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ne l'est point', parce que le premier devait être caché; le second doit être éclatant et tellement manifeste que ses ennemis mêmes le devaient reconnaitre. Mais, comme il ne devait venir qu'obscurément, et que pour être connu seulement de ceux qui sonderaient les Écritures ...

Que pouvaient faire les Juifs, ses ennemis? S'ils le reçoivent, ils le prouvent par leur réception, car les dépositaires de l'attente du Messie le reçoivent ; et s'ils le renoncent, ils le prouvent par leur renonciation ".

9.

Fac secundum exemplar' quod tibi ostensum est in monte. La religion des Juifs a donc été formée sur la ressemblance de la vérité du Messie; et la vérité du Messie a été reconnue par la religion des Juifs, qui en était la figure.

Dans les Juifs, la vérité n'était que figurée. Dans le ciel, elle est découverte. Dans l'Église, elle est couverte, et reconnue par le rapport à la figure. La figure a été faite sur la vérité, et la vérité a été reconnue sur la figure.

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10.

Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers, la connaîtra

1 Ne l'est point. » Cependant, comme le remarque Voltaire, on lit au chapitre Xx de saint Luc: « Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans » les étoiles... ; et les puissances célestes seront ébranlées. Et alors on verra le Fils >> de l'homme paraître dans une nue avec une grande puissance et une grande majesté... En vérité, je vous le dis, cette génération ne passera pas que tout cela » ne s'accomplisse » (25-32). Le temps du second avénement semble prédit d'une manière précise dans ce passage, un de ceux qui exercent les commentateurs. Cf. Matth., XXIV, 35; Marc, XIII, 30.

2 « Qui sonderaient les Écritures .. » La pensée est restée inachevée. Cf. xx, 7. P. R. complète la phrase en y rattachant la pensée suivante, qu'il arrange pour cela. 3 « Que pouvaient faire. » 37. P. R., ibid.

lui.

4 << Par leur réception. » Pascal pense autrement au paragraphe 7.

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5 « Le reçoivent. » Et reconnaissent ainsi que les prophéties sont accomplies en

<< Par leur renonciation. » Car d'après les prophéties mêmes, le Messie devait être renoncé. Voir les passages de l'Ecriture à la fin du paragraphe 7. Cf. aussi XVIII, 2, cinquième fragment.

7 « Fac secundum exemplar. » 270. P. R., x. Ces paroles que Dieu adresse à Moise (Exode, xxv, 40) en lui traçant le plan détaillé de la construction du tabernacle, signifient littéralement Travaille suivant le modèle qui t'a été montré sur la montagne, c'est-à-dire sur le Sinaï, où Moïse avait passé quarante jours et quarante nuits seul avec Dieu.

Qui jugera. » 451. P. R., X.

mal. Elle est visible dans les saints livres, et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu'ils n'entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l'Evangile, les apôtres et la tradition; mais elle est ridicule1 dans ceux qui la traitent mal 2.

Le Messie, selon les Juifs charnels, doit être un grand prince temporel. Jésus-Christ, selon les Chrétiens charnels', est venu nous dispenser d'aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous. Ni l'un ni l'autre n'est la religion chrétienne, ni juive. Les vrais Juifs et les vrais Chrétiens ont toujours attendu " un Messie qui les ferait aimer Dieu, et, par cet amour, triompher de leurs ennemis 5.

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11.

Le voile qui est sur ces livres de l'Écriture pour les Juifs y est aussi pour les mauvais Chrétiens, et pour tous ceux qui ne se haïssent pas eux-mêmes. Mais qu'on est bien disposé à les entendre et

1 «Mais elle est ridicule. » P. R. n'ose pas dire cela, et met, elle est toute défigurée.

2

« Dans ceux qui la traitent mal. » Qui ont une mauvaise manière de l'entendre, de la traiter. Pascal adresse cela aux Jésuites.

3 << Selon les chrétiens charnels. » Les Jésuites. On leur reprochait de soutenir, pour attirer à eux les pénitents, qu'on peut obtenir le pardon de ses péchés sans avoir un véritable amour de Dieu; qu'il suffit de se confesser, et d'éprouver une attrition qui n'est que la crainte des peines du péché. Voir l'épitre de Boileau sur l'amour de Dieu. – P. R. a supprimé ce second alinéa, où revivait la polémique des Provinciales, mais le premier, ainsi isolé, pourrait être mal compris. La phrase, Ainsi notre religion, aurait l'air d'être la phrase principale, la conclusion à laquelle Pascal veut aboutir; tandis qu'elle n'est qu'une comparaison, et que le fond de la pensée porte sur les Juifs.

4 « Ont toujours attendu. » P. R., reconnu. Les chrétiens en effet n'attendent plus le Christ, à proprement parler, mais on peut dire qu'ils l'attendent toujours dans sa grâce.

