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J'admire avec quelle hardiesse1 ces personnes entreprennent de parler de Dieu, en adressant leurs discours aux impies. Leur premier chapitre est de prouver la divinité par les ouvrages de la nature 2.

Je ne m'étonnerais pas de leur entreprise s'ils adressaient leurs discours aux fidèles, car il est certain que ceux qui ont la foi vive dans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n'est autre chose que l'ouvrage du Dieu qu'ils adorent'. Mais pour ceux en qui cette lumière est éteinte, et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces personnes destituées de foi et de grâce, qui, recherchant de toute leur lumière tout ce qu'ils voient dans la nature qui les peut mener à cette connaissance, ne trouvent qu'obscurité et ténèbres; dire à ceux-là qu'ils n'ont qu'à voir la moindre des choses qui les environnent, et qu'ils verront Dieu à découvert, et leur donner, pour toute preuve de ce grand et important sujet, le cours de la

་ « J'admire avec quelle hardiesse.» P. R. supprime absolument cette ironie. Par les ouvrages de la nature. » P. R. ajoute : « Je n'attaque pas la solidité ⚫ de ces preuves, consacrées par l'Ecriture sainte ; elles sont conformes à la raison; >> mais souvent elles ne sont pas assez conformes et assez proportionnées à la dis» position de l'esprit de ceux pour qui elles sont destinées. » Rien de plus infidele qu'une telle addition au texte de Pascal. C'était bien attaquer la solidité de ces preuves que de déclarer qu'elles ne convainquent que ceux qui sont déjà persuadés. Et en effet il les attaque, non-seulement ici, mais dans d'autres fragments qui appartenaient sans doute à la même préface (x, 2, 3; et plus loin). Au lieu de les croire consacrées par l'Ecriture sainte, il soutenait contre les philosophes que l'Ecriture ne les a jamais employées (x, 3). Loin de les juger conformes à la raison, il dit plus bas qu'il voit par raison que rien n'est plus propre à rendre la religion méprisable. P. R., sous l'influence de la philosophie de Descartes, fait parler Pascal en cartésien.

3. Du Dieu qu'ils adorent. » Et non pas simplement, l'ouvrage de Dieu. Il y a dans ces mots l'accent de la foi et de la charité. P. R. ajoute: « C'est à eux que toute la nature parle pour son auteur, et que les cieux annoncent la gloire de >> Dieu. » Mais cela n'est pas de Pascal, et n'est pas selon Pascal. Ce n'est pas la nature qui lui parle de Dieu; c'est lui, si l'on peut s'exprimer ainsi, qui en parle à la nature; qui rapporte la nature au Dieu qu'il trouve dans son cœur. La nature elle-même est muette, ou tout au moins équivoque (xiv, 1, 2o fragment; xx, 2, etc). 4. De foi et de grâce. » P. R., de foi et de charité. P. R. supprime le mot qui trabit le jansénisme. Le monde disait alors volontiers comme Anne d'Autriche à une autre époque, Fi, fi de la grâce! Nul n'est destitué de la gráce suffisante. Mais Pascal et les siens n'admettent que la grâce efficace, qui n'est pas donnée à tous. Voir la seconde Provinciale.

« Recherchant de toute leur lumière. » Supprimé dans P. R., qui ne veut pas supposer qu'on cherche sans trouver (Quærite et invenietis. Matth., VII, 7). Mais c'est que ceux-là n'ont pas la grâce!

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La moindre des choses... Dieu à découvert. » Antithèse pleine d'ironie. P. R. fait disparaître tout cela.

lune' ou des planètes, et prétendre avoir achevé2 sa preuve avec un tel discours, c'est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles, et je vois par raison et par expérience que rien n'est plus propre à leur en faire naître le mépris.

Ce n'est pas de cette sorte que l'Écriture, qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu, en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché3; et que, depuis la corruption de la nature, il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par JÉSUS-CHRIST', hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée : Nemo novit Patrem, nisi Filius, et cui voluerit Filius revelare'.

C'est ce que l'Écriture nous marque, quand elle dit en tant d'endroits' que ceux qui cherchent Dieu le trouvent. Ce n'est point de cette lumière qu'on parle, comme le jour en plein midi. On ne dit

« Le cours de la lune. » Comme fait Grotius, I, 7.

« Et prétendre avoir achevé. » Toute cette fin de l'alinéa a été retranchée dans P. R., et remplacée par les phrases suivantes : « Il semble que ce ne soit pas le » moyen de les ramener, que de ne leur donner pour preuve de ce grand et important » sujet que le cours de la lune ou des planètes, ou des raisonnements communs, et » contre lesquels ils se sont continuellement raidis. L'endurcissement de leur esprit » les a rendus sourds à cette voix de la nature qui a relenti continuellement à leurs » oreilles et l'expérience fait voir, que bien loin qu'on les emporte par ce moyen, >> rien n'est plus capable au contraire de les rebuter, et de leur ôter l'espérance de » trouver la vérité, que de prétendre les en convaincre seulement par ces sortes de >> raisonnements, et de leur dire qu'ils y doivent voir la vérité à découvert. » Les mots soulignés sont tout à fait contraires à la pensée de Pascal. Le reste a été adouci, et comme dirait Montaine, assagi. On n'y voit plus cette fougue d'un grand logicien, plein de dédain pour la logique et pour les systèmes des autres, et tellement emporté, qu'il ne prend plus garde si ses paroles indiscrètes ne découvrent pas ce qu'il défend.

