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102.

Ne vivre que de son travail, et régner sur le plus puissant État du monde, sont choses très-opposées. Elles sont unies dans la personne du Grand Seigneur des Turcs 2.

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103.

Les vrais chrétiens' obéissent aux folies néanmoins, non pas qu'ils respectent les folies; mais l'ordre de Dieu, qui pour la punition des hommes, les a asservis à ces folies. Omnis creatura subjecta est vanitati. Liberabitur.

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Ainsi saint Thomas explique le lieu de saint Jacques sur la préférence des riches, que, s'ils ne le font dans la vue de Dieu, ils sortent de l'ordre de la religion'.

104.

Abraham ne prit rien pour lui, mais seulement pour ses serviteurs; ainsi le juste ne prend rien pour soi du monde, ni des applaudissements du monde; mais seulement pour ses passions, des

1 « Ne vivre.» 79. En titre, Inconstance et bizarrerie. Inconstance veut dire ici inconsistance, incohérence, désaccord.

2 « Des Turcs. » Je ne sais où Pascal a pris cette tradition: si elle est dans Montaigne, je ne me le rappelle pas. Rousseau la rappelle et la commente dans l'Emile, vers la fin du livre III. Mais déjà en 4560, Guillaume Postel, dans son livre de la République des Turcs, troisième partie, avertissait ses lecteurs de n'en rien croire: « Et n'est pas ainsi que disent quelques-uns, qu'il laboure, puis envoie >> une poire ou autre fruit à un baschia, et lui mande qu'il lui donne mille écus : ce » sont folies, etc. »

3 « Les vrais chrétiens. » 81. Voir v, 7, second fragment. Ces folies ce sont les lois du monde, les pouvoirs et les rangs établis parmi les hommes.

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4 « Omnis creatura. » Rom., vIII, 20: « La créature est asservie à la vanité [c'est-à-dire à l'illusion, au néant, aux déceptions du monde], non par sa vo>> lonté, mais par celle de celui qui l'a assujettie à ce joug, en lui donnant l'espé>>rance. Car la créature sera délivrée un jour de l'esclavage de la corruption. >> 5 « Saint Thomas. » Dans son Commentaire sur l'Epitre de saint Jacques. 6 « De la religion. » Jac., 11, 4 : « Mes frères, ne faites point acception de per>> sonnes, vous qui avez la foi de la gloire de N. S. J.-C. Car s'il entre dans votre > assemblée un homme avec un anneau d'or et une robe blanche, et qu'il y entre » aussi un pauvre avec un méchant habit, si vous ne faites attention qu'à celui qui » est richement vêtu, et que vous lui disiez : Toi, prends ici ce siége d'honneur, >> tandis que vous dites au pauvre : Toi, reste là debout, ou assieds-toi au-dessous » de mon marchepied; vous faites donc entre eux une distinction, et vous suivez » des pensées contraires à la justice. » Saint Thomas et Pascal n'osent prendre ce passage à la lettre, et supposent que l'apôtre ne défend pas réellement d'accorder au riche ces préférences honorifiques, mais qu'il veut qu'on ne le fasse que dans la vue de Dieu, et non suivant des pensées mondaines.

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quelles il se sert comme maître, en disant à l'une, Va1, et [à l'autre], Viens. Sub te erit2 appetitus tuus. Les passions ainsi dominées sont vertus. L'avarice, la jalousie, la colère, Dieu même [se] les attribue'; et ce sont aussi bien vertus que la clémence, la pitié, la constance, qui sont aussi des passions. Il faut s'en servir comme d'esclaves, et leur laissant leur aliment, empêcher que l'âme n'y en prenne; car quand les passions sont les maîtresses, elles sont vices, et alors elles donnent à l'âme de leur aliment, et l'âme s'en nourrit et s'en empoisonne *.

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On ne s'éloigne [de Dieu] qu'en s'éloignant de la charité. Nos prières et nos vertus sont abomination devant Dieu, si elles ne sont les prières et les vertus de JÉSUS-CHRIST. Et nos péchés ne seront jamais l'objet de la miséricorde, mais de la justice de Dieu, s'ils ne sont ceux de JÉSUS-CHRIST. Il a adopté nos péchés, et nous a admis à son alliance; car les vertus lui sont propres, et les péchés étrangers; et les vertus nous sont étrangères, et nos péchés nous sont propres.

Changeons la règle que nous avons prise jusqu'ici pour juger de ce qui est bon. Nous en avions pour règle notre volonté, prenons maintenant la volonté de Dieu tout ce qu'il veut nous est bon et juste, tout ce qu'il ne veut pas nous est mauvais ?

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Tout ce que Dieu ne veut pas est défendu. Les péchés sont dé

« A l'une, Va. » Comme le centurion de l'Evangile à ses soldats: Et dico huic, Vade, et vadit, et alii, Veni, et venit. Matth., VII, 9.

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« Sub te erit. Gen., IV, 7 : « Tu tiendras sous toi tes désirs. >>

3 << Attribue. » Pour la jalousie et la colère, voir XVI, 12. Quant à l'avarice, voir dans Matthieu, xxv, la parabole des talents d'argent.