5

« Triompher de leurs ennemis. » C'est-à-dire des péchés, des passions; cf. 7. On lit encore page 277 du manuscrit : « Deux sortes d'hommes en chaque religion. >> Parmi les païens, des adorateurs des bêtes, et les autres, adorateurs d'un seul >> Dieu dans la religion naturelle [comme s'il y avait : les uns, adorateurs des bêtes, » et les autres, etc.]. Parmi les Juifs, les charnels, et les spirituels qui étaient les >> chrétiens de la loi ancienne. Parmi les chrétiens, les grossiers, qui sont les Juifs » de la loi nouvelle. Les Juifs charnels attendaient un Messie charnel, et les chré>> tiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d'aimer Dieu. Les vrais Juifs >> et les vrais chrétiens adorent un Messie qui les fait aimer Dieu. » Et, page 227: « Les Juifs charnels et les païens ont des misères, et les chrétiens aussi. Il n'y a » point de rédempteur pour les païens, car ils n'en espèrent pas seulement [c'est-à>> dire ils n'en espèrent même pas]. Il n'y a point de rédempteur pour les Juifs, ils l'espèrent en vain. Il n'y a de rédempteur que pour les chrétiens. » Cf. 42. Cf. aussi XIX, 5, et tout l'article xxI.

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à connaître JÉSUS-CHRIST, quand on se hait véritablement soimême!

12.

Les Juifs charnels1 tiennent le milieu entre les Chrétiens et les Païens. Les Païens ne connaissent point Dieu, et n'aiment que la terre. Les Juifs connaissent le vrai Dieu, et n'aiment que la terre. Les Chrétiens connaissent le vrai Dieu, et n'aiment point la terre. Les Juifs et les Païens aiment les mêmes biens. Les Juifs et les Chrétiens connaissent le même Dieu 2. Les Juifs étaient de deux sortes 3: les uns n'avaient que les affections païennes, les autres avaient les affections chrétiennes.

13.

... C'est visiblement un peuple fait exprès pour servir de témoin au Messie: Is., XLIII, 95; XLIV, 8. Il porte les livres, et les aime, et ne les entend point. Et tout cela est prédit : que les jugements de Dieu leur sont confiés, mais comme un livre scellé '.

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Tandis que les prophètes' ont été pour maintenir la loi, le peuple a été négligent. Mais depuis qu'il n'y a plus eu de prophètes, le zèle a succédé. Le diable a troublé 1o le zèle des Juifs avant JésusChrist, parce qu'il leur eût été salutaire, mais non pas après 11.

14.

10

La création du monde 12 commençant à s'éloigner, Dieu a pourvu

1 « Les Juifs charnels. » 255. P. R., x. Cf. 40.

2 « Connaissent le même Dieu. » On admire ces rapprochements, ces oppositions, cette symétrie. Les idées et les choses s'ordonnent dans l'esprit de Pascal d'une manière toute géométrique.

3 « Les Juifs étaient de deux sortes. » Manque dans les éditions. Cf. 40, en note.

4 « C'est visiblement. » 277. P. R., x. Cf. 7.

5

« Is., XLIII, 9. » C'est plutôt 40: Vos testes mei, dicit Dominus.·

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8 « Ont été. » Ont été là; qu'il y a eu des prophètes.

9 « Le zèle a succédé. » De manière que la loi se maintint toujours. Voir le fragment qui suit.

10 « Le diable a troublé. » 449. Manque dans les éditions.

11 « Mais non pas après. » De sorte qu'ils ont montré beaucoup de zèle à conserver les preuves du Messie, qui sont leur condamnation. Au contraire, ils n'en avaient pas eu pour se mettre en état de reconnaître le Messie, ce qui eût été leur salut. Cf. 7. Pascal entre ici dans les conseils du diable comme il entrait dans ceux de Dieu.

12 « La création du monde. » Dans la Copie. P. R., XI.

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d'un historien unique contemporain 1, et a commis tout un peuple pour la garde de ce livre, afin que cette histoire fût la plus authentique du monde, et que tous les hommes pussent apprendre une chose si nécessaire à savoir, et qu'on ne pût la savoir que par là 2.

15.

Principe: Moïse était habile homme; si donc il se gouvernait par son esprit, il ne disait rien nettement qui fût directement contre l'esprit. Ainsi toutes les faiblesses très-apparentes sont des forces *. Exemple, les deux généalogies de saint Matthieu et de saint Luc': qu'y a-t-il de plus clair, que cela n'a pas été fait de concert?

Pourquoi Moïse va-t-il faire la vie des hommes si longue 1o, et si peu de générations? car ce n'est pas la longueur des années, mais la multitude des générations qui rendent les choses obscures 1.

1 << D'un historien unique contemporain. » Il veut dire Moïse; l'appelle contemporain, comme étant à quelques générations seulement du premier homme. Cl. 45, troisième fragment.

2

«Que par là. C'est pour cela que cet historien contemporain est unique. Ce dernier mot, que P. R. avait supprimé, est donc essentiel.

3 Principe: Moïse était. » 57. P. R., XI. Mais P. R. change considérablement le texte: « Cela est clair; donc s'il eût eu dessein de tromper, il l'eût fait en sorte » qu'on ne l'eût pu convaincre de tromperie. Il a fait tout le contraire car s'il eût » débité des fables, il n'y eût point eu de Juif qui n'en eût pu reconnaître l'impos» ture. » Cela est aussi lourd qu'embrouillé.