3 Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché. » P. R. a cru que ces paroles avaient encore besoin d'explication et de correctifs : « Elle nous dit bien que › la beauté des créatures fait connaître celui qui en est l'auteur, mais elle ne nous » dit pas qu'elle fasse cet effet dans tout le monde. Elle nous avertit au contraire, >> que quand elles le font, ce n'est pas par elles-mêmes, mais par la lumière » que Dieu répand en même temps daus l'esprit de ceux à qui il se découvre par » ce moyen. Quod notum est Dei, manifestum est in illis. Deus enim illis manifes» tavit (Rom., 1, 19). Elle nous dit généralement que Dieu est un Dieu caché, Vere » tu es Deus absconditus. » On voit que P. R. essaie habilement de concilier Pascal avec l'Ecriture, et de l'autoriser d'elle; mais Pascal en est réellement bien loin (x, 3). Sur le Deus absconditus, cf. ix, page 432, note 3.

4 a 11 les a laissés. » Les hommes.

3 « Que par Jésus-Christ. » Cf. x, 2.

6 « Revelare.» Matth., x1, 27. Le texte est, neque novit quis Patrem: « Nul > ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. »

7 « En tant d'endroits. » Nous avons déjà cité Matthieu, vII, 7 : Quærite et invenietis. Cf. Luc, x1, 9, etc.

« Ce n'est point de cette lumière. » P. R. substitue à cette fin celle que voici :

point que ceux qui cherchent le jour en plein midi, ou de l'eau dans la mer, en trouveront; et ainsi il faut bien que l'évidence de Dieu ne soit pas telle dans la nature. Aussi elle nous dit ailleurs. Vere tu es Deus absconditus.

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Le Dieu des chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l'ordre des éléments; c'est la part des païens et des épicuriens. Il ne consiste pas seulement en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d'années à ceux qui l'adorent; c'est la portion des Juifs. Mais le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob2, le Dieu des chrétiens, est un Dieu d'amour et de consolation c'est un Dieu qui remplit l'âme et le cœur qu'il possède c'est un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie; qui s'unit au fond de leur âme; qui la remplit d'humilité, de joie, de confiance, d'amour ; qui les rend incapables d'autre fin que de lui-même'.

Le Dieu des chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l'âme qu'il est son unique bien; que tout son repos est en lui, et qu'elle n'aura de joie qu'à l'aimer; et qui lui fait en même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent, et l'empêchent d'aimer Dieu de toutes ses forces. L'amour-propre et la concupiscence, qui l'arrêtent, lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir qu'elle a ce fond d'amourpropre qui la perd, et que lui seul la peut guérir.

La connaissance de Dieu sans celle de sa misère' fait l'orgueil.

« Car on ne parle point ainsi d'une lumière claire et évidente; on ne la cherche » point, elle se découvre et se fait voir d'elle-même. » — La phrase obscure du manuscrit paralt signifier: Ce n'est pas là une lumière comme celle qu'on veut dire par cette manière de parler, comme le jour en plein midi.

1 « Le Dieu des chrétiens. » Dans la Copie. P. R. xx. Cf. x, 2.

2 « Le Dieu de Jacob. » P. R. écrit seulement, Mais le Dieu d'Abraham et de Jacob, le Dieu des chrétiens. Il y a un bien autre élan dans les invocations répétées du texte. Le meilleur commentaire ici est le fameux papier trouvé dans l'habit de Pascal.

3 « D'autre fin que de lui-même. » Cette phrase si passionnée est une admirable définition de la charité comme l'entend Pascal. Voir xvi, 43.

4 « Le Dieu des chrétiens est un Dieu. » Dans la Copie. P. R., ibid.

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« Qui la perd, et que lui seul. » C'est toujours ce double mystère, le péché originel et la rédemption.

6 « La connaissance de Dieu. » 416. P. R., ibid.

2 « Sans celle de sa misère. » P. R., de notre misère. Sa se rapporte à on sousentendu, comme s'il y avait, qu'on a sans celle de sa misère.

La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de JÉSUS-CHRIST fait le milieu, parce que nous y trouvons et Dieu et notre misère1.

Tous ceux qui cherchent Dieu 2 hors de JÉSUS-CHRIST, et qui s'arrêtent dans la nature, ou ils ne trouvent aucune lumière qui les satisfasse, ou ils arrivent à se former un moyen de connaître Dieu et de le servir sans médiateur : et par là ils tombent, ou dans l'athéisme, ou dans le déisme, qui sont deux choses que la religion chrétienne abhorre presque également ".

