Page images
PDF
EPUB

44. Celle du vide. Cette expression n'est pas claire; Mme Perier veut sans doute parler de la fameuse expérience du Puy-de-Dôme, exécutée par son mari en septembre 4648, d'après les instructions de Pascal, laquelle confirma et acheva d'établir la grande découverte de Torricelli.

Il faut remarquer qu'avant l'expérience du Puy-de-Dôme, Pascal, dans un écrit publié en 4647 (Expériences touchant le vide, etc.), admettait encore la proposition, que la nature abhorre le vide (Maxime 1), seulement il ajoutait (Max. 111) que la force de cette horreur est limitée. Voir dans ce volume la note 4 de la page 438.

42. Mme Perier s'est expliquée davantage sur cette occasion et sur ces écrits de piété, qui étaient des livres jansénistes, dans sa relation de la Vie de sa sœur.

43. « Libertin, qui fait profession de ne point s'assujettir aux lois de la religion, » soit pour la croyance, soit pour la pratique. En ce sens, qui a vieilli, il ne s'em>>ployait guère que substantivement. » Dictionnaire de l'Académie.

14. Il s'agit dans ce passage de Jacques Forton, dit frère Saint-Ange. Cette affaire est de 1647. M. Cousin l'a développée dans la Bibliothèque de l'École des chartes (novembre 1842). On ne peut partager ici les sentiments de Mme Perier. Quand on voit Pascal, fort jeune encore, sans titre et sans mission, employer les dénonciations et les contraintes contre des opinions, comment ne pas songer que luimême, plus tard, a vu ses croyances les plus chères persécutées, taxées d'hérésie, frappées par toutes les autorités de l'Église et de l'Etat, et ceux qui les soutenaient forcés de signer à leur tour des déclarations, et de recourir aussi à des équivoques dont on ne voulut pas se contenter? L'archevêque de Ronen dont il est parlé ici était François de Harlay, second du nom, oncle du célèbre archevêque de Paris. M. du Bellay, c'est M. de Belley, c'est-à-dire M. l'évêque de Belley (a). C'était le célèbre Camus, le disciple et l'ami de saint François de Sales. Il n'avait plus alors que le titre d'évêque, s'étant démis de son évêché dès 1629. Il avait reçu en échange l'abbaye d'Aunay.

[ocr errors]

15. Mme Perier, par discrétion, ne parle pas d'elle-même. Voici ce qu'on lit dans les mémoires de sa fille (Lettres, opuscules, etc., p. 436): « Elle avait tout ce qu'il fallait pour être agréablement dans le monde, car elle était belle et bien » faite, elle avait beaucoup d'esprit. Elle avait été élevée par mon grand-père, qui, » dès sa plus tendre jeunesse, avait pris plaisir à lui apprendre les mathématiques, » la physique et l'histoire... Elle quitta le monde, et tous les agréments qu'elle >> pouvait y avoir, à l'âge de vingt-six ans, et a toujours vécu dans cette sépa»ration jusqu'à sa mort. »

46. Les mémoires de Marguerite Perier ajoutent quelques détails à ceux que donne ici sa mère sur la vie mondaine de Pascal. (Lettres, opuscules, etc., p. 452.) Elle marque que la maladie fort extraordinaire de son oncle commença pendant que son grand-père était encore à Rouen, c'est-à-dire avant le mois de mai 1648 (ibid., p. 64); que le malade fut forcé par son état de se donner quelque plaisir et quelque divertissement. Dans le commencement, cela était modéré, mais insen»siblement le goût en revint; il se mit dans le monde, sans vice néanmoins ni dé» réglement, mais dans l'inutilité, le plaisir et l'amusement. Mon grand-père >> mourut [en septembre 1651] ; il continua à se mettre dans le monde, avec même plus de facilité, étant maître de son bien; et alors, après s'y être un peu enfoncé, il prit la résolution de suivre le train commun du monde, c'est-à-dire de » prendre une charge et de se marier. » C'est à la fin de 1654 qu'il rompit avec le monde; il y était donc demeuré environ six ans.

