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misère. L'abandon de Dieu paraît dans les païens; la protection de Dieu paraît dans les Juifs1.

6.

Tout tourne en bien pour les élus, jusqu'aux obscurités de l'Ecriture; car ils les honorent, à cause des clartés divines: et tout tourne en mal pour les autres, jusqu'aux clartés; car ils les blasphèment, à cause des obscurités qu'ils n'entendent pas.

7.

Si JÉSUS-CHRIST n'était venu' que pour sanctifier, toute l'Écriture et toutes choses y tendraient, et il serait bien aisé de convaincre les infidèles. Si JÉSUS-CHRIST n'était venu que pour aveugler, toute sa conduite serait confuse, et nous n'aurions aucun moyen de convaincre les infidèles. Mais comme il est venu in sanctificationem et in scandalum, comme dit Isaïe, nous ne pouvons convaincre les infidèles, et ils ne peuvent nous convaincre'; mais par cela même, nous les convainquons, puisque nous disons qu'il n'y a point de conviction dans toute sa conduite de part ni d'autre'.

1

JÉSUS-CHRIST est venu aveugler' ceux qui voyaient clair1o, et

a Dans les païens... dans les Juifs.» Cf. x11, 4, où il y a, au lieu des parens, les impies.

2 « Tout tourne en bien. » 237. P. R., xvIII.

3 « A cause des clartés divines. » Cf. xvi, 4.

4 « Si Jésus-Christ n'était venu. » 27. P. R., XVIII.

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« Si Jésus-Christ n'était venu que pour aveugler. » Phrase retranchée dans P. R. et dans les éditions. On a craint d'exposer cette idée, même en hypothèse. Du reste la fin de la phrase ne paraît pas bien s'accorder avec ce qui suit. Il semble qu'au lieu de et nous n'aurions aucun moyen de convaincre les infidèles, il faudrait quelque chose comme et il serait aisé aux infidèles de nous confondre.

<< Comme dit Isafe. » VIII, 44. Ce ne sont pas tout à fait les mots du texte.

«

« Et ils ne peuvent nous convaincre. » Retranché dans P. R.

8 «De part ni d'autre. » C'est-à-dire que la conduite de Jésus-Christ est telle, qu'elle ne peut convaincre ni les infidèles ni nous, qu'elle ne démontre, ni qu'il soit Dieu, ni qu'il ne le soit pas. P. R. n'a pas voulu dire cela, et a mis: « qu'il n'y » a point de conviction pour les esprits opiniâtres, et qui ne cherchent pas sincère»ment la vérité. »

9 « Jésus-Christ est venu aveugler. » 57. P. R., ibid.

10 « Aveugler ceux qui voyaient clair. » Dans une note de la page 145 du manuscrit, Pascal cite Marc (1v, 44 : Illis autem qui foris sunt, in parabolis omnia fiunt, ut videntes videant et non videant, etc. « Pour ceux qui sont en dehors, tout » se passe en paraboles, afin que tout en voyant, ils voient et ne voient pas; qu'en » entendant, ils entendent et n'entendent pas, » etc.), et Isate (voir plus loin). P. R. choqué de cette expression d'aveugler, a mis: « Jésus Christ est venu afin que ceux qui ne voyaient pas vissent, et que ceux qui voyaient devinssent aveugles. »

donner la vue aux aveugles; guérir les malades et laisser mourir les sains2; appeler à la pénitence et justifier les pécheurs, et laisser les justes dans leurs péchés; remplir les indigents, et laisser les riches vides.

Que disent les prophètes', de JÉSUS-CHRIST? Qu'il sera évidemment Dieu ? Non mais qu'il est un Dieu véritablement caché'; qu'il sera méconnu; qu'on ne pensera point que ce soit lui; qu'il sera une pierre d'achoppement, à laquelle plusieurs heurteront, etc. Qu'on ne nous reproche donc plus le manque de clarté, puisque nous en faisons profession.

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Mais, dit-on, il y a des obscurités. - Et sans cela, on ne serait pas aheurté à JÉSUS-CHRIST, et c'est un des desseins formels des prophètes Excæca"...