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Nous ne connaissons Dieu que par JÉSUS-CHRIST. Sans ce médiateur, est ôtée toute communication avec Dieu; par JÉSUS-CHRist, nous connaissons Dieu. Tous ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans JÉSUS-CHRIST n'avaient que des preuves impuissantes'. Mais pour prouver JÉSUS-CHRIST, nous avons les prophéties', qui sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties étant accomplies, et prouvées véritables par l'événement, marquent la certitude de ces vérités', et partant la preuve de la divinité de JésusCHRIST. En lui et par lui nous connaissons donc Dieu. Hors de là et sans l'Écriture, sans le péché originel, sans médiateur nécessaire promis et arrivé, on ne peut prouver absolument Dieu 10, ni enseigner une bonne doctrine ni une bonne morale. Mais par JÉSUS-CHRIST et en JÉSUS-CHRIST, on prouve Dieu, et on enseigne la morale et la doctrine. JÉSUS-CHRIST est donc le véritable Dieu des hommes.

1 « Et Dieu et notre misère. » Cf. x, 2; xr, 40, et l'art. XII.

2 « Tous ceux qui cherchent Dieu. » Dans la Copie. P. R., ibid.

3 « Et qui s'arrêtent dans la nature. » Retranché dans P. R.

« Ou ils arrivent à se former. » Là est le fond de l'irritation de Pascal contre Descartes et la philosophie. Cf. x, 2.

Abhorre presque également. » Il semble que dans le déisme de Descartes, Pascal ait pressenti celui de Voltaire.

6 « Nous ne connaissons Dieu. » 154. En titre, Dieu par Jésus-Christ. P. R. (ibid.) n'a guère conservé de ce fragment que la phrase: Jésus-Christ est le véritable Dieu des hommes, qui a été fondue dans le fragment suivant.

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« Que des preuves impuissantes. Cela est formel. Voir le paragraphe 1.

« Nous avons les prophéties. » Voir tout l'article xvIII.

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9 « De ces vérités. » Desquelles? Pascal a cru l'avoir dit. Il entend sans doute

le péché originel et la rédemption, vérités marquées, suivant lui, dans les prophéties.

10 « Prouver absolument Dieu. Pascal veut-il dire, on ne peut prouver Dieu d'une manière rigoureuse, ou bien, on ne peut absolument pas prouver Dieu ? C'est plutôt là, je crois, sa pensée.

11 « Et la doctrine. » Ou le dogme, comme on dit aujourd'hui.

Mais nous connaissons en même temps notre misère, car ce Dieu n'est autre chose que le réparateur de notre misère. Ainsi nous ne pouvons bien connaitre Dieu qu'en connaissant nos iniquités.

Aussi ceux qui ont connu Dieu sans connaître leur misère ne l'ont pas glorifié, mais s'en sont glorifiés. Quia non cognovit per sapientiam, placuit Deo per stultitiam prædicationis salvos facere1.

Non-seulement nous ne connaissons Dieu que par JÉSUS-CHRIST, mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par JÉSUS-CHRist. Nous ne connaissons la vie', la mort que par JÉSUS-CHRIST. Hors de JÉSUS-CHRIST, nous ne savons ce que c'est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes.

Ainsi sans l'Écriture', qui n'a que JÉSUS-CHRIST pour objet, nous ne connaissons rien, et ne voyons qu'obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature".

Sans JÉSUS-CHRIST, il faut que l'homme soit dans le vice et dans la misère; avec JÉSUS-CHRIST, l'homme est exempt de vice et de misère. En lui est toute notre vertu et toute notre félicité. Hors de lui, il n'y a que vice, misère, erreurs, ténèbres, mort, désespoir".

Sans JÉSUS-CHRIST le monde' ne subsisterait pas, car il faudrait, ou qu'il fût détruit, ou qu'il fût comme un enfer.

a

« Salvos facere. » I, Cor., 1, 24. Le texte est : Nam quia in Dei sapientia non cognovit mundus per sap. Deum, pl. Deo per stult. præd. salv. fac. credentes. « Le » monde, avec sa sagesse, ayant méconnu Dieu dans sa sagesse divine, il a plu à » Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiront. » Nous avons cité ailleurs la traduction de ce passage par Montaigne, x, 1, p. 145, note 7.

ment.

« Non-seulement. » 494. P. R. (ibid.) a conservé quelque chose de ce frag

3 « Nous ne connaissons la vie. » P. R. n'a pas reproduit cette phrase et la suivante, qui sont si fortes.

« La propre nature. » C'est-à-dire notre propre nature.

S ⚫ Sans Jésus-Christ, il faut. » 485. P. R., ibid.

• Erreurs, ténèbres, mort, désespoir.» Voir une accumulation toute semblable, xxv, 26.

9 << Sans Jésus-Christ, le monde. » Dans la Copie. Manque dans P. R. Bossut, II, XVII, 9. Voir dans les Pensées de Nicole la 76: Jésus-Christ docteur unique de la science et du salut.

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