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L'ame et la vie sont en présence; à tout moment elles se rencontrent, agissent et réagissent l'une sur l'autre; des impulsions, ou, pour mieux dire, des impres– sions en résultent, qui, selon le sujet qu'elles affectent, ont le caractère soit de la sensation et de l'idée, soit de l'excitation et de l'animation; c'est ainsi qu'il arrive à l'ame de faire vivre la vie même, et à la vie de faire penser le principe même de la pensée; c'est ainsi qu'on voit l'ame se comporter, à l'égard de la vie, presque comme les stimulus physiques, comme l'air et les alimens, et concourir de cette manière à l'entretien et à l'exercice des fonctions organiques comme on peut voir la puissance vitale soutenir et aviver le développement intellectuel telles sont les relations qui paraissent les plus vraisemblables entre l'ame et le corps, entre l'esprit et la matière.

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Quant à l'hypothèse qui prête à l'organisation la propriété de produire le moral et ses diverses facultés, il y a d'abord à y opposer plusieurs raisons métaphysiques, celle-ci, par exemple: si c'est le cerveau qui sent, il faut que ce soit en quelque partie, car il est composé; il faut qu'il sente en A les impressions de la vie, et en B celles de l'ouïe, ou de tel autre des cinq sens. Or, quelque rapprochés que soient ces deux points, ils sont distincts, ce sont deux points. Comment concilier cette dualité avec l'unité de l'être sentant qui réunit en lui avec la plus parfaite simplicité les impressions de toute espèce?

Mais il y a des raisons tirées de l'expérience physiologique, qui suffisent pour faire douter que le cerveau, qui, au jugement de psychologie, n'est pas le producteur du sentiment, en soit même la condition unique

et nécessaire : voici quelques résultats qui paraissent confirmer ce doute:

1° La sensibilité des membres n'est pas toujours dans un état correspondant à celui du cerveau; dans l'hémiplégie, par exemple, quand le cerveau est encore malade, et les parties supérieures et intermé– diaires toujours paralysées, les parties inférieures peuvent reprendre leur sensibilité progressivement de bas en haut. Les faits de ce genre, sérieusement médités, font soupçonner que la théorie qui rapporte au cerveau le sentiment des parties d'une manière absolue n'est nullement exacte; car, dans cette théorie, à mesure que le cerveau se dégage, les parties supérieures, qui sont plus rapprochées de son influence, devraient reprendre leur sensibilité plus tôt et plus aisément que les parties inférieures, qui sont plus éloignées.

il

S'il n'y avait qu'un seul foyer d'action nerveuse, devrait en être ainsi; mais s'il y en avait plusieurs, si du moins ce foyer n'était pas circonscrit dans le cerveau, s'il s'étendait à la moelle épinière tout entière, s'il était divisé en autant de départemens secondaires qu'il y a de différentes origines de nerfs et de portions de moelles nerveuses correspondant à cette origine; si ces départemens unis par leur organisation, leur continuité et leurs analogies de fonctions et de vitalité, se prêtaient mutuellement des forces, on pourrait mieux expliquer le singulier phénomène dont il s'agit on pourrait jeter ainsi le plus grand jour sur les paralysies partielles, qui sont inexplicables avec un seul centre circonscrit d'action nerveuse.

2o Des classes entières d'animaux, tels que les zoophytes, n'ont point de cerveau, et cependant elles

ont des sensations; il faut donc que ce soit d'autres appareils que le cerveau qui servent à la sensibilité et aux autres fonctions de la vie en outre, dans les animaux des premières classes qui commencent à avoir du cerveau, cet organe a si peu d'importance sous le rapport anatomique et physiologique, qu'on ne saurait le concevoir alors comme le siége absolu des sensations: ce n'est qu'un ganglion comme un autre, souvent même moindre qu'un autre, et qui n'a que sa part et une part assez mince dans le service général auquel il concourt.

3° On a des exemples où le tronc a pu être séparé du cerveau, où la moelle épinière a été divisée complètement, et cependant on a reconnu dans ce trouc ou dans la partie tranchée de la moelle des signes de sentiment qui survivaient à la section: c'est bien autre chose encore quand, comme dans certaines espèces, les parties peuvent être disjointes et continuer de vivre en cet état, et offrir le phénomène de la sensation.

