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voie si les sacrifices étaient vrais 1, si la parenté d'Abraham était la vraie cause de l'amitié de Dieu 2, si la terre promise était le véritable lieu de repos. Non. Donc c'étaient des figures. Qu'on voie de même toutes les cérémonies ordonnées, tous les commandements qui ne sont pas pour la charité, on verra que c'en sont les figures'.

Tous ces sacrifices et cérémonies étaient donc figures ou sottises. Or il y a des choses claires trop hautes, pour les estimer des sottises".

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ARTICLE XVII.

1.

La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle '.

Tout l'éclat des grandeurs n'a point de lustre 10 pour les gens qui sont dans les recherches de l'esprit. La grandeur des gens d'esprit 11 est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair 12. La grandeur de la Sagesse 13, qui n'est nulle part sinon

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1 « Si les sacrifices étaient vrais. » Il veut dire qu'on ne peut obtenir véritablement la grâce de Dieu par le sacrifice d'un boeuf ou d'un autre animal; et qu'ainsi ce n'était pas là de vrais sacrifices, mais des images du seul sacrifice véritable, celui de Jésus-Christ.

2 « De l'amitié de Dieu. » Pour le peuple choisi, sorti d'Abraham.

-3 « Les figures. De la charité. Sur ce mot, voir 13.

4

D

«Tous ces sacrifices. Même page du manuscrit. Manque dans P. R.

S « Figures ou sottises. » Sur cette pensée d'une hardiesse singulière, cf. XIX, 8.

6 « Des choses claires trop hautes. » Mêlées à ces sacrifices et cérémonies.

7 « Pour les estimer des sottises. » Pour estimer que ces sacrifices et cérémonies soient des sottises.

8 « La distance infinie. » 53. P. R., XIV.

9 « Car elle est surnaturelle. » Ce car se rapporte aux mots infiniment plus infinie, comme s'il y avait : figure la distance des esprits à la charité, distance infiniment plus infinie, car elle est surnaturelle. Sur le sens et la force de ce mot, la charité, voir XVI, 13. Il y a donc trois ordres, celui des corps, celui des esprits, tous deux naturels, et l'ordre surnaturel de la charité ou de la grâce.

10 << N'a point de lustre. » Parce que cet éclat est chose des sens ou du corps. Voilà ce qui nous explique ces passages où Pascal s'exprime sur la royauté et sur les dignités du monde avec une liberté qui a effrayé P. R. Voir III, 3; v, 3,

7.

11 « Des gens d'esprit. » C'est-à-dire des gens dont la vie est celle de l'esprit. 12 « Ces grands de chair. Expression pleine de dédain. Pascal les voit, nonseulement des hauteurs de l'esprit, mais de celles de la sainteté où il aspire.

43 « De la Sagesse.» P. R., de la sagesse qui vient de Dieu, P. R. semble recon

en Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d'esprit. Ce sont trois ordres différant en genre.

Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles, où elles n'ont pas de rapport. Ils sont vus non des yeux, mais des esprits; c'est assez 2. Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n'ont nul rapport', car elles n'y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps, ni des esprits curieux : Dieu leur suffit.

Archimède, sans éclat, serait en même vénération ". Il n'a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions'. Oh! qu'il a éclaté aux esprits! JÉSUS-CHRIST, sans

naître ainsi deux espèces de sagesse. Pour Pascal il n'y en a qu'une, comme pour les stoïciens; mais pour lui, elle n'est pas dans cet idéal que les stoïciens appelaient le Sage; elle est en Dieu. C'est elle dont parle l'Ecriture, et qui se nomme absolument la Sagesse.

« Où elles n'ont pas de rapport. » A quoi se rapporte cet elles? Sans doute aux grandeurs du génie, que Pascal a dans la pensée, mais qu'il a exprimées par une suite de substantifs dont le plus grand nombre sont au masculin. Où signifie auxquelles, avec lesquelles. Molière l'emploie avec la même liberté, pour tenir lieu d'une proposition suivie d'un pronom conjonctif : L'estime où je vous tiens, etc. Cela est bien plus rapide. P. R. a refait la phrase autrement.

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<< Mais des esprits; c'est assez. » P. R.: « Ils sont vus des esprits, non des » yeux, mais c'est assez. » Qui ne voit que l'inversion est maladroite, que le mais affaiblit le trait final au lieu de lui donner de la force; que les arrangeurs ont enlevé à la touche du maitre ce qu'elle avait de senti, de vif et de fier !

3 « Où elles n'ont nul rapport. » Elles, c'est-à-dire les grandeurs de sainteté. Voir plus haut.

4 << Car elles n'y ajoutent ni ôtent. » Je crois que ce second elles n'a pas le même sujet que le premier, car tout cela est écrit très-négligemment, et qu'il faut entendre Car les grandeurs charnelles ou spirituelles n'ajoutent ni n'ôtent rien aux grandeurs de sainteté. C'est ainsi que P. R. l'a compris, en refaisant la phrase.

5 «< Ni des esprits curieux. » L'épithète est nécessaire, car on ne peut pas dire que la sainteté ne soit pas vue des esprits; mais elle ne l'est pas de ces esprits dont parle Pascal.

