près les attend; leurs hypothèses ne sont guère que des superstitions mieux entendues; ils ont dans l'esprit plus de sagacité et de puissance, ils sont plus penseurs, mais ils ne peuvent pas devancer les temps, et jouir, en un siècle tout de verve et d'intuition du génie patient et sûr des âges réfléchis; ils systématisent donc, ils systématisent largement; ils embrassent tout dans leurs explications, Dieu, l'homme et la nature ; ils ne vont à rien moins qu'à comprendre l'univers tout entier. Mais, dans cet excès de génie,

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