Dieu, pour rendre le Messie' connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants, l'a fait prédire en cette sorte'. Si la manière du Messie eût été prédite clairement, il n'y eût point eu d'obscurité, même pour les méchants. Si le temps eût été prédit obscurément, il y eût eu obscurité, même pour les bons; car la bonté de leur cœur ne leur eût pas fait entendre que le mem fermé 1o,

« Et donner la vue. » Matthieu, x1, 4: Et respondens Jesus ait illis, Euntes renuntiate Joanni quæ audistis et vidistis. Cæci vident, claudi ambulant, leprosi mundantur, surdi audiunt, mortui resurgunt, pauperes evangelisantur. a Jésus leur » répondit: Allez dire à Jean ce que vous avez entendu et ce que vous avez vu. » Les aveugles voient, les bolteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds » entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la bonne nouvelle [sont évangélisés]. >>

2 « Et laisser mourir les sains. » Cette dernière antithèse n'est ni dans l'Evangile ni dans la Bible. Il y a seulement (voir plus loin): Je ne veux pas qu'ils se convertissent, et qu'ils soient guéris.

3 Et laisser les justes. » P. R., ceux qui se croyaient justes.

4 « Que disent les prophètes. » 47. P. R., ibid.

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« Mais, dit-on. » Même page. Manque dans P. R.

« Excæca. » Isaïe, vi, 40: Excæca cor populi hujus et aures ejus aggrava, et oculos ejus claude, ne forte videat oculis suis, et auribus suis audiat, et corde suo intelligat, et convertatur, et sanem eum. « Aveugle l'esprit de ce peuple, bouche ses oreilles, et ferme ses yeux; il ne faut pas que ses oreilles entendent, que son es» prit comprenne; qu'il revienne à moi, et que je le guérisse. » Cf. Jean, XII, Excæcavit oculos eorum, etc.

8 « Dieu, pour rendre le Messie. » 47. P. R., ibid.

9

40:

« En cette sorte. » C'est-à-dire, comme il va être dit, figurément pour la manière, clairement pour le temps.

10 « Le mem fermé. » Au lieu de ces mots, le manuscrit porte

figure de cette

par exemple, signifie six cents ans. Mais le temps a été prédit clairement, et la manière en figures'.

lettre hébraïque. On distingue en hébreu le mem ou m ouvert, dont la figure est en effet ouverte par en bas, et qui s'emploie au commencement ou au milieu des mots, et le mem ou m fermé, qui ne s'emploie qu'à la fin. On sait que la plus fameuse des prophéties touchant le Messie est celle qu'on lit au chapitre ix d'Isaïe, verset 6: Parvulus enim natus est nobis, etc. Dans le texte hébreu se trouvent les mots lemarbé hamisra, répondant à ceux-ci de la Vulgate, multiplicabitur ejus imperium. Le m du mot lemarbé devrait être un m ouvert, et au contraire les manuscrits portent un m fermé ou final. Les rabbins ont vu dans cette faute d'orthographe toutes sortes de mystères. Ils ont dit que le m fermé (mem clausum) indiquait que le Messie devait naître d'une femme vierge (ex virgine clausa). Et ils poussent cette idée jusqu'au détail le plus indécent. Ils se sont surtout attachés à la valeur numérale des lettres, car les lettres sont des chiffres en hébreu aussi bien qu'en grec. Or tandis que le m ouvert vaut 40, le in fermé vaut 600. Cette anomalie signifie donc suivant eux que le Messie doit venir au bout de 600 ans. L'auteur du Pugio fidei (voir page 244) voulant prouver la religion chrétienne par les opinions mêmes des rabbins, adoptait ces rêveries, reproduites encore dans Pierre Galatin, mais qui sont abandonnées aujourd'hui.

On lit aussi page 31 du manuscrit, à la suite d'un fragment qui forme le paragraphe xvi, 12, sur les Figures : « Il ne nous est pas permis d'attribuer à l'Écriture les sens qu'elle ne nous a pas révélé qu'elle a. Ainsi, de dire que le mem fermé » d'Isafe signifie 600, cela n'est pas révélé. Il eût pu dire que le tsadé final et les hé deficientes signifieraient des mystères. Il n'est donc pas permis de le dire, et » encore moins de dire que c'est la manière de la pierre philosophale. Mais nous di>sons que le sens littéral n'est pas le vrai, parce que les prophètes l'ont dit eux» mêmes.» Expliquons aussi ce passage.