G << Serait en même vénération. » Pourquoi ce conditionnel? parce qu'Archimède avait cet éclat terrestre, il était prince; voir plus bas.

፡ « Ses inventions. » P. R. met: « Il n'a pas donné des batailles, mais il a » laissé à tout l'univers des inventions admirables. » On ne cesse de s'étonner que P. R. ait si peu compris le style de Pascal. Comment a-t-on pu effacer cette antithèse des yeux et des esprits, qui met la pensée en pleine lumière? On a trouvé bizarre des batailles pour les yeux, mais toutes les œuvres du monde sont pour les yeux, pour l'apparence, suivant Pascal. On a voulu enrichir la fin de la phrase, qui semblait pauvre. Mais il s'agit bien de tout l'univers! Comme si l'espace ajoutait quelque chose à la grandeur spirituelle. Et que cette épithète d'admirables est froide ici!

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« Oh! qu'il a éclaté aux esprits! » Il a fallu que P. R. défigurât encore cette

bien, et sans aucune production au dehors de science', est dans son ordre de sainteté. Il n'a point donné d'invention, il n'a point régné; mais il a été humble, patient 2, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Oh! qu'il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence, aux yeux du cœur, et qui voient la Sagesse!

Il eût été inutile à Archimède de faire le prince dans ses livres de géométrie, quoiqu'il le fût *. Il eût été inutile à notre Seigneur JÉSUS-CHRIST, pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi mais qu'il est bien venu avec l'éclat de son ordre!

:

Il est bien ridicule de se scandaliser de la bassesse de JÉSUSCHRIST, comme si cette bassesse était du même ordre duquel est la grandeur qu'il venait faire paraître. Qu'on considère cette grandeurlà dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l'élection des siens, dans leur abandon", dans sa secrète résurrection, et dans le reste; on la verra si grande, qu'on n'aura pas sujet de se scandaliser d'une bassesse qui n'y est pas. Mais il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s'il n'y en avait pas de spirituelles; et d'autres qui n'admirent que les spirituelles, comme s'il n'y en avait pas d'infiniment plus hautes dans la Sagesse.

Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes",

exclamation superbe : « Oh! qu'il est grand et éclatant aux yeux de l'esprit ! » Ils ont cru rendre la phrase plus correcte; éclaler aux esprits, ils ont trouvé que cela ne se disait pas. Mais l'originalité de ce langage, fruit de l'originalité de la pensée, est précisément d'avoir dit, éclater aux esprits, comme on disait, éclater aux yeux, et que cela paraisse tout naturel et tout simple.

1 « Au dehors de science. »> C'est-à-dire, et sans aucune production de science au dehors.

2

« Mais il a été humble, patient. » Quelle autre grandeur se révèle tout à coup dans cette humilité même!

3 α Saint, saint, saint à Dieu. Cette répétition paraît inspirée par le Sanctus, sanctus, sanctus, dans la Préface de la messe (d'après Isaïe, vi, 3). P. R. écrit une seule fois, saint devant Dieu. Ils ont peur peut-être que les paroles sacrées, ainsi employées hors de l'église, n'étonnent et ne fassent rire les mondains. Pascal n'a pas tant de précautions, parce qu'il n'a pas tant de sang-froid. P. R. discute, Pascal adore.

« Quoiqu'il le fût. » Il était parent du roi Hiéron, dit Plutarque (Marcell., 14). Mais cette parenté avec le roi ou plutôt le rúpavvos d'une cité grecque, ne faisait pas ce que nous appelons un prince. Et Cicéron parle d'Archimède comme d'un homme obscur, qui n'était rien en dehors de sa géométrie : humilem homunculum a pulvere et radio excitabo. Tuscul., v, 23.

5 « Dans leur abandon. » C'est-à-dire lorsqu'ils l'abandonnent; et non pas lorsqu'ils sont abandonnés de lui. P. R. a mis, dans leur fuite.

« Et ses royaumes. » Et non pas, les royaumes, comme a mis P. R.

ne valent pas le moindre des esprits; car il connait tout cela, et soi; et les corps, rien 1. Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité 2; cela est d'un ordre infiniment plus élevé 3.

De tous les corps ensemble, on ne saurait en faire réussir une petite pensée : cela est impossible, et d'un autre ordre. De tous les corps et esprits, on n'en saurait tirer un mouvement de vraie charité: cela est impossible, et d'un autre ordre, surnaturel “.

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2.

JÉSUS-CHRIST dans une obscurité 5 (selon ce que le monde appelle obscurité) telle, que les historiens, n'écrivant que les importantes choses des États, l'ont à peine aperçu.

« Et les corps, rien. » C'est la même idée et le même orgueil qu'on a déjà vu exprimés dans le fragment du Roseau pensant, 1, 6. Si Pascal est si éloquent et si fort, c'est qu'il ne dit que des choses dont il est plein. Mais cette pensée, qui semble assez haute pour faire la conclusion d'une philosophie, n'est que le point de départ d'où celle de Pascal va s'élever.