4° Il arrive aussi que le cerveau est altéré en certain cas, quelques-uns même disent détruit, sans que pour cela la sensation cesse de se produire, surtout si l'altération ou la destruction se sont faites peu à peu et lentement.

5° L'idée de faire du cerveau l'organe unique de la sensation est peut-être venue de ce qu'on l'a pris pour le centre générateur du système nerveux: or, c'est là une hypothèse qui perd tous les jours de sa probabilité auprès des meilleurs observateurs.

Mais non seulement le cerveau n'est pas le centre unique et absolu de la faculté de sentir, les nerfs euxmêmes ne sont pas les seuls agens de cette faculté : ce qui le prouve, c'est que :

1o Les nerfs présentent partout à peu près les mêmes apparences organiques et vitales, et que les sensations auxquelles ils contribuent ont la plus grande variété, et l'ont sans doute par suite de la diversité des tissus et des appareils qui modifient, par cette raison, l'uniforme action des nerfs;

2o C'est qu'il y a dans l'homme, comme dans beaucoup d'espèces, des parties qui sont sensibles sans avoir de nerfs, ou qui le sont moins que d'autres, quoique avec beaucoup de nerfs, ou qui, sans rien perdre ni rien gagner en fait de nerfs, perdent ou gagnent en sentiment: mais bien plus, des animaux manquant de nerfs n'en ont pas moins quelque degré de vie et de sentiment.

D'après ces raisons et celles qu'on pourrait y joindre, il est assez clair que l'organisation, dans son rapport avec le moral, n'y joue pas le rôle que l'on suppose, et ne le joue pas comme on le suppose.

Nous terminerons ces exposés par le résumé de l'opinion de l'auteur, que nous empruntons textuellement à un chapitre de son livre :

« L'ame est une, indivisible, non matérielle. Unie au corps, elle ne peut se prêter à cette union que comme ame, et non d'après la loi qui unit le corps au corps. Elle ne peut pas être juxtaposée, interposée, intercalée aux organes; elle y est présente, elle y sent, leur prête et en reçoit de l'activité. Elle est liée, dans son exercice, à certaines conditions physiologiques et vitales, sans lesquelles elle ne pourrait bien déployer ses facultés, mais elle ne leur doit pas ses facultés : c'est une force en harmonie, en synergie, avec d'autres forces, qui elles-mêmes ont dans l'organisme leurs fonctions et leurs propriétés. »

Nous ne reprendrons pas, pour les discuter, les différens points de l'analyse que nous venons d'offrir à nos lecteurs nous n'aurions qu'à adhérer à ceux qui sont de pure psychologie, et pour ceux qui appartiennent à la physiologie, nous en serions mauvais juge. Nous les admettons, parce qu'il nous semblent philosophiques et rationels; mais cependant, comme ils supposent la connaissance de faits qui ne nous sont pas familiers, nous nous abstenons de prononcer, nous bornant à exposer, afin que chacun voie et conclue selon ses lumières : nous ajoutons seulement que, pour notre compte, et jusqu'à concurrence de meilleures raisons, nous préférons certainement l'explication que donne M. Bérard à celle que donnent les matérialistes; du moins s'accorde-t-elle beaucoup mieux avec les vérités de conscience, et satisfait-elle mieux, par conséquent, aux conditions de la psychologie.

Nous avons déjà eu l'occasion, en parlant de Cabanis, de dire un mot sur l'espèce d'exigence d'esprit et d'aigreur philosophique dont la discussion de M. Bérard n'est pas toujours exempte: il y a dans son ouvrage plus d'une trace de ce défaut. Pour peu qu'une opinion ne soit pas la sienne, il la traite avec une rigueur qui n'annonce pas cette sympathie et cette facilité d'intelligence qu'on aime à voir aux philosophes; il en devient parfois étroit et tracassier: il fait la guerre pour un rien, et argumente pour une nuance; il semble qu'il lui faille à tous prix se mettre à part et se distinguer c'est une prétention excessive à être seul de son avis, qui peut même, en certains cas, nuire à l'étendue de ses idées.

Quant aux doctrines qui ne sont pas seulement en différence, mais en contradiction avec les siennes

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