[ocr errors]
[ocr errors]

Au mois de mai 4649, Pascal alla en Auvergne avec son père; ils y demeurèrent jusqu'au mois de novembre 1650. (Lettres, opuscules, etc., p. 66, 74.) C'est à cette date qu'il faut rapporter l'anecdote conservée dans les mémoires de Fléchier: « Cette demoiselle [il s'agit d'une demoiselle qui était la Sapho du pays] était aimée

(a) Dans la table du Dictionnaire de Bayle, on lit aussi l'évêque du Bellay, pour de Belley.

par tout ce qu'il y avait de beaux esprits... M. Pascal, qui s'est depuis acquis >> tant de réputation, et un autre savant, étaient continuellement auprès de cette >> belle savante. » Voir M. Cousin, Des Pensées de Pascal, p. 449 (a).

Je pense que c'est après la mort de son père, quand il se livra au monde avec plus de facilité et s'y enfonça, que Pascal connut certains beaux esprits libertins, tels que le chevalier de Méré et Miton. C'est aussi sans doute à cette époque qu'il écrivit le Discours sur les passions de l'amour.

C'est encore ici qu'il faut nommer pour la première fois le jeune duc de Roannez, avec qui il se lia dans le monde, et qu'il entraîna ensuite dans sa conversion. « Il >> avait un très-bon esprit, mais point d'étude. Il fit connaissance, je ne sais pas » bien à quel âge, avec M. Pascal, qui était son voisin. Il goùta fort son esprit, » et le mena même une ou deux fois en Poitou avec lui [il était gouverneur du » Poitou], ne pouvant se passer de le voir. » Manuscrits de Marguerite Perier. M. Sainte-Beuve a fait remarquer que le chevalier de Méré, qui était du Poitou comme le duc de Roannez, avait dû connaitre Pascal par lui; et M. François Collet, dans un écrit intitulé: Fait inédit de la vie de Pascal, est arrivé, en suivant cette conjecture, à un résultat très-imprévu et très-piquant.

On lit dans les œuvres du chevalier de Méré ce curieux passage: « Je fis un voyage >> avec le D. D. R., qui parle d'un sens profond, et que je trouve de fort bon com» merce. M. M., que vous connaissez, et qui plaît à toute la cour, était de la >> partie; et parce que c'était plutôt une promenade qu'un voyage, nous ne songions » qu'à nous réjouir et nous discourions de tout. L. D. D. R. a l'esprit mathéma»tique, et, pour ne se pas ennuyer sur le chemin, il avait fait provision d'un >> homme entre deux âges, qui n'était alors que fort peu connu, mais qui depuis a >> bien fait parler de lui. C'était un grand mathématicien, qui ne savait que cela. >> Ces sciences ne donnent pas les agréments du monde, et cet homme, qui n'avait >> ni goût ni sentiment, ne laissait pas de se mêler en tout ce que nous disions, >> mais il nous surprenait presque toujours et nous faisait souvent rire. Il admirait l'esprit et l'éloquence de M. Du Vair, et nous rapportait les bons mots du lieute>> nant criminel d'O... Nous ne pensions à rien moins qu'à le désabuser; cependant >> nous lui parlions de bonne foi. Deux ou trois jours s'étant écoulés de la sorte, il » cut quelque défiance de ses sentiments, et, ne faisant plus qu'écouter ou qu'inter>> roger pour s'éclaircir sur les sujets qui se présentaient, il avait des tablettes qu'il >> tirait de temps en temps, où il mettait quelques observations. Cela fut bien re» marquable, qu'avant que nous fussions arrivés à P., il ne disait presque rien >> qui ne fût bon, et que nous n'eussions voulu dire, et, sans mentir, c'était être re>> venu de bien loin et... depuis ce voyage, il ne songea plus aux mathématiques, qui l'avaient toujours occupé, et ce fut là comme son abjuration. » Traité de l'esprit (publié en 1677).

»

M. Collet établit, par des raisons qui nous semblent excellentes, que L. D. D. R. est le duc de Roannez, que M. est Miton, que P. est Poitiers; et que ce grand mathématicien, encore écolier en fait de goût, mais qui devient si vite un maître, cet homme peu connu, mais qui depuis a bien fait parler de lui, ne saurait être que Pascal. Cela nous paraît constant, malgré l'expression d'homme entre deux âges (Pascal ne pouvait avoir alors plus de trente ans), et malgré ce qu'il y a au premier abord d'incompréhensible dans le ton sur lequel Méré le prend avec Pascal. On le comprend mieux à mesure qu'on connaît Méré davantage; cette impertinence est bien la sienne, et son récit n'est pas plus étrange que ne l'est sa fameuse lettre à Pascal lui-même sur la divisibilité à l'infini, où il le complimente si insolemment des progrès qu'il a faits sous lui, en lui faisant entendre qu'il a encore beaucoup à faire; et où enfin il lui dit en face: « Vous savez que j'ai découvert dans les ma>> thématiques des choses si rares, que les plus savants des anciens n'en ont jamais

(a) Pascal avait une belle figure, et du plus grand caractère. Voir le portrait gravé par Edelinck, et le dessin fait par Domat, qui a été publié par M. Faugère. Il y a un tableau de Philippe Champagne au musée de Bruxelles, la Présentation au temple, où Pascal est peint sous le costume d'un docteur juif; c'est le premier à droite du spectateur.