4 « Et s'en empoisonne. » Quand Pascal écrivait les Provinciales, il ne pouvait empêcher que son amour-propre ne jouît des applaudissements du monde. Il sentait encore d'autres passions flattées en lui, comme la colère et l'amour de la vengeance. Que faire à cela? Laisser à ces passions leur aliment et la force qu'elles en tirent, pour tourner cette force au profit de l'œuvre qu'il prétendait accomplir, la défense de la grâce de Jésus-Christ. Car la passion donne une grande puissance. Mais en même temps, s'efforcer de dominer ces sentiments, au lieu d'en être dominé, et conserver la charité au fond de son âme. Voilà ce que je crois apercevoir dans ce fragment curieux et subtil. Mlle de Scudéri écrivait de d'Andilly (dans un portrait cité par M. Sainte-Beuve, t. II, p. 260): « Il se sert même de la » colère pour défendre la justice, quand il ne le peut faire autrement. »

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5 « On ne s'éloigne. » 97.-— La charité, c'est toujours, dans le sens théologique du mot, l'amour de Dieu dans le Christ.

fendus par la déclaration générale que Dieu a faite qu'il ne les voulait pas. Les autres choses qu'il a laissées sans défense générale, et qu'on appelle par cette raison permises, ne sont pas néanmoins toujours permises. Car quand Dieu en éloigne quelqu'une de nous, et que par l'événement, qui est une manifestation de la volonté de Dieu, il paraît que Dieu ne veut pas que nous ayons une chose, cela nous est défendu alors comme le péché, puisque la volonté de Dieu est que nous n'ayons non plus l'un que l'autre. Il y a cette différence seule entre ces deux choses, qu'il est sûr que Dieu ne voudra jamais le péché, au lieu qu'il ne l'est pas qu'il ne voudra jamais l'autre. Mais tandis que Dieu ne la veut pas, nous la devons regarder comme péché; tandis que l'absence de la volonté de Dieu, qui est seule toute la bonté et toute la justice, la rend injuste et mauvaise1.

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106.

« Je m'en suis réservé sept mille. » J'aime les adorateurs inconnus au monde, et aux prophètes mêmes.

107.

Les hommes n'ayant pas accoutumé de former le mérite, mais seulement le récompenser où ils le trouvent formé, jugent de Dieu par eux-mêmes.

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108.

... J'aurais bien pris ce discours d'ordre comme celui-ci pour montrer la vanité de toutes sortes de conditions, montrer la vanité des vies communes, et puis la vanité des vies philosophiques (pyr

« Et mauvaise. » Cette chose que Dieu ne veut pas, serait-ce le succès du jansénisme dans le monde, la fortune de Port Royal? Il semble que l'ardent sectaire par ces paroles gourmande l'impatience de son parti, qui ne peut plus se contenir. Mais au lieu de dire avec Pascal, que le péché n'est péché que parce que Dieu le défend, ne vaut-il pas mieux croire que Dieu ne le défend que parce qu'il est péché ?

2 << Je m'en suis. » 439. « Je me suis réservé sept mille hommes dans Israël, » qui n'ont point fléchi le genou devant Baal. » C'est la réponse que Dieu fait aux plaintes du prophète Elie dans l'épître aux Romains, XI, 4, où saint Paul altère et détourne le texte d'un passage du troisième livre des Rois, XIX, 18. C'est là pour Pascal une figure de la petite église janséniste persécutée et fidèle.

3 « Les hommes. » 90. Pascal tâche de s'expliquer pourquoi les hommes en général répugnent si fort à la doctrine de la grâce nécessitante et toute gratuite.

« J'aurais bien pris. » Copie. En titre, Ordre. Il semble qu'il faille construire, J'aurais pris d'ordre, comme on dirait bien, J'aurais pris de biais. J'aurais pu prendre ce discours d'après un ordre, suivant un ordre tel que celui-ci.

rhoniennes, stoïques 1); mais l'ordre ne serait pas gardé2. Je sais un peu ce que c'est, et combien peu de gens l'entendent. Nulle science humaine ne le peut garder'. Saint Thomas ne l'a pas gardé. La mathématique le garde, mais elle est inutile en sa profondeur. 109.

Ordre par dialogues. Que dois-je faire? Je ne vois partout qu'obscurités. Croirai-je que je ne suis rien? croirai-je que je suis dieu ?

Toutes choses changent et se succèdent. il y a...

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Vous vous trompez,

Pyrrhoniennes, stoïques. » C'est la grande division des philosophies: voir l'Entretien avec Saci sur Epictète et Montaigne.