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«Habile homme. » Quelle singulière façon de parler de ces personnages des âges primitifs !

5 « Contre l'esprit. » C'est-à-dire qui choque l'esprit, qui pèche contre l'habileté. Le fragment ci-après expliquera bien ce que Pascal veut dire. Aussi P. R. le place immédiatement ici comme s'il ne faisait qu'un avec ce qui précède. P. R. détache au contraire l'alinéa, Ainsi toutes les faiblesses, pour le transporter au titre xvIII.

6 « Sont des forces. » P. R. (titre XVII) ajoute, à ceux qui prennent bien les choses. Par les faiblesses, Pascal entend les côtés faibles. Il ajoute, très-apparentes, parce qu'alors on ne peut pas supposer, suivant lui, que d'habiles gens les aient laissées échapper.

7

« Et de saint Luc. » On sait que ces deux généalogies de Jésus-Christ ne s'accordent que d'Abraham à David, et qu'à partir de David elles sont tout à fait différentes. Elles aboutissent toutes deux non à Marie, mère de Jésus, mais à Joseph, époux de Marie. Cf. xx, 9. Cette discordance a été de bonne heure un sujet de controverse. Julien l'opposait aux chrétiens, comme on le voit par la réponse de saint Cyrille (au livre VIII).

8

« Que cela. » La phrase n'est pas correcte. Il veut dire qu'y a-t-il de plus clair que ceci, savoir, que cela n'a pas été fait de concert? La règle de critique que donne ici Pascal est bien périlleuse.

9

Pourquoi Moïse va-t-il faire. » 491. En titre, Preuve de Moise. P. R., XI. 10 « La vie des hommes si longue. » Dans la généalogie qu'il donne des patriarches, depuis Adam jusqu'à Jacob. On y trouve vingt-deux générations en 2315 ans; et si on prend la vie entière de chaque patriarche, cinq vies au bout l'une de l'autre remplissent toute cette étendue (voir le fragment suivant).

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<< Qui rendent les choses obscures. » La pensée de Pascal est que les hommes à

Car la vérité ne s'altère que par le changement des hommes. Et cependant il met deux choses, les plus mémorables qui se soient jamais imaginées, savoir la création et le déluge, si proches, qu'on y touche1.

Sem, qui a vu Lamech 2, qui a vu Adam, a vu aussi Jacob3, qui a vu ceux qui ont vu Moïse. Donc le déluge et la création sont vrais. Cela conclut, entre de certaines gens qui l'entendent bien.

La longueur de la vie des patriarches, au lieu de faire que les histoires des choses passées se perdissent, servait, au contraire, à les conserver. Car ce qui fait que l'on n'est pas quelquefois assez instruit dans l'histoire de ses ancêtres, est que l'on n'a jamais guère vécu avec eux, et qu'ils sont morts souvent devant que l'on eût atteint l'âge de raison. Mais, lorsque les hommes vivaient si longtemps, les enfants vivaient longtemps avec leurs pères, ils les entretenaient longtemps. Or, de quoi les eussent-ils entretenus, sinon de l'histoire de leurs ancêtres, puisque toute l'histoire était réduite à celle-là ', et qu'ils n'avaient point d'études, ni de sciences, ni d'arts, qui occupent une grande partie des discours de la vie? Aussi l'on voit qu'en ce temps-là les peuples avaient un soin particulier de conserver leurs généalogies.

16.

... Dès là je refuse toutes les autres religions: par là je trouve ré

qui Moïse disait qu'il n'y avait que cinq vies d'hommes entre la création et eux, étaient parfaitement à même de vérifier, chacun par les traditions de sa famille, s'il disait vrai ou non. S'il avait voulu mentir, il aurait dit, Voici ce qui s'est passé il y a 2400 ans, et non pas, Voici ce qui s'est passé il y a cinq vies d'hommes. Pascal admet toujours, avec l'Église, que Moise est le véritable auteur du Pentateuque.

1 « Si proches qu'on y touche. » En ce qu'il met si peu d'hommes entre ces événements et son temps. Cf. les deux fragments qui suivent.

2 «< Sem, qui a vu Lamech. » 489. P. R., XI.

3 « A vu au si Jacob. >> C'est une erreur, que P. R. corrige en écrivant : a vu au moins Abraham, et Abraham a vu Jacob.

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4 « La longueur de la vie. » 491. P. R., XI.

« Était réduite à celle-là. » Excellente remarque, parfaitement confirmée par les poemes d'Homère, et par ce qu'on sait des zurákoyos, pevcañopias, qu'avait produits la poésie grecque des premiers temps. Mais ces généalogies grecques ne remontaient pas jusqu'aux véritables origines, et partaient toujours de la fable pour rejoindre l'histoire.

• Dès là je refuse. >> 405. Ce premier alinéa manque dans P. R. Les éditions le transportent mal à propos à la fin du paragraphe. Pascal part ici de la considération de la sainteté chrétienne.

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