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peuples nouveaux à la place des peuples anciens, ceux de l'avenir à la place de ceux du passé, les sociétés vigoureuses à la place des sociétés faibles et corrompues elle agit pour la civilisation; elle ne lui laisse jamais perdre de bataille définitive. Il serait difficile, en effet, que les idées les meilleures, une fois mises au monde, ne ralliassent pas à leur cause le plus grand nombre de consciences, et n'y eussent pas plus de force que les opinions déchues. L'enthousiasme est pour elles, parce qu'elles sont neuves et vivantes; et l'enthousiasme donne le nombre, l'intelligence et la puissance; il est le père des succès; tandis qu'à une foi qui est vieillie il ne reste tout au plus qu'un fanatisme malheureux et une fureur impuissante, incassum furit. Voilà par où la guerre se rachète un peu des maux dont elle afflige l'humanité. Il faut bien qu'elle ait ce prix pour n'être pas un jeu cruel auquel un Dieu sans raison, sans pitié, livrerait les hommes par plaisir.

Quelles que soient, au reste, les voies diverses par lesquelles les idées qui arrivent à l'empire se répandent sur la terre, elles ont toujours nécessairement des représentans et des organes : ce sont les grands hommes; ils ne manquent jamais à une époque vive et notable de l'esprit humain. En effet, il est impossible qu'en un temps où toutes les pensées, saisies de certaines vues et animées de certaines volontés, tendent en commun avec ardeur vers un but qui leur est cher, elles ne poussent pas en avant des chefs qui les conduisent. Il se trouve nécessairement alors des ames excellentes qui, sentant comme tout le monde, mais avec plus d'élévation, se mettent, du droit du génie, à la tête du mouvement, agissent et traitent au

nom de tous, sont les vrais princes de la société. Ces hommes servent à donner à la foule les directions qu'elle demande, mais qu'elle ne saurait se tracer; ils lui organisent sa destinée, ils lui font son avenir. Les idées leur doivent beaucoup; ils les résument en leur personne, les soutiennent de leur intelligence, les appuient de leur puissance, qui est celle même des populations qui se pressent sur leurs pas. Sans eux ces idées seraient encore, comme elles sont dans la foule, vagues, confuses, anonymes; ils les dégagent, les systématisent, leur donnent nom, et se chargent de leur fortune; ils portent le drapeau sous lequel elles triomphent.

Tels sont, mais à peine indiqués, les principaux points que M. Cousin a développés dans son enseignement. Ce sont ses prolégomènes aux leçons qu'il consacrera par suite à l'histoire de la philosophie.

Il y a joint en finissant un jugement sur les écrivains qui se sont occupés de cette histoire. Il a d'abord parlé de ceux qui ne l'ont faite que d'une manière indirecte, en regardant plutôt l'humanité que la philosophie elle-même : ainsi Bossuet, Vico et Herder, Voltaire, Turgot et Condorcet. Il a ensuite passé à ceux qui en ont été les historiens exprès, Brucker, Tiedemann et Tenneman. Il s'est attaché à montrer la place nécessaire de chacun d'eux au temps dans lequel ils ont écrit, le caractère nécessaire de l'opinion d'après laquelle ils ont écrit. Enfin, il a essayé de déterminer quel devait être aujourd hui le point de vue directeur des travaux du même genre qui ne tarderaient pas à se renouveler, et il a conclu à l'éclectisme, attendu que l'éclectisme paraît maintenant le principe régnant ou prêt à régner, et que

c'est toujours dans le sens de la doctrine régnante que se fait l'histoire des doctrines passées.

On connaît trop notre sympathie pour le mouvement philosophique qu'avait produit, il y a quelques années, et qu'a produit de nouveau l'enseignement de M. Cousin, pour que nous ayons besoin de relever par des éloges l'exposition que nous venons de tracer. Notre profession de foi est faite : c'est celle d'une admiration mêlée de reconnaissance et d'amitié (1).