2 Le moindre mouvement de charité. » C'est-à-dire d'amour de Dieu (cf. XVI, 43). Que cette simplicité est haute, et que cette sorte d'élévation est touchante! L'esprit, qui était tout, n'est plus rien. Pour Aristote, Dieu est la pensée pure; et la fin de l'homme, c'est de penser. Le Dieu de Pascal n'est pas seulement, intelligence, mais amour. Un élan du cœur atteint à lui mieux que tout l'effort de la science. C'est le Dieu des petits, mais combien il les fait grands!

3 « Infiniment plus élevé » Ce langage, qui distingue des grandeurs de différents ordres, sans aucune proportion de l'un à l'autre, est emprunté aux sciences mathématiques.

« Surnaturel. » Je ne connais rien dans les Pensées mêmes qui égale la beauté de ce fragment. Relisez de suite ces paroles, leines de négligences, mais si fermes et si ardentes: il y règne un sublime qui (tonne l'esprit et qui remplit le cœur. Voilà quelles méditations consolaient Pascal de ses souffrances, et le soutenaient contre les humiliations du dehors. Quand, parmi tant de génies illustres en différents genres, sa pensée va choisir le prince des physiciens et des géomètres, comment douter qu'il ne songe à lui-même, et à ses propres inventions! Lorsque Racine, à propos de Corneille, osait proclamer que la postérité ferait marcher de pair le grand poëte et le grand monarque; ce n'était pas pour Corneille seulement qu'il parlait. Et lorsque Pascal élevait si haut Archimède, il fixait la place de Pascal. Mais tout à coup il oublie cet orgueil de la pensée; il se prosterne, plein de vénération et de tendresse, devant Jésus pauvre et humilié, mais saint et sans tache. Il se confond, il est ébloui, il le voit radieux et céleste; c'est une transfiguration, mais intérieure et spirituelle. Il n'a pas besoin du Thabor; trois mots suffisent, sans aucun péché! Et aussitôt il s'écrie: « Oh! qu'il est venu en grande pompe aux yeux du cœur ! » Et on le sent ravi jusqu'au plus profond de son être. L'idée du saint resplendit dans cette âme, éclat voilé, jouissance austère, mais incomparable. Rapprochez de ce fragment les effusions que Pascal a jetées ailleurs sous ce titre : Le mystère de Jésus. On les trouvera immédiatement à la suite des Pensées.

« Jésus-Christ dans une obscurité. » 55. P. R., XIV.

3.

Quel homme eut jamais plus d'éclat! Le peuple juif tout entier le prédit, avant sa venue. Le peuple gentil l'adore, après sa venue 2. Les deux peuples gentil et juif le regardent comme leur centre. Et cependant quel homme jouit jamais moins de cet éclat! De trente-trois ans, il en vit trente sans paraitre. Dans trois ans', il passe pour un imposteur; les prètres et les principaux le rejettent; ses amis et ses plus proches le méprisent. Enfin il meurt trahi par un des siens, renié par l'autre, et abandonné par tous.

Quelle part a-t-il donc à cet éclat? Jamais homme n'a eu tant d'éclat; jamais homme n'a eu plus d'ignominie. Tout cet éclat n'a servi qu'à nous, pour nous le rendre reconnaissable; et il n'en a rien eu pour lui ‘.

4.

JÉSUS-CHRIST a dit les choses grandes si simplement, qu'il semble qu'il ne les a pas pensées ; et si nettement néanmoins, qu'on voit bien ce qu'il en pensait. Cette clarté, jointe à cette naïveté, est admirable.

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Qui a appris aux évangélistes les qualités d'une ame parfaitement héroïque, pour la peindre si parfaitement en JÉSUS-CHRIST? Pourquoi le font-ils faible dans son agonie? Ne savent-ils pas peindre une mort constante? Oui, sans doute; car le même saint Luc peint celle de saint Étienne' plus forte que celle de JÉSUS-CHRIST. Ils le font donc capable de crainte avant que la nécessité de mourir soit

1 « Quel homme eut jamais. » 277. P. R., XIV.

2

« Après sa venue. » P. R., après qu'il est venu. Mais la répétition était faite

exprès.

3 « Dans trois ans. » P. R. corrige, dans les trois autres.

4 «Par un des siens... par l'autre. » Judas et Pierre.

5 << Et il n'en a rien eu pour lui. » Ce qu'il dit ici de Jésus-Christ, il le dit ailleurs des saints, xxiv, 25.

6 a Jésus-Christ a dit. » 59. En titre, Preuves de Jésus-Christ. P. R. XIV.

7 « Qu'il ne les a pas pensées. » C'est-à-dire qu'il ne les a pas pensées si grandes. P. R., qu'il n'y a pas pensé.

« Qui a appris aux évangélistes. 49. P. R., ibid.

9 « Peint celle de saint Etienne. » Dans les Actes des Apôtres, vII. L'auteur des Actes est le même que celui du troisième évangile, attribué à saint Luc. C'est cet évangile qui peint le Christ faible dans son agonie, soutenu par un ange, et suant une sueur de sang: XX11, 43 Ces circonstances ne sont pas dans les autres évangélistes.

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