2 « Pas gardé. » Pourquoi? La suite du raisonnement serait alors celle-ci : La vie du commun des hommes n'est que vanité; la philosophie, soit pyrrhonienne, soit stoïque, n'est aussi que vanité; donc ce qui est de l'homme n'est que vanité; donc, si on veut quelque chose de solide, il faut chercher ailleurs, c'est-à-dire en Dieu. Où est le défaut de ce plan? C'est que pour comprendre les efforts des philosophes, et entendre leurs systèmes, il faut déjà avoir recounu, d'une part le vide de l'homme, de l'autre son besoin de plénitude : c'est alors qu'on se rend compte, et du désespoir de ceux qui n'ont été frappés que de ce vide (les pyrrhoniens), et de l'orgueil de ceux (les stoïques) qui ont cru que l'homme pouvait trouver en soi-même de quoi le remplir. C'est alors aussi qu'au-dessus des uns et des autres, on voit avec admiration la religion alliant dans un Dieu homme l'infini néant et l'être infini. Voici donc quel sera le vrai ordre: Vanité de la vie humaine besoin que l'homme a de quelque chose de substantiel et de solide, c'est-à-dire d'un Dieu. Recherche de ce Dieu par la philosophie. Illusion des stoïques qui croient le trouver dans leur sagesse. Abattement des pyrrhoniens, qui renoncent à le trouver. Jésus-Christ, consolation et lumière. On lit en effet, page 29 du manuscrit, cet autre fragment: << Lettre pour porter à rechercher Dieu. Et puis le faire chercher chez les philo>>sophes, pyrrhoniens et dogmatistes, qui travaillent celui qui le recherchent. »

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3. Ne le peut garder. » Parce que dans la science humaine tout est si complexe et si mêlé, que pour entendre pleinement ce qui est au commencement, il faudrait déjà savoir ce qui viendra ensuite. Pascal, en se vantant d'avoir plus d'ordre que personne, n'espérait donc pas lui-même un ordre parfait.

« Pas gardé. » Il fallait peut-être en ce temps-là la phrase précédente pour faire passer la hardiesse de celle-ci. Mais les élèves d'Augustin, de Jansénius et de Saint-Cyran goûtaient peu la scholastique, même dans les livres de l'Ange de l'Ecole (voir Sainte-Beuve, t. II, pages 35, 96, 163.). Il n'y a en effet dans saint Thomas qu'un ordre extérieur et objectif, qui suppose la science toute faite, et qui l'impose à l'esprit arbitrairement; tandis que l'ordre intérieur et subjectif que Pascal demande est celui même que suit notre intelligence pour arriver à la vérité. Saint Thomas commence par la notion de Dieu, Pascal par la connaissance de soi-même. Mais à qui devait-il cet ordre, sinon à Descartes, qui savait si bien ce que c'est, que c'est lui qui l'a enseigné aux hommes de son temps?

5 « En sa profondeur. » Remarquons ces derniers mots. Les éléments de la science sont utiles, mais ces conclusions reculées où elle mène l'esprit par des voies si abstruses et si sûres paraissent ne l'être plus. L'analyse mathématique, pour servir aux applications, doit abandonner de sa rigueur.

« Ordre par. » 29. Il faut sans doute suppléer à la fin, Il y a quelque chose de permanent et d'immuable.

110.

... Une lettre', de la folie de la science humaine et de la philosophie. Cette lettre avant le divertissement.

111.

Dans la lettre 2, de l'Injustice, peut venir la plaisanterie des aînés qui ont tout. Mon ami, vous êtes né de ce côté de la montagne ; il est donc juste que votre aîné ait tout.

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112.

Il faut mettre au chapitre des Fondements ce qui est en celui des Figuratifs touchant la cause des Figures: pourquoi JÉSUS-CHRIST prophétisé en son premier avénement; pourquoi prophétisé obscurément en la manière 5.

113.

Nous implorons la miséricorde de Dieu, non afin qu'il nous laisse en paix dans nos vices, mais afin qu'il nous en délivre.

114.

Si Dieu nous donnait des maîtres de sa main, oh! qu'il leur faudrait obéir de bon cœur! La nécessité et les événements en sont infailliblement.

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115.

Eritis sicut dii, scientes bonum et malum. Tout le monde fait

1 « Une lettre. » 485. Sur le divertissement, voir tout l'article IV. Ce fragment, où Pascal paraît vouloir écrire sur la folie de la philosophie avant le divertissement, ne semble pas d'accord avec celui du paragraphe 408.

2 << Dans la lettre. » 25. A la fin de ce fragment, le manuscrit ajoute: « Pourquoi >> me tuez-vous?» Voir vi, 3.

3 « Il faut mettre. » 45. Il s'agit sans doute des fondements de l'interprétation des Écritures. Les Figuratifs sont les auteurs qui interprètent la Bible figurément. On lit encore page 45: « Parler contre les trop grands figuratifs. »>

4 « Avénement. » Cf. xv, 8.

5 « En la manière. » Voir xx, 7, cinquième fragment.

6 « Nous implorons. » 89. Il faut sous-entendre: Ne nous plaignons donc pas, nous avons à souffrir.

2 « Si Dieu. » 89.

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si

« Eritis. » 99. « Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. » Gen., III, 5. Ce sont les paroles par lesquelles le serpent tente la femme. Voir l'Augustinus, I, iv, 22.

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