(1) A tous les titres que M. Cousin a déjà aux yeux des amis de la philosophie, nous devons ajouter les Nouveaux Fragmens philosophiques (Paris, 1828, 1 vol. in-8), qu'il vient de publier, au moment même où nous traçons ces mots. Ils sont, surtout, historiques et biographiques. Nous recommandons particulièrement à l'attention de nos lecteurs les morceaux sur Xenophane, Zénon et Eunape. (Deuxième édition.)

(Troisième édition). Je parle dans le Supplément des travaux de M. Cousin depuis 1828. Voir le Supplément.

M. TH. JOUFFROY,

Né en 1796.

M. Cousin devrait faire école; son ame n'est pas de celles qui ne laissent pas trace dans les intelligences. Tous ceux qui ont suivi avec quelque soin son enseignement peuvent se rendre le témoignage qu'ils en ont gardé quelque impression. Mais ce fut surtout à l'école normale, au sein de ces travaux assidus qui en remplissaient la retraite, que, plus rapproché des jeunes gens auxquels s'adressaient ses leçons, vivant presque avec eux, leur maître et leur ami, il put mieux les guider dans la direction de leurs études et exercer sur eux une influence plus efficace; ce fut là surtout qu'il eut des disciples. De ce nombre fut M. Jouffroy (1), qui bientôt, comme répétiteur, puis comme maître de conférences, partagea avec M. Cousin, l'enseignement de la philosophie, jusqu'au moment où fut détruite une institution qui méritait un autre prix de ses services. Alors il employa ses loisirs, soit à des cours particuliers,

(1) De ce nombre aussi fut M. Bautain, maintenant professeur de philosophie à la faculté de Strasbourg. Esprit d'une patience et d'une pénétration remarquables, d'une grande force logique, s'attachant à ses idées avec suite et persévérance, consciencieux et plein d'amour pour la vérité; nous n'aurions pas manqué de lui donner place dans cette revue, si nous avions mieux connu son système; mais il ne l'a guère fait connaître que par son enseignement. Il a beaucoup travaillé, peut-être un jour publiera-t-il : ce sera alors le moment de rendre compte de ce qu'il aura fait. (Voir le Supplément.)

auxquels se rassemblait une élite de jeunesse, heureuse de puiser, dans ses leçons, des idées à peu près sans organe, dans l'instruction publique; soit à des écrits détachés où il traita plusieurs points de la science avec une netteté de vues, une abondance de pensée, une simplicité d'expression spirituelle et originale qui les firent, à bon droit, remarquer et distinguer (1). Il s'occupa, en même temps, d'une traduction des Esquisses de philosophie morale, par Stewart, qu'il publia en 1826, précédée d'une préface sur laquelle s'arrêtera principalement notre

examen.

« On ne saurait trop recommander à ceux qui cul<< tivent la philosophie morale, l'étude et la médita«<tion d'un ouvrage qui, sous des formes très simples, «< cache souvent des vérités profondes, n'omet aucune «< vérité utile, contient une foule d'observations so«< lides et ingénieuses, et rend partout, hommage à la << raison et à la vertu. » Telles sont les expressions par lesquelles M. Cousin termine, dans ses Fragmens, un excellent article sur les Esquisses de philosophie morale, de Dugald Stewart; et ce jugement que précède et justifie une analyse développée, est d'une vérité qui ne sera contestée par personne. Un tel livre méritait donc d'être connu en France, et nous devons savoir gré à M. Jouffroy d'avoir contribué à le faire connaitre par la traduction qu'il en a donnée. Il est populaire en Angleterre, il l'est surtout en Écosse, où il fait presque toujours partie de ces petites bibliothèques de familles qu'on retrouve chez la plupart des

(1) Le Globe a recueilli la plupart de ces morceaux; ils y ont paru sous les initiales T. J. - Ils ont paru depuis dans les Mélanges.

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