Le tsade final diffère du tsadé ordinaire par sa valeur numérale, comme le mem fermé du mem ouvert. Quant aux hé deficientes, il y a en hébreu certaines lettres finales, parmi lesquelles le hé ou h, qui ne se prononcent pas, mais qui doivent s'écrire. Quand elles ne sont pas écrites, ce qui est une faute, les hébraïstes les appellent deficientes. La phrase, Il eût pu dire, etc. ne doit-elle pas s'entendre de Dieu, auteur de l'Ecriture? comme s'il y avait : Dieu aurait pu dire également que telle lettre qu'on voudra, mise pour telle autre, marquerait un mystère; il ne l'a pas fait, donc, etc.— · La manière de la pierre philosophale signifie sans doute la manière de trouver la pierre philosophale. Je ne sais si Pascal a ici en vue quelqu'un en particulier, mais les rêveries des alchimistes sur la pierre philosophale s'étaient mêlées de bonne heure à celles des rabbins sur le Messie. Et il ne faut pas croire qu'au temps de Pascal la cabale eût perdu tout crédit. Au siècle même de Descartes, et tout à côté de lui, florissait le célèbre cabaliste Robert Fludd, dont les idées étranges avaient encore assez de vogue pour que Gassendi se fût donné la peine d'en faire la critique, à la prière de Mersenne. Or voici ce qu'écrivait Robert Fludd, dans sa Medicina catholica, (Francfort, 1629, sect. I, part. II, livre I, ch. 1) : « On expose dans ce >> chapitre que Dieu opère dans ce monde la maladie comme la guérison par l'inter»médiaire de créatures angéliques; et que tous les anges, ou autrement toute la » nature angélique, est renfermée dans ce grand ange Mitaltron, que les Ecritures » appellent la sagesse. » Et plus loin (p. 67), après avoir décrit cette vertu surnaturelle répandue dans la création, et principe de toute opération mystérieuse, ajoute Les cabalistes l'appellent Milaltron, d'autres y reconnaissent le Messie..., il » d'où vient que le Christ est appelé ange en plusieurs endroits de la sainte Ecri»ture. Et vocatur nomen ejus, dit le prophète, magni consilii angelus. » On remar

« Et la manière en figures. » Cf. xvII, 5, dernier alinéa. C'est-à-dire que le Messie a été prédit comme devant être un roi glorieux, qui vaincrait les ennemis de son peuple, ce qui n'est vrai que figurément.

Par ce moyen, les méchants, prenant les biens promis pour matériels, s'égarent malgré le temps prédit clairement, et les bons ne s'égarent pas car l'intelligence des biens promis dépend du cœur, qui appelle bien ce qu'il aime; mais l'intelligence du temps promis ne dépend point du cœur ; et ainsi la prédiction claire du temps, et obscure des biens, ne déçoit que les seuls méchants'.

8.

Comment fallait-il que fût le Messie, puisque par lui le sceptre devait être éternellement en Juda, et qu'à son arrivée, le sceptre devait être ôté de Juda "?

... Pour faire qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils n'entendent point, rien ne pouvait être mieux fait.

9.

La généalogie de JÉSUS-CHRIST' dans l'ancien Testament est mêlée parmi tant d'autres inutiles, qu'elle ne peut être discernée. Si Moïse n'eût tenu registre que des ancêtres de JÉSUS-CHRIST, cela eût été trop visible. S'il n'eût pas marqué' celle de JÉSUS-CHRIST', eela n'eût pas été assez visible. Mais, après tout, qui regarde de près,

quera que ce passage, qui est d'Isaïe (1x, 6-7), est celui où se trouve le fameux mem, qui devait donc servir à trouver le Mitaltron, l'agent du grand œuvre, aussi bien que le Messie. - Dans le livre de Reuchlin De arte cabalistica, on lit que le mem ouvert représente la sphère de Jupiter, et le mem fermé la sphère de Mars (Hagen, 1530, p. LXXIX, au ́verso). Il distingue aussi les deux tsadé.

1 << Que les seuls méchants. » Les Juifs aimaient la prospérité, la victoire; leur cœur était mauvais en cela suivant Pascal; ils étaient des méchants. Ils ne devaient aimer que la victoire sur leurs péchés, que les joies de la charité, que le règne de la grâce. Alors ils auraient compris que c'était là ce que le Messie devait leur apporter.

2 « Comment fallait-il. » 167. P. R., XVIII.