ს.

>> rien dit, et desquelles les meilleurs mathématiciens de l'Europe ont été surpris. » Vous avez écrit sur mes inventions, aussi bien que M. Huguens, M. de Fermat et tant » d'autres qui les ont admirées. Vous devez juger par là que je ne conseille à per>>sonne de mépriser cette science, etc. » Voilà tout l'homme, et nous ne croirons pas sans doute qu'il ait fait Pascal écrivain, et que nous lui devions les Provinciales; mais pourtant nous reconnaitrons, avec M. Collet, qu'il a servi à Pascal de quelque chose, qu'il a poli la superficie de son esprit, qu'il lui a donné une conscience plus nette de son goût naturel, et a pu le dégager d'une rouille de province que ni les mathématiques ni Jansénius n'étaient propres à lui ôter. M. Collet a montré que plusieurs des fragments de Pascal sur le bon goût, le bon langage, l'air d'honnête homme, sortaient des tablettes où Pascal prenait des notes pendant le voyage de Poitou; et j'ajoute que la lettre même de Méré à Pascal, si extravagamment impertinente, a pourtant suggéré sans aucun doute les réflexions qu'on lit dans les Pensées sur la différence entre les esprits géométriques et les esprits fins (a).

16 bis. Pascal avait alors non pas trente, mais trente et un ans, car sa seconde et dernière conversion s'accomplit à la fin de l'année 1654. Voir le témoignage de Jacqueline cité dans la note 2 de la page 479. Il faut y ajouter la pièce fameuse que Condorcet a publiée le premier, et qui fait connaitre le moment décisif où la révolution qui se faisait dans l'âme de Pascal s'acheva pendant une veille remplie de toutes les ardeurs d'une piété mystique. Cet écrit, monument d'une nuit qui avait commencé pour lui une vie nouvelle, fut trouvé après sa mort cousu dans son habit, où il le conservait en double, sur parchemin et sur papier.

+

L'an de grâce 1654,

Lundi, 23 novembre, jour de saint Clément, pape et martyr, et autres au martyrologe,

Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres,

Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi,

Feu.

Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, [Exode, 111, 6, etc; Matth., XXII, 32, etc.]

Non des philosophes et des savants.

Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix.

Dieu de Jésus-Christ.

Deum meum et Deum vestrum [Jean, xx, 47.]

« Ton Dieu sera mon Dieu. » [Ruth, 1, 46 ]

Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.

Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l'Évangile.

Grandeur de l'âme humaine.

« Père juste, le monde ne t'a point connu, mais je t'ai connu.» [Jean, xvi, 25 } Joie, joie, joie, pleurs de joie.

Je m'en suis séparé :

Dereliquerunt me fontem aquæ vivæ. [Jérém., II, 43.]

Mon Dieu, me quitterez-vous? [Matth., xxvii, 46.]

Que je n'en sois pas séparé éternellement.

(a) Je vous avertis aussi que vous perdez par là un grand avantage dans le monde; » car lorsqu'on a l'esprit vif et les yeux fins, on remarque à la mine et à l'air des pertoanes qu'on voit quantité de choses qui peuvent beaucoup servir; et si vous deman» diez, selon votre coutume, à celui qui sait profiter de ces sortes d'observations, sur " quel principe elles sont fondées, peut être vous dirait-il qu'il n'en sait rien, et que ce " ne sont des preuves que pour lui. Vous croyez d'ailleurs que pour avoir l'esprit juste, " et ne pas faire un faux raisonnement, il vous suffit de suivre vos figures sans vous en » éloigner et je vous jure que ce n'est presque rien non plus que cet art de raisonner par » les règles, etc."

:

« Cette est la vie éternelle, qu'ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » [Jean, XVII, 3.]

Jésus-Christ.

Jésus-Christ.

Je m'en suis séparé; je l'ai fui, renoncé, crucifié.

Que je n'en sois jamais séparé.

Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l'Évangile :

Renonciation totale et douce.

Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.

Éternellement en joie pour un jour d'exercice sur la terre.

Non obliviscar sermones tuos. [Ps. cxvIII, 46.] Amen.

Mme Perier ne parle pas de l'accident du pont de Neuilly, dont on a tant parlé, et qui semble avoir donné la première secousse à l'imagination de Pascal. Nous nous bornerons à reproduire le témoignage conservé dans un manuscrit des Pères de l'Oratoire de Clermont. (Voir M. Cousin, Des Pensées de Pascal, p. 437; et M. Faugère, Lettres, opuscules, etc., p. 470.)

<< M. Arnoul (de Saint-Victor), curé de Chambourcy, dit qu'il a appris de M. le » prieur de Barillon, ami de Mme Perier, que M. Pascal, quelques années avant sa » mort, étant allé, selon sa coutume, un jour de fête, à la promenade au pont de » Neuilly avec quelques-uns de ses amis, dans un carrosse à quatre ou six chevaux, » les deux chevaux de volée prirent le frein aux dents à l'endroit du pont où il n'y › avait point de garde-fou; et s'étant précipités dans l'eau, les lesses qui les atta» chaient au train de derrière se rompirent, en sorte que le carrosse demeura sur le >> bord du précipice. Ce qui fit prendre la résolution à M. Pascal de rompre ses prome»nades et de vivre dans une entière solitude. >>

ע

On a rapporté à cet accident l'origine d'une espèce d'hallucination qu'on a dit qu'éprouvait Pascal. Le seul témoignage à ce sujet est un passage des lettres de l'abbé Boileau (a), recueillies en deux tomes; il se trouve dans la lettre xxix du tome 1er qui est intitulée comme il suit dans le recueil : « A une demoiselle. Dif>>ficulté de fixer et de guérir une personne dont l'imagination est frappée. Deux >> histoires à ce sujet, dont la première regarde M. Pascal. » Voici comment s'exprime l'abbé Boileau: «Vous réussissez merveilleusement à trouver dans l'Écri»ture des sens qui vous tourmentent et qui n'y sont pas... Y verrez-vous ce que ni >> vos confesseurs ni personne n'y voit? Voilà ce que c'est que d'avoir plus d'esprit » que les autres; on raisonne bien autrement. Tous ces gens-là qui passent pour clair» voyants n'y voient goutte en comparaison de vous, ou voient tout de travers. Ou >> ils n'aperçoivent qu'un chemin uni, vous voyez d'affreux précipices. Cela me fait » souvenir de M. Pascal, dont la comparaison ne vous déplaira pas; car vous savez » qu'il avait de l'esprit, qu'il a passé dans le monde pour être un peu critique, et » qu'il ne s'élevait guère moins haut, quand il lui plaisait, que le père M. [Ma>> lebranche?]. Cependant ce grand esprit croyait toujours voir un abime à son côté gauche, et y faisait mettre une chaise pour se rassurer je sais l'histoire d'original. » Ses amis, son confesseur, son directeur avaient beau lui dire qu'il n'y avait rien à >> craindre, que ce n'étaient que des alarmes d'une imagination épuisée par une étude >> abstraite et métaphysique; il convenait de tout cela avec eux, et un quart d'heure » après il se creusait de nouveau le précipice qui l'effrayait. Que sert-il de parler à » des imaginations alarmées? Vous voyez bien qu'on y perd toutes ses raisons et que l'imagination va toujours son train. » Il est regrettable que le recueil des lettres de l'abbé Boileau n'ait paru imprimé qu'en 1737, quatre ans après la mort de Marguerite Perier. On voudrait savoir comment elle aurait accueilli cette anecdote, qui, du reste, ne paraît avoir soulevé alors aucune réclamation.

[ocr errors]

46 ter. Voir tout l'article xx des Pensées.

47. Ces mots, à quoi, se rapportent à la fois aux deux membres de la phrase. Le sens est que toute la religion se borne à ces deux espèces de vérités.

(a) Voir M. Sainte-Beuve, Port Royal, t. III, p. 287.

46. Tore seccod fragment de l'esprit géométrique.

19. Ou simplement les Provinciales ; c'est le nom qu'ont gardé ces lettres immortelies, le chef-d'œuvre de l'art de raisonner et d'émouvoir. Mme Perier s'est tue sur les Provinciales, mais ce silence a dû lui coûter beaucoup, et elle n'a pu s'empêober de les nommer au moins en passant. Elles commencérent à paraître en janvier 4656.

20. Le Miracle de la sainte épine eut lieu le vendredi 24 mars 4656; Marguerite Perier, qui en fut le sujet, avait alors dix ans. Mme Perier parle ici de cet évéDement avec une grande réserve, mais on voit bien quelle est sa pensée quand elle se réjouit que Dieu se soit manifesté si clairement dans un temps où la foi paraissait comme éteinte dans le cœur de la plupart du monde. Les jansenistes virent dans ce miracle, que la sainte épine avait opéré dans l'église de Port Royal sur la personne d'une pensionnaire de Port Royal, la nièce de l'auteur des Provinciales, une déclaration de Dieu même en faveur de ses élus persécutés. « Le Port Royal » était dans la consternation, et les Jésuites au comble de leur joie, lorsque le miracle » de la sainte épine arriva.» (RACINE, Histoire de Port Royal.)

Le retentissement fut immense : « On ne parlait d'autre chose dans Paris.» Mais le bruit en étant venu à Compiègne, où était la cour, « la reine mère se trouva fort >> embarrassée; » elle ne pouvait croire qu'une maison qu'on lui dépeignait comme un foyer d'hérésie, eût été si favorisée de Dieu. On fit des informations, le miracle fut vérifié de nouveau; il fut proclamé par l'autorité diocésaine, qui fit célébrer une messe solennelle à Port Royal. « Pendant que l'Eglise rendait à Dieu des actions de » grâces, et se réjouissait du grand avantage que ce miracle lui donnait sur les athées » et sur les hérétiques, les ennemis de Port Royal, bien loin de participer à cette » joie, demeuraient tristes et confondus, suivant l'expression du psaume. » Mais ni tous les discours des Jésuites, ni le livre de leur P. Annat, le Rabat-joie des jansénistes, ne purent détourner le cours de l'opinion. « La foule croissait de jour >> en jour à Port Royal, et Dieu même semblait prendre plaisir à autoriser la >> dévotion des peuples par la quantité de nouveaux miracles qui se firent en cette » église. » La reine mère, touchée, arrêta toute persécution contre le monastère, et les solitaires, qui s'étaient cachés, reparurent. Racine, arrivé à la fin de cette narration, en sort par une transition curieuse : « Mais, dit-il, le miracle de la sainte » épine ne fut pas la seule mortification qu'eurent alors les Jésuites, car ce fut dans » ce temps-là même que parurent les fameuses Lettres provinciales, etc. » Ainsi, il se représente Dieu et Pascal, servant le parti chacun à sa manière contre les Jésuites, et l'un les mortifiant avec un miracle comme l'autre avec un pamphlet. Nous avons dû retracer ces illusions pour faire bien comprendre dans quelles conjonctures et avec quels sentiments Pascal écrivit ses pensées sur les miracles. Elles forment dans cette édition l'article XXIII.

Du reste, le miracle ne tarda pas à être oublié. Racine, qui écrivait trente-sept ans après, se plaignait déjà qu'il fût presque entièrement effacé de la mémoire des hommes de son temps. Nous renvoyons à M. Sainte-Beuve (Port Royal, t. III, p. 105131) pour plus de détails sur l'histoire du miracle de la sainte épine et de la miraculée Marguerite Perier.

21. Mme Perier s'était d'abord expliquée davantage au sujet du travail qui produisit les Pensées de Pascal sur la religion, et de la manière dont il y fut conduit par ses réflexions sur les miracles. Elle supprima ces développements, mais ils nous ont été conservés dans l'Histoire de l'abbaye de Port Royal, par l'abbé Besongne. « Voici, dit-il, le plan de l'ouvrage, tel que Mme Perier le rapporte dans sa vie. » Je copierai sans rien changer ses propres paroles.» (Lettres, opuscules, etc., p. 46.) Nous transcrivons, d'après M. Faugère, cet important passage, mais nous renverrons au texte de Pascal, quand Mme Perier ne fait que le citer.

[ocr errors]

Il y a des miracles, il y a donc quelque chose au-dessus de ce que nous appelons la nature. La conséquence est de bon sens ; il n'y a qu'à s'assurer de la certitude de la vérité des miracles Or, il y a des règles pour cela qui sont encore dans le

« PreviousContinue »