3 « Éternellement en Juda. » Pascal a sans doute dans l'esprit plusieurs passages dont voici les plus remarquables: Ps. cix, 4: Tu es sacerdos in æternum secundum ordinem Melchisedech: Tu es le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisé» dech. Isaïe, IX, 7: Super solium David et super regnum ejus sedebit..... amodo et usque in sempiternum : « Il s'assiéra sur le trône de David, pour régner depuis » aujourd'hui jusqu'à la fin des temps. » Ézéchiel, xxxvII, 25: Et David servus meus princeps eorum in perpetuum: « Et David mon serviteur sera leur prince à » tout jamais. Daniel, VII, 44: Potestas ejus, potestas æterna, quæ non aufere

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tur: a Son pouvoir est un pouvoir éternel, il ne lui sera point ôté.

4

« Oté de Juda. » Genèse, XLIX, 10. Voir les notes sur xvi, 6.

« La généalogie de Jésus-Christ. » 57. P. R. xvIII.

6 « Qu'elle ne peut être. P. R., qu'on ne peut presque la discerner.

7 « S'il n'eût pas marqué. » Phrase retranchée dans P. R.

8

« Celle de Jésus-Christ. » La généalogie de Jésus-Christ. Car il fallait qu'on

vlt qu'il sortait de Juda, conformément à la prédiction de Jacob, déjà cités.

voit celle de JÉSUS-CHRIST bien discernée par Thamar, Ruth, etc'.

10.

... Reconnaissez donc 2 la vérité de la religion dans l'obscurité même de la religion, dans le peu de lumière que nous en avons, dans l'indifférence que nous avons de la connaître.

JÉSUS-CHRIST ne dit pas qu'il n'est point de Nazareth', ni qu'il n'est pas fils de Joseph', pour laisser les méchants dans l'aveuglement.

11.

Comme JÉSUS-CHRIST est demeuré inconnu parmi les hommes, ainsi sa vérité demeure parmi les opinions communes, sans différence à l'extérieur : ainsi l'Eucharistie parmi le pain commun.

Que si la miséricorde de Dieu est si grande qu'il nous instruit salutairement, même lorsqu'il se cache, quelle lumière n'en devonsnous pas attendre lorsqu'il se découvre'?

<< Par Thamar, Ruth, etc. » Voir la Genèse, XXXVIII, 29, et Ruth, Iv, 17–22. Sur la généalogie de Jésus-Christ, cf. xv, 45.

2 • Reconnaissez donc. » Dans la Copie. P. R., XVIII.

3 « Jésus-Christ ne dit pas. » 59. P. R., ibid.

4 « Qu'il n'est point de Nazareth. » La famille de Jésus était de Nazareth, et lui-même y avait toujours vécu. Les Évangiles mêmes appellent Nazareth sa patrie (Matth., XIII, 54, etc.). Mais le Messie devait naltre à Béthléem (voir au paragraphe XVIII, 2, page 239. Voir aussi le cinquième fragment de xx111, 4). Et les Évangiles racontent que Jésus y naquit en effet, sa mère s'y trouvant à l'occasion d'un recensement ordonné par les Romains (Luc, 11, 4). Cependant quand les Juifs l'appellent Jésus de Nazareth, il ne les contredit pas : Dixit eis, Quem quæritis? Responderunt ei, Jesum Nazarenum. Dixit eis Jesus, Ego sum: « Il leur dit : Qui cherchez-vous? » Ils répondirent Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C'est moi. » Jean, XVIII, 4. Cf. ibid., VII, 40.

S « Ni qu'il n'est pas fils de Joseph. » Matthieu, ibidem: Nonne hic est fabri filius? Nonne mater ejus dicitur Maria?... et scandalizabantur in eo. Jesus autem dixit eis : Non est propheta sine honore nisi in patria sua : « N'est-ce pas le fils du charpen> tier? Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie. Et il leur était un objet de scandale. >> Jésus leur dit : Un prophète n'est nulle part si peu en honneur que dans sa patrie. » Or on croyait que le Messie devait être le fils d'une vierge (Matth., 1, 22, etc.). Jésus laissait donc les Juifs dans l'aveuglement, en laissant dire de lui ce qui ne pouvait être dit du Messie.

6 « Comme Jésus-Christ est demeuré. » 45. P. R., xvi11.

7 « Sa vérité. » Je crois que Pascal pense moins ici à la religion en général qu'au jansénisme en particulier.

8 « Que si la miséricorde. » Dans la Copie. P. R., ibid.

9 Lorsqu'il se découvre. Comme il a fait à Port-Royal par le miracle de la sainte Épine. Voir l'